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« Si l’IA écrit mieux que moi, aurais-je encore envie d’écrire ? », Laurent Gounelle (Interview)

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« Si l’IA écrit mieux que moi, aurais-je encore envie d’écrire ? », Laurent Gounelle (Interview)Laurent Gounelle © DR

Si la 29e édition était celle du spectacle haut en couleurs, la 30ᵉ édition du Salon international de l’édition et du livre (SIEL) de Rabat se veut un peu plus… philosophique. Et oui, la fameuse question, il fallait bien la poser : lire à l’ère des écrans, faire lire les enfants au lieu d’allumer un écran. L’écrivain à succès, Laurent Gounelle, nous a livré sa vision passionnée de la lecture à l’ère des écrans, le rôle des parents et la problématique incessante de l’intelligence artificielle. Interview.

Il y a eu des inquiétudes suite à l’apparition du premier téléphone portable, des critiques suite à l’essor des réseaux sociaux, des manifestations contre les dessins animés dits violents… et on en passe. Tantôt dans le premier clan de ceux qui ne comprennent pas l’angoisse de leurs parents, tantôt dans le deuxième… vingt ans plus tard. Ceux qui ont vu Facebook naître, et qui l’ont généreusement utilisé, se retrouvent face à l’ouragan IA, qu’ils critiquent copieusement.

Mais là, il s’agit d’emplois, de création et surtout d’éducation. Sous le thème « Lire à l’ère des écrans », intellectuels marocains et étrangers se sont retrouvés pour débattre du plus vieux des plaisirs, menacé par la plus moderne des addictions : les dispositifs numériques. C’est dans ce cadre que Laurent Gounelle, dont les romans se sont vendus à des millions d’exemplaires, a partagé ses réflexions sur la lecture, la dopamine et… l’intelligence artificielle. Débordant d’anecdotes personnelles, il a insisté sur le rôle des parents et des enseignants, avant de confier, en toute franchise, à LeBrief, ses doutes face à la montée en puissance des algorithmes créatifs.

Scroller ou tourner une page ?

« Les jeux vidéo et les contenus numériques sont conçus pour nous rendre accros », lance d’emblée Gounelle, évoquant la course à la dopamine orchestrée par chaque notification et chaque niveau gagné. L’écran, selon lui, offre un plaisir immédiat. À l’inverse, la lecture exige un engagement plus long, elle construit lentement cette même satisfaction, mais sur la durée.

Si l’auteur prône l’immersion livresque, il n’en dégage pas moins une mission pour les éducateurs : « Les parents doivent initier leurs enfants dès la tendre enfance », insiste-t-il, préconisant la lecture quotidienne d’histoires adaptées.

Rabia El Gharbaoui, spécialiste en sciences humaines présente lors du débat, renchérit : grâce à la lecture, « l’enfant devient le bâtisseur de sa vie », capable de se projeter, de visualiser et de construire mentalement son avenir, loin de la passivité numérique. Un vrai point de bascule, lorsqu’un ados découvre enfin le style littéraire qui le fait vibrer.

Entretien avec Laurent Gounelle

-Le Brief : Comment percevez-vous l’IA par rapport à des métiers comme celui d’écrivain ou de journaliste ?

-Laurent Gounelle : C’est un vrai sujet. Mon sentiment est qu’il est probable que l’IA remplace un grand nombre de métiers. C’est dur de chiffrer, mais cela peut être 50% des métiers, voire plus. Il est possible qu’à court terme, peut-être que dans 5 ans, 10 ans, la plupart des gens restent chez eux avec un revenu universel, parce qu’il n’y aura plus de travail, parce que ce seront en effet les IA qui feront leur métier à leur place. Donc c’est vrai pour un certain nombre de métiers, le vôtre est le mien au premier chef, mais aussi les graphistes, les avocats, énormément de métiers, on le sait, peuvent être remplacés par l’IA.

-Le Brief : Mais que faire par rapport à cela ?

-Laurent Gounelle : Je me suis posé la question, je me suis dit que le jour où des IA écriront des romans initiatiques, parce que c’est ce que j’écris, aurais-je que toujours envie d’en écrire ? En fait pour moi la question n’est même pas une question de marché économique, ce n’est pas ça, la question, c’est est-ce que j’aurais envie ? Il y a une vingtaine d’années, j’ai acheté un échiquier électronique. J’ai commencé à jouer, il m’a battu. J’ai baissé le niveau, il m’a battu. J’ai mis le niveau au minimum, il m’a encore battu. J’ai pris l’échiquier, je l’ai rangé dans le placard, je ne l’ai jamais ressorti. Ça n’avait plus aucun intérêt.

-Le Brief : Donc si vous savez demain qu’une IA écrit des romans de plus belle manière, vous arrêteriez ?

-Laurent Gounelle : Oui. Pour moi, l’écriture est post-thérapeutique, c’est quand j’ai traversé un problème, que je l’ai vécu à l’intérieur, que je m’autorise à écrire pour les autres, pour faire profiter le grand public. Mais, si les IA font ça mieux que moi, je pense que j’arrêterai, je n’aurai plus plaisir à transmettre.

-Le Brief : Nous pourrions faire le test, demander à une IA d’écrire un texte à la façon de Gounelle…

-Laurent Gounelle : Ma fille aînée âgée de 18 ans m’a fait une démonstration en philosophie. Elle a posé une question philosophique à ChatGPT. J’étais assez bluffé par la réponse, honnêtement. Alors, ce qui est cruel et injuste dans cette situation, c’est que l’IA va prendre nos métiers, et en même temps, elle nous pompe. On le voit dans le journalisme, en fait, l’IA ne fait que compiler des articles déjà publiés, donc écrits par de vrais journalistes comme vous, qui ont travaillé. Même chose pour les romans. Il y a un pillage organisé. Maintenant, je pense qu’on ne peut pas forcément lutter. Ce que j’aimerais au minimum, je dirais, c’est que les gens soient avertis. Quand ils lisent un article, qu’ils sachent si c’est un vrai journaliste qui l’a écrit, ou si c’est une IA. Une réflexion humaine derrière. Même chose pour un roman.

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