Wafa Assurance : le dommage irréparable de Ramsès Arroub (5/6)

S’il y a une compagnie d’assurances marocaine qui pouvait prétendre avoir tout réussi, c’est bien Wafa Assurance. Pourtant, cette belle «success-story» se retrouve, aujourd’hui, l’ombre d’elle-même.

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Publié le 20/10/2022 à 16:14

Tribune

Nabil Adel

Ancien cadre de Wafa Assurance
[email protected]

Plus que dans tout autre métier, dans les industries financières, la composante humaine est fort importante, car c’est l’argent des autres qui en constitue la matière première et le produit fini. Outre les compétences techniques et managériales, ce sont les valeurs d’intégrité et de haute moralité qui doivent être la marque de fabrique de ces milliers de femmes et d’hommes qui œuvrent au quotidien à protéger et à fructifier l’épargne de millions de Marocains. Autant dire une denrée rare et précieuse qui nécessite une gestion à part des ressources humaines.

Dans les précédentes tribunes de cette série consacrée au bilan de M. Arroub à la tête de Wafa Assurance, nous avons passé successivement en revue l’évolution des résultats de la compagnie sous ses deux mandats. Dans cette cinquième tribune, nous expliquerons la principale raison de la dégradation des performances financières de la compagnie : la gestion calamiteuse des ressources humaines.

 

Une gestion désastreuse des Ressources humaines

Le secret de la réussite de Wafa Assurance avant 2008 s’expliquait par le fait qu’on laissait les gens travailler. Le management de l’époque était certes sévère et très exigeant, mais il ne se mettait jamais sur le chemin de la création et des bonnes idées, même venant de cadres n’ayant pas dépassé la trentaine.

Or, quand on confond sévérité et fermeté avec agressivité et méchanceté, on ne peut que s’attendre au pire. Si on peut comprendre que le dirigeant d’une entreprise fasse preuve de fermeté dans le suivi de la réalisation des projets, il doit laisser une grande marge de liberté dans la phase de gestation des idées, car on ne sait pas qui peut trouver la pépite d’or dans une entreprise. Et quand un collaborateur n’effectue pas le travail qu’on lui demande, c’est soit qu’on le lui a mal expliqué, soit qu’il n’en a pas les compétences. Et dans les deux cas, cela questionne d’abord le management. Le seul cas où une sanction est justifiée est quand un collaborateur peut effectuer le travail, mais ne veut pas le faire. Et même dans ce cas, sa dignité doit être préservée. Quand l’évaluation se fait à l’humeur, quand les collaborateurs ne connaissent même pas les motifs pour lesquels ils ont été sanctionnés, ou pire, quand ils sont mis au placard pour les mêmes raisons pour lesquelles ils étaient félicités, il y a à peine quelques semaines, ils s’en trouvent désorientés et incapables d’aucun résultat positif.

On ne peut pas demander à un collaborateur de performer quand il est sur le qui-vive tout le temps et s’il est mis dans une situation de devoir continuellement se justifier et se défendre. On ne peut gérer à haut niveau, quand «la réussite, c’est grâce à moi, et l’échec, c’est à cause de ceux qui m’ont précédé et ceux qui m’entourent actuellement». Au sein de la compagnie, beaucoup de vies ont été détruites et des carrières brisées à cause de cela.

On a rencontré beaucoup de ces gens, brillants par ailleurs, qui nous ont dit : «on ne sait même pas pourquoi, ni quand le vent a tourné pour nous. Tout est arrivé si rapidement et si violemment». Certains, dont des collaborateurs recrutés par le nouveau management en grande pompe, en gardent des séquelles profondes et indélébiles à aujourd’hui. Comment espérer réussir en envoyant ses collaborateurs se battre sur le marché après avoir cassé leur principal atout, à savoir leur mental et leur confiance en eux ?  C’est une sorte de pyramide de Maslow de la performance dans l’entreprise. Si la performance et la satisfaction des actionnaires sont au sommet, l’équité et la transparence des règles en sont la base.

Beaucoup de cadres très compétents ont été forcés de quitter la compagnie, et avec eux des années de connaissances et d’expertises, pour raisons triviales ou puériles, car on a toujours raison quand on est seul à avoir le droit de parler. Avec chaque départ, c’est un bout de part de marché et de profit qui ont été sacrifiés, jusqu’à arriver à la catastrophe actuelle. Paradoxalement, ces cadres avaient fait leur preuve avant l’arrivée de M. Arroub et ont brillé au Maroc et à l’international dès qu’ils ont quitté la compagnie dans des conditions pour le moins humiliantes. Ce management chaotique a vidé la compagnie de ses meilleurs éléments, ce qui a causé une grande instabilité dans l’organisation. Ainsi, la compagnie, qui fut une école de formation des compétences, est forcée aujourd’hui de rallonger les départs à la retraite faute de relève, ou pire encore, de rappeler des retraités dans certaines fonctions ô combien sensibles !

Dans l’assurance, et plus que dans n’importe quel métier financier, la stabilité des ressources humaines est la clef, car en face, il y a un réseau de distribution constitué d’entrepreneurs qui ont mis leur argent sur la table et qui, souvent, ont tout risqué pour exercer le métier d’intermédiation dans les assurances. Toute approximation dans la gestion les conduit immanquablement vers la faillite et le drame social.

Cette précarité est fort préjudiciable aussi pour les collaborateurs qui n’acquièrent plus l’expertise et les connaissances nécessaires à l’exercice convenable des différents métiers de l’assurance (automobile, accidents du travail, risques divers, maritime, santé, vie et réassurance). Celles-ci ne sont obtenues que par accumulation d’un grand nombre de dossiers traités, ce qui requiert beaucoup de stabilité dans les postes.

D’autres cadres nous ont confié que la peur de l’humiliation publique était telle, qu’ils voyaient certaines décisions conduire la compagnie «droit dans le mur», mais ils ont préféré se taire. Car, pour eux, pourquoi risquer leurs postes quand les actionnaires, premiers concernés, ne bougent pas le doigt pour changer la situation ? Les décisions absurdes à l’origine de la débâcle en automobile auraient pu être évitées par certains cadres, qui ont préféré avaler leurs langues. Comment espérer fédérer les ressources humaines pour faire face à la concurrence dans ce climat toxique ? Comment penser créer de nouveaux produits, lancer de nouveaux modes de distribution, innover dans la tarification et la connaissance client et fluidifier les back-offices dans ces conditions ?

L’exercice des responsabilités à haut niveau nécessite du discernement, du jugement, de la pondération et une grande maîtrise de soi pour fédérer les autres, ce qui s’oppose à un management chaotique et lunatique. La recherche de la performance financière peut-elle légitimer un coût humain aussi élevé ? Comment justement justifier un tel coût quand il n’y a même pas de performance ? Avoir vidé la compagnie de ses meilleurs cadres et y avoir instauré un climat tyrannique qui phagocyte toute création, cela s’est directement manifesté dans les comptes financiers de la compagnie. Celle-ci mettra beaucoup de temps à s’en mettre, car les fondations ont été détruites. Entre temps, la concurrence n’attendra pas. Franchement, avec pareil management, qui espérait un résultat différent ? Jacques Bénigne Bossuet ne disait-il pas : «Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes».

 

 

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