Inclusion financière : le Maroc à mi-chemin

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Inclusion financière : le Maroc à mi-cheminImage d'illustration © DR

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Au Maroc, l’inclusion financière progresse mais reste entravée par des disparités d’accès et d’usage, notamment chez les femmes, les personnes en situation de handicap et les petites entreprises. Un panorama précis permet de mieux comprendre les leviers et les limites de cette inclusion.

L’inclusion financière, c’est-à-dire l’accès et l’usage des services financiers, comptes bancaires, crédit, épargne ou assurances, est un levier essentiel pour réduire les inégalités, soutenir l’entrepreneuriat et renforcer la résilience des populations vulnérables. Dans le monde arabe, cette dynamique reste freinée par de multiples obstacles structurels.

Le Maroc, pays de revenu intermédiaire, a fait de l’inclusion financière une priorité de ses politiques publiques. Pourtant, les chiffres et analyses du dernier Annual SDG Review 2025, publié par la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO), révèlent un décalage entre le potentiel du pays et les réalités d’usage.

Un positionnement régional mitigé

Selon l’Indice d’inclusion financière de la CESAO, le Maroc affiche un score de 0,39 en 2023. Ce chiffre le situe en milieu de classement dans la région arabe, derrière des pays du Golfe comme Bahreïn ou l’Arabie saoudite, mais devant des voisins comme l’Algérie ou la Tunisie. Si l’on considère uniquement les pays de revenu intermédiaire, le Maroc fait légèrement mieux que la moyenne régionale (0,33), mais reste bien en dessous des moyennes mondiales ou des niveaux observés en Amérique latine et en Asie du Sud-Est.

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Plus inquiétant encore, l’écart entre les facteurs dits « facilitateurs », comme l’existence d’un cadre réglementaire, d’une infrastructure numérique ou d’initiatives politiques, et l’accès réel aux services bancaires ou leur usage reste très prononcé. En d’autres termes, les conditions sont en partie réunies, mais leur traduction concrète tarde à suivre.

Les femmes en première ligne de l’exclusion

Le Maroc est l’un des pays arabes où le fossé entre hommes et femmes en matière d’accès aux services financiers est le plus marqué. En 2021, seulement 33% des femmes possédaient un compte ou utilisaient un service de paiement mobile, contre 56% des hommes, un écart de 23 points de pourcentage. Ce chiffre place le Maroc parmi les pays affichant les plus fortes inégalités de genre en matière d’inclusion financière dans la région.

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Pourtant, les autorités marocaines ont multiplié les initiatives en faveur de l’autonomisation économique des femmes. Dans le cadre de sa stratégie nationale d’inclusion financière, le pays a lancé une initiative spécifique pour les femmes rurales. Celle-ci repose sur un diagnostic mené en partenariat avec des acteurs locaux, afin d’identifier les freins structurels, éloignement des agences, manque de produits adaptés et faible littératie financière, entre autres.

Les pistes d’action envisagées incluent l’extension de l’offre de services accessibles à domicile, via des solutions technologiques et l’adaptation des produits financiers à la réalité de vie de ces femmes. Des efforts à saluer, mais dont les impacts restent à mesurer.

Les personnes en situation de handicap : invisible et non reconnue

Le Maroc a fait partie des rares pays de la région à inclure explicitement les personnes en situation de handicap dans sa stratégie nationale d’inclusion financière. Une charte bancaire, élaborée conjointement par Bank Al-Maghrib et le Groupement professionnel des banques du Maroc, a été adoptée pour garantir une meilleure accessibilité aux services bancaires.

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Cette charte prévoit notamment des adaptations physiques dans les agences (guichets adaptés, signalétiques, bornes sonores), mais aussi l’usage de formats accessibles comme le braille ou l’audio pour les supports d’information. Elle encourage également la formation du personnel bancaire à la prise en charge des personnes handicapées.

Cependant, le rapport note un manque criant de données désagrégées par handicap. Sans statistiques fiables et actualisées, il reste difficile d’évaluer la portée effective de ces politiques. Une lacune à combler de toute urgence pour garantir un véritable suivi des engagements pris.

PME et micro-entreprises : un potentiel encore sous-exploité

Les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME) représentent une part importante du tissu économique marocain. Pourtant, l’accès au financement reste leur talon d’Achille. Le rapport indique que seulement 14% des PME dans la région arabe disposent d’un crédit ou d’une ligne de financement. Ce taux est inférieur à la moyenne mondiale (29%) et au niveau de régions comme l’Amérique latine (42%).

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Le Maroc ne fait pas exception. Malgré l’existence de programmes de microfinance, d’incitations fiscales ou de lignes de crédit dédiées, les freins persistent, lourdeur des démarches, manque de garanties, méconnaissance des dispositifs existants et faible digitalisation.

Le pays a pourtant intégré les PME comme cible prioritaire dans sa stratégie d’inclusion financière. Une attention particulière est accordée à l’informel et au monde rural, avec des initiatives en faveur de la bancarisation via la microfinance et des produits adaptés. Mais là encore, l’écart entre l’offre et la demande, entre les outils et leur appropriation, demeure préoccupant.

Une dynamique à consolider

Le Maroc a clairement identifié les leviers de l’inclusion financière et posé les bases d’une stratégie inclusive. La reconnaissance explicite de certaines cibles (femmes, personnes handicapées, PME) est un signal positif. Toutefois, les efforts institutionnels peinent encore à se traduire par une adoption massive et équitable des services financiers.

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Renforcer la littératie financière, adapter les produits aux besoins concrets des usagers, améliorer l’accessibilité physique et numérique et développer des indicateurs précis pour suivre les avancées, autant de priorités à inscrire au cœur de la prochaine phase stratégique. L’inclusion financière ne peut être une fin en soi, mais elle reste un passage obligé pour bâtir un développement plus juste et plus résilient.

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