USA : 10%, good or bad pour le Maroc ?
Wall Street s’effondre, Trump fait… du Trump ! À sa façon, il gère sa politique internationale, avant de renégocier. Bref, nul n’ignore la chanson à force de la répéter. Mais pour ne pas s’emmêler les pinceaux et bien saisir l’ampleur de cette décision, il faut revenir sur le climat international actuel. Sous l’ère Trump, le mot d’ordre reste « America First », on l’aura compris. Dans ce contexte, les États-Unis ne veulent plus supporter ce qu’ils jugent être une concurrence déloyale, notamment en matière de production et de coûts d’importation. La stratégie américaine se conjugue alors avec une volonté de redéfinir les règles du commerce international, en imposant des droits de douane beaucoup plus élevés à certains partenaires jugés concurrents, tout en offrant des avantages à ceux jugés stratégiques.
Mais avant tout, il faut savoir que Donald Trump présente le décret de réciprocité des droits de douane par une idée très simple : si un pays taxe les produits américains, alors les États-Unis doivent lui appliquer une taxe équivalente.
Le décret de réciprocité en bref
A – Rééquilibrer la balance commerciale : les États-Unis ont souvent un déficit commercial important avec plusieurs pays. En imposant une taxation réciproque, Trump espère réduire les importations et encourager les entreprises américaines à produire sur le sol américain plutôt qu’à l’étranger.
B – Trump considère que les États-Unis ont signé des accords défavorables dans le passé. En augmentant les taxes, il pousse les partenaires commerciaux à renégocier des termes plus favorables aux USA. L’effet spectacle dont nous parlions précédemment dans le Dossier Donald Trump : le maître des illusions. Annoncer puis négocier.
C – Aussi, en taxant davantage les produits étrangers, il rendrait les produits américains plus compétitifs sur le marché intérieur. Cela protège certains secteurs comme l’acier, l’automobile ou l’agriculture, qui sont souvent en difficulté face à la concurrence internationale.
Le Maroc bénéficie d’un taux plus bas que d’autres pays (10% contre 34% pour la Chine, par exemple). Pourquoi ? Le Maroc est tout d’abord un allié des USA en Afrique, mais il n’est pas non plus un gros exportateur vers les USA, donc il ne représente pas une menace pour les industries américaines.
Toutefois, ce taux de 10% pourrait devenir une opportunité pour le Maroc : des entreprises étrangères pourraient vouloir s’y installer pour profiter de cette taxation avantageuse et exporter vers les États-Unis. Ce qui, paradoxalement, pourrait nuire aux objectifs de Trump si des entreprises choisissent le Maroc plutôt que les USA… Diplomatiquement et psychologiquement compliqué… !
Le Maroc, allié de longue date des États-Unis et porte d’entrée en Afrique du Nord, se voit ainsi bénéficier d’un traitement de faveur, avec l’application d’un tarif plafonné à 10%.
Pour les industriels et les exportateurs américains, l’idée est de réduire le coût d’importation de certains produits en provenance de pays considérés comme fiables ou stratégiquement importants. C’est un peu comme si, dans un supermarché, Trump décidait que certains produits bénéficieraient d’une réduction exceptionnelle pour inciter les consommateurs à les acheter. En l’occurrence, en attribuant seulement 10% de droits de douane aux produits marocains, Washington cherche à renforcer ses liens commerciaux avec le Royaume et, par extension, à favoriser une délocalisation partielle de la production vers ce territoire.
Tarifs des douanes américaines imposées aux pays. En bleu les taxes douanières imposées par les pays, en jaune, les taxes imposées par les USA © Maison Blanche
Cette image met en évidence l’écart entre le Maroc et ses concurrents et donne à penser que derrière ce geste se cache une volonté de repositionner l’Afrique, et en particulier le Maroc, comme une zone de production compétitive et attrayante pour les multinationales.
Mais qu’est-ce qui motive exactement cette décision ? Plusieurs arguments sont avancés. D’un côté, il y a l’aspect stratégique : le Maroc joue un rôle de pivot entre l’Europe et l’Afrique et en facilitant les échanges commerciaux, les États-Unis espèrent renforcer leur présence dans une région en pleine mutation. « Le Maroc peut se positionner comme une plateforme stratégique de relocalisation et de co-production régionale. Grâce à sa proximité avec l’Europe, à ses accords de libre-échange avec les États-Unis et plusieurs partenaires africains, mais aussi à son cadre macroéconomique stable, le Royaume peut attirer des entreprises à la recherche de hubs alternatifs aux zones saturées ou risquées », explique Cherkaoui Roudani, polititologue à LeBrief.
D’un autre côté, c’est une manière de contrer l’influence grandissante de la Chine. En appliquant des droits de douane beaucoup plus élevés aux produits chinois, Trump espère pousser certaines entreprises à chercher des alternatives de production et le Maroc apparaît alors comme un choix judicieux. Pour beaucoup aussi, c’est l’occasion de sortir de la dépendance vis-à-vis de certains marchés asiatiques et de redonner un souffle nouveau à l’économie africaine.
Opportunités pour le Maroc et l’Afrique
Passons maintenant aux retombées potentielles de cette décision sur l’économie marocaine et, plus largement, sur celle de l’Afrique. Avec un droit de douane plafonné à 10%, le Maroc se présente comme une destination intéressante pour les investisseurs internationaux cherchant à réduire leurs coûts d’exportation vers les États-Unis et leurs coûts de main d’œuvre.
Dès à présent, plusieurs secteurs semblent particulièrement avantagés. Le textile, l’agroalimentaire, l’électronique et même l’automobile. Prenons l’exemple du textile : historiquement, le Maroc a toujours été un acteur important dans ce domaine. Grâce à la baisse des droits de douane, les fabricants pourraient trouver avantageux de relocaliser tout ou partie de leur production dans le Royaume. C’est une logique qui se déploie aussi pour d’autres industries.
Il faut aussi voir cette mesure comme un signal fort adressé aux investisseurs internationaux. En choisissant d’appliquer un droit de douane réduit aux produits marocains, les États-Unis envoient un message clair : le Maroc est désormais une plateforme stratégique pour l’exportation vers l’Amérique.
Les entreprises qui envisagent de délocaliser leur production devront néanmoins évaluer plusieurs facteurs. Outre le tarif préférentiel, elles regarderont également la stabilité politique, la qualité des infrastructures et la capacité du gouvernement à soutenir le développement industriel. Le Maroc, qui a déjà amorcé une série de réformes pour moderniser son cadre réglementaire et simplifier les démarches administratives, se trouve dans une position favorable.
Un autre aspect intéressant est l’impact sur l’économie africaine dans son ensemble. Si le Maroc réussit à se positionner comme un hub industriel pour le continent, cela pourrait créer un effet domino positif pour d’autres pays africains. L’idée serait de stimuler une dynamique de coopération régionale où le savoir-faire, les technologies et les ressources seraient mutualisés pour renforcer la compétitivité de l’Afrique sur le marché mondial. « Toutefois, ces analyses restent des projections. Des simulations plus précises basées sur des modèles économiques devraient permettre d’obtenir des chiffres exacts dans les jours à venir. Pour l’instant, les anticipations doivent être prises avec prudence. Les marchés financiers, d’ailleurs, réagissent déjà à ces évolutions de manière spéculative », prévient Professeur Nabil Jedlane, directeur du laboratoire de recherche en management, économie, système d’information et droits, à l’ENCG Tanger.
Mais l’un des principaux questionnements concerne la durabilité de ce dispositif. Si Trump, ou ses successeurs, venaient à modifier brusquement cette politique, les entreprises qui auraient déjà investi au Maroc pourraient se retrouver dans une situation précaire. De plus, la concurrence internationale ne dort pas, d’autres pays pourraient rapidement ajuster leurs propres tarifs pour ne pas perdre leur part de marché.Les incertitudes géopolitiques
Dès le départ, le risque principal réside dans la dépendance vis-à-vis d’une politique américaine qui, par nature, peut être instable. Sous l’ère Trump, les décisions se font souvent sur un coup de tête, et rien ne garantit que cette faveur tarifaire restera en place à long terme. Si, par exemple, l’administration américaine venait à réagir face à une délocalisation massive de production – un scénario qui pourrait entraîner un déséquilibre dans la balance commerciale ou nuire aux emplois locaux – il est fort possible que les droits de douane soient révisés à la hausse. On se retrouve alors face à une situation où les entreprises, après avoir investi massivement dans une nouvelle infrastructure, verraient leurs coûts augmenter brutalement.
Le risque est d’autant plus concret que d’autres pays bénéficient déjà de droits de douane élevés pour protéger leurs industries. La décision américaine de limiter ce taux pour le Maroc crée une inégalité qui, si elle se généralise, pourrait engendrer des tensions sur la scène internationale. « Il me semble que cette annonce soudaine de Donald Trump d’imposer une taxe universelle sur toutes les importations va immédiatement provoquer une onde de choc dans l’économie mondiale. Les marchés financiers vont plonger, ce qui va entraîner une forte volatilité et une perte de confiance des investisseurs. Cette décision protectionniste pourrait faire renaître un risque majeur : celui de la stagflation, une situation où l’inflation progresse tandis que la croissance ralentit. En parallèle, les chaînes d’approvisionnement internationales vont être désorganisées, les entreprises devant faire face à des hausses de coûts imprévues et à des ruptures logistiques. Ainsi, ce climat d’incertitude pose les bases d’un bouleversement durable des équilibres économiques globaux », détaille Cherkaoui Roudani.
Certains pays, irrités de voir leurs propres industries pénalisées par des tarifs plus élevés, pourraient réagir en instaurant des mesures protectionnistes ou en menant des campagnes de rétorsion commerciale. La Chine vient d’ailleurs d’annoncer une réciprocité aux droits de douane américains en taxant leurs importations de +34% également. Ce jeu de dominos n’est jamais sans conséquences : si les États-Unis venaient à sanctionner des partenaires jugés trop favorisés, cela pourrait déclencher une série de représailles qui mettraient en péril l’économie américaine et celle des pays bénéficiaires, dont le Maroc.
Un autre problème important à ne surtout pas ignorer concerne la compétitivité des entreprises locales. Si le Maroc devient le refuge privilégié pour les investissements étrangers grâce à ce tarif avantageux, les entreprises nationales pourraient se retrouver dans une position de faiblesse face à des acteurs internationaux mieux financés et dotés de technologies de pointe. La concurrence risque de faire plonger certaines entreprises locales dans une situation difficile, obligeant le gouvernement à intervenir pour soutenir la production nationale. Les secteurs les plus exposés sont justement ceux qui pourraient voir l’arrivée d’usines chinoises ou européennes. « Le textile, l’agroalimentaire ou les composants industriels vont devoir opérer un pivot stratégique. Quoi qu’on en dise, nous entrons dans une phase où l’innovation logistique, la compétitivité intelligente et la diplomatie économique agile ne sont plus des options, mais des nécessités vitales. Cette nouvelle donne est aussi une opportunité déguisée : celle de réinventer nos chaînes de valeur en intégrant plus de transformation locale, d’industrialisation avancée et de partenariats Sud-Sud », nous explique le spécialiste en géopolitique.
Par ailleurs, l’effet de seuil est réel. Si trop d’entreprises décident de délocaliser leur production au Maroc pour bénéficier des 10% de droits de douane, Trump pourrait bien constater que ses objectifs de relocalisation de la production aux USA sont en train de s’effondrer. La réaction ne se ferait pas attendre : on peut imaginer une révision à la hausse des droits de douane, voire une série de mesures punitives contre les entreprises qui exploiteraient ce tarif préférentiel pour contourner les barrières commerciales.
Et si tout cela n’était qu’entre la Chine et les USA ?
Si seules les entreprises chinoises venaient à investir massivement au Maroc pour compenser leurs pertes de parts de marché dues aux taxes américaines, cela pourrait poser problème. Toutefois, les États-Unis suivent la même logique d’investissement, notamment à travers l’Initiative Atlantique portée par le Maroc. Washington est conscient des accords entre Rabat et Pékin et en tient compte.
La question des règles d’origine joue aussi un rôle important. « Les entreprises chinoises ne peuvent pas simplement utiliser le Maroc comme une plateforme d’exportation, elles doivent transformer leurs produits localement, ce qui prend du temps », détaille Professeur Jedlane à LeBrief. De ce fait, le risque de tensions reste limité.
« Il est essentiel de comprendre que Donald Trump ne raisonne pas uniquement en termes de gains ou de pertes à court terme. Sa politique vise avant tout à consolider la position des États-Unis en tant que leader économique mondial. Il cherche à renégocier avec ses partenaires avant d’affronter directement la Chine sur le terrain commercial, économique et monétaire », poursuit l’économiste.
Ces tensions s’inscrivent dans un contexte plus large où le dollar et la puissance économique des États-Unis sont remis en question par l’émergence des BRICS, qui regroupent désormais plus de vingt pays représentant 45% de la population mondiale. La Chine, en particulier, tente d’imposer une monnaie adossée à l’or, un système de paiement alternatif au SWIFT et une banque concurrente du FMI et de la Banque mondiale.
Face à cela, Trump agit de manière stratégique pour maintenir la suprématie économique des États-Unis, quitte à engendrer des conséquences sur l’inflation et la croissance. Un autre point très important concerne la dépréciation du dollar. Si à court terme, les marchés anticipent une dépréciation du billet vert en raison de l’inflation et des hausses de taux d’intérêt, Trump cherche, à moyen et long terme, à relocaliser les investissements et à réduire les déficits commerciaux, ce qui devrait mener à une réévaluation du dollar et limiter les tensions inflationnistes.
Mais une incohérence de la politique américaine demeure… La main-d’œuvre. « D’un côté, Trump veut expulser les travailleurs étrangers et limiter l’immigration clandestine, de l’autre, il encourage la relocalisation des investissements, ce qui nécessite une main-d’œuvre disponible. Avec un taux de chômage à 4,2% aux États-Unis, cette contradiction pourrait exercer une pression sur le marché du travail et alimenter des tensions économiques supplémentaires », conclut Professeur Jedlane.
Libre-échange, vraiment sans taxes ?
Mais LA question qui s’est rapidement posée, c’est est-ce vraiment une faveur des USA envers le Maroc ?
Pour comprendre, il faut revenir à la base : un accord de libre-échange (ALE) ne signifie pas forcément zéro taxes sur tous les produits. Comme nous l’explique Professeur Nabil Adel : « Les droits de douane ne sont pas uniformes sur tous les produits, objets d’un ALE. Il y a toujours des mesures de sauvegarde de certains secteurs. De même, ALE ne signifie pas forcément 0% de droits de douane, mais plutôt une tendance à la baisse de ceux-ci ».
En clair, certains produits américains entrant au Maroc continuent d’être taxés, car l’État marocain protège certains secteurs stratégiques, comme l’agriculture ou l’industrie locale. Un ALE, c’est surtout une ouverture progressive du marché, avec des négociations sur les exceptions et les délais d’application.
Trump aurait-il exagéré la réalité en laissant entendre que le Maroc imposait 10% de taxes sur des produits censés être exonérés ? Possible. Ce chiffre ne reflète pas toute la complexité des accords commerciaux. Et surtout, il passe sous silence un point important : même dans un cadre d’échanges privilégiés, chaque pays garde des marges de protection pour ses propres intérêts.
L’ironie, c’est que si Trump voulait pointer du doigt un pays qui profite de l’ALE, c’est plutôt vers les États-Unis qu’il devrait se tourner. « Sur le plan commercial, le Maroc demeure déficitaire, car il importe davantage qu’il n’exporte vers les États-Unis, avec un volume d’exportations de 1,9 milliard de dollars contre près de 6 milliards d’importations », nous explique Professeur Jedlane. Autrement dit, ce sont surtout les États-Unis qui vendent au Maroc, pas l’inverse.
Ce débat sur les droits de douane montre une chose : les relations commerciales internationales ne sont jamais aussi simples qu’un pourcentage annoncé en conférence de presse. Le Maroc, lui, semble bénéficier d’un « coup de pouce » inattendu avec ces 10% sur ses exportations vers les USA. Mais la vraie question est ailleurs : les entreprises saisiront-elles cette opportunité pour produire au Maroc et exporter vers l’Amérique ? Et si oui, Trump verra-t-il d’un bon œil que son propre protectionnisme encourage indirectement l’investissement en Afrique plutôt qu’aux États-Unis ?
À suivre…
3 questions à Abdelghani Youmni, professeur à Sciences Po en France et professeur d’économie et management public à Honories Universities.
-LeBrief : quels sont les effets de la guerre commerciale sur l’économie mondiale et sur le commerce international ?
– Abdelghani Youmni : En tant que superpuissance, les États-Unis d’Amérique ont imposé, à leurs alliés de l’après-Seconde Guerre mondiale, le dollar comme monnaie de référence suite aux accords de Bretton Woods, la création du Fonds Monétaire International (FMI) et du GATT, devenu par la suite l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). À travers ces institutions, les États-Unis ont promu un modèle de capitalisme libéral et multilatéral, qui a donné naissance à la mondialisation… et, ironiquement, à l’émergence de la Chine comme future puissance économique.
Aujourd’hui, l’administration américaine à tendance protectionniste dirigée par Donald Trump a déclenché une guerre commerciale contre plus d’une centaine de pays. Elle a remis en cause la plupart des accords de libre-échange signés par les précédentes administrations et imposé des droits de douane allant de 10% à 45% sur les importations de produits manufacturés et transformés. Trump justifie ces mesures par la sécurité nationale, en arguant que les délocalisations et le dumping ont fait chuter la part de l’industrie dans le PIB américain, passée de 28,1% en 2001 à 17,4% en 2024.
Sa politique commerciale agressive vise à réduire le déficit commercial, passé de 500 milliards de dollars en 2016 à 1 000 milliards en 2024. Mais cette stratégie a déclenché des représailles commerciales de la part de la Chine et de l’Union européenne avec des contre-tarifs. Les conséquences immédiates sont visibles : hausse des prix, ralentissement de l’activité, hausse du chômage, baisse du pouvoir d’achat, et faillites en série dans certains secteurs. En seulement 48 heures, les bourses américaines ont perdu 2.000 milliards de dollars et le dollar s’est déprécié de 2,62% face à l’euro.
À l’échelle mondiale, les places boursières ont toutes réagi à la baisse, et le prix du baril de pétrole a également chuté. Il faudra entre un et trois mois pour mesurer pleinement les conséquences macroéconomiques et monétaires de ce séisme commercial, qui risque d’entraîner plusieurs économies dans la récession, avec un possible retour à la déflation, lié à l’effondrement de la demande mondiale et au décrochage définitif de certaines monnaies du dollar à commencer par le Yuan chinois.
-LeBrief : quels seront les effets de la guerre commerciale menée par l’administration Trump sur l’économie française, en termes d’exportations et d’emplois ?
– Abdelghani Youmni : La zone euro réalise 18% de ses exportations vers les États-Unis, mais cette part est fortement concentrée sur l’Allemagne, l’Italie et l’Irlande qui représentent à eux seuls 50% de ce volume. En comparaison, la France exporte 52,7 milliards d’euros vers les États-Unis, soit seulement 1,6% de son PIB.
Cependant, ces exportations françaises sont très concentrées sur des secteurs stratégiques et très sensibles car à clientèle concentrée, comme les vins et spiritueux, les produits de luxe (parfums, cosmétiques), et surtout l’aéronautique. En 2024, la France a exporté 4,5 milliards d’euros de biens liés au luxe,9 milliards d’euros d’aéronefs et engins spatiaux,3,6 milliards d’euros de produits pharmaceutiques, et 4 milliards d’euros de vins et spiritueux.
Ces produits dépendent fortement du marché américain, et pour certains, aucun autre marché ne peut compenser une perte d’accès équivalente. Une guerre commerciale ou des restrictions ciblées auraient donc des conséquences lourdes sur ces filières, en particulier sur les vignobles et l’industrie du luxe, déjà exposés à une dépendance croissante envers les marchés américain et chinois.
-LeBrief : quels pourrait être les impacts économiques de la guerre commerciale initiée par l’administration Trump sur le Maroc, en termes de pertes potentielles et d’opportunités ?
– Abdelghani Youmni : Le Maroc n’est pas directement visé par la hausse des tarifs douaniers décidée par l’administration Trump. La hausse de 10% appliquée à certains produits marocains reste symbolique. D’ailleurs, le Maroc enregistre un déficit commercial avec les États-Unis, et les échanges bilatéraux restent modestes, atteignant en moyenne 5,8 milliards de dollars, dont seulement 2 milliards à l’export en 2024. Ces exportations marocaines concernent principalement le textile, les engrais chimiques et les agrumes, et représentent à peine 4,1% des exportations nationales.
En revanche, l’Union européenne, principal partenaire commercial du Maroc (plus de 68 % des échanges), est nettement plus exposée. Environ 70 % de ses exportations vers les États-Unis, soit 380 milliards d’euros, sont concernées par la hausse des droits de douane, ce qui pèse sur la demande américaine.
L’argument américain évoquant une politique commerciale « agressive » de l’UE et du dumping est contestable : l’excédent commercial européen vis-à-vis des États-Unis est limité à 49,8 milliards d’euros, sur un total de 1 648 milliards d’euros d’échanges de biens. De plus, cette lecture est biaisée si l’on exclut les services : en intégrant les services numériques (notamment les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et les services financiers, les États-Unis enregistrent en réalité un excédent de 168 milliards d’euros avec l’UE.
À moyen terme, si la guerre commerciale devait se prolonger, ce qui reste peu probable, elle pourrait freiner la croissance mondiale et affecter indirectement l’économie marocaine. Comme dans tout dilemme du prisonnier, seule une coopération entre les grandes puissances permettrait d’en limiter les dégâts et de préserver les gains collectifs. La formule d’Abigail Van Buren illustre bien ce piège : « Ceux qui combattent le feu par le feu finissent généralement entourés de cendres ».
En fin de compte, dans cette escalade de ripostes commerciales, ce sont les marchés financiers et les groupes de lobbys industriels, militaires et du numérique qui imposeront leurs limites. Cela pourrait conduire à un rééquilibrage progressif du commerce mondial et de nouveaux accords, marqué par une démondialisation par paliers, sans pour autant signifier la mort du libéralisme économique. Mais si cette dynamique devait s’intensifier, elle risquerait de remettre en cause la société de consommation, le modèle du welfare et le contrat social entre générations, en particulier dans les pays industriels et riches.