Sahara : 4 ans pour tout régler ?
Le retour de Donald Trump n’est une surprise pour personne. Il l’avait mauvaise aux dernières élections et nous étions tous persuadés d’un retour imminent, ne serait-ce que par orgueil narcissique. Et, comme prévu, le phénix est de retour, avec, cette fois-ci, des décisions encore plus stupéfiantes que pour le premier mandat.
Mais nul besoin de s’attarder sur les problèmes liés au retrait des USA de l’OMS ou de l’Accord de Paris. Questionnons-nous plutôt sur la première cause marocaine, à savoir son Sahara. Un second mandat pour Trump, est-il un signe d’espoir pour le Maroc ?
Ce nouveau mandat de Trump est très important. Comparons cela à une fenêtre de quatre ans qui s’ouvre, à nouveau. Une rare chance de solidifier des avancées historiques, surtout concernant le dossier du Sahara. La reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur ce territoire, obtenue à la fin de son premier mandat, est une victoire incroyable pour l’Histoire moderne du pays. Les jeux sont faits alors ? Pas du tout ! Il y a encore l’affaire de l’investissement des États-Unis au Sahara, les consulats et l’intégration des USA d’autres façons. Tout est à faire, et le Maroc détient une belle main de cartes communes.
America first, une opportunité pour le Maroc
Faisons un petit tour du côté de l’investiture de Donal Trump, le lundi 20 janvier, à 12h03 à Washington (18h03 à Casablanca). À cette occasion, Trump a entonné son très attendu discours. Dans ce texte, il a clairement présenté ses priorités, à savoir la souveraineté nationale, la sécurité et le rejet d’ingérences extérieures. L’Amérique qu’il propose est forte, stable et centrée sur ses propres intérêts.
À première vue, l’on pourrait penser à du protectionnisme revanchard. Trump utilise une politique protectionniste, mais pas pour se fermer aux échanges. Il souhaite rééquilibrer la mondialisation, car il considère que les Etats-Unis en ont été les grands perdants. « Son objectif est de maintenir le libre-échange, tout en rééquilibrant les relations. Par exemple, Trump trouve inacceptable que les véhicules européens entrent sur le marché américain avec des droits de douane de 2,5%, tandis que les véhicules américains, eux, subissent des droits de 10%. C’est ce genre de déséquilibre qu’il veut corriger », explique Professeur Nabil Adel, enseignant-chercheur en économie, à LeBrief.
Lire aussi : Retour de Donald Trump, good or bad pour le Maroc ?
Pourtant cette approche, bien que tournée vers l’intérieur, est une réelle chance pour des pays comme le Maroc, qui cherchent à se positionner comme partenaires stratégiques. Dans l’univers de Trump, où le business est maître, seules les alliances profitables sont appréciées.
Mais attention, toutefois, à ne pas se leurrer. Cette chance est limitée. Quatre ans, c’est à la fois bref et long dans le monde géopolitique. Le Maroc doit se montrer rapide, efficace et précis pour clore le dossier du Sahara. L’on parle là d’une diplomatie active, d’une stratégie économique sérieuse et d’une forte capacité à prévoir les caprices de l’administration, d’un côté, comme de l’autre. Les problématiques seront nombreuses : tensions avec l’Algérie, pression des acteurs européens ou encore lobbying des partisans du Polisario. Ça n’en finit pas !
En écoutant le discours de Trump, riche en métaphores et tournures de phrases à peine voilées, le Maroc peut voir les contours de son propre avenir. Ce n’est pas juste répondre aux attentes américaines, mais faire de ces années un moment décisif pour sa souveraineté et son rôle régional. Dans un monde d’incertitudes, chaque occasion manquée peut entraîner des regrets historiques.
Oui, il s’agit bien d’écrire les pages de l’histoire, car celle-ci nous a appris une chose : les grandes victoires ne se donnent jamais facilement, elles demandent patience, efforts et stratégie, même au cœur des tempêtes.
Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre.Sun Tzu
Un premier mandat victorieux
Lors d’une visite privée aux Etats-Unis en 1992, feu le roi Hassan II avait reçu Donald Trump et son ex-épouse au Plaza Hotel de New York DR
Retour quelques années en arrière. L’histoire du Maroc est souvent marquée par des alliances assez surprenantes et rien ne montre cela mieux que la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara. (Même si, rappelons-le, les relations Maroc-USA remontent à 1777)
Décembre 2020 : dans le cadre d’une fin de mandat agitée, Donald Trump, alors président, signe une déclaration qui, en quelques phrases, change le paysage diplomatique. Un geste audacieux, à l’image de son signataire, qui est vu au Maroc comme une véritable victoire. Le couronnement d’années de campagne habile et de politique extérieure stratégique et visionnaire. « Au début de son premier mandat, il y a eu une incompréhension, notamment à cause du financement de la campagne d’Hillary Clinton par le Maroc, ce que Trump a mal interprété. Cependant, il a rapidement compris que le Maroc n’était pas hostile à sa politique, mais agissait dans un autre cadre. Après avoir reconnu la marocanité du Sahara, Trump a exprimé presque des regrets de ne pas l’avoir fait plus tôt dans son mandat. Il semble que, dans son second mandat, Trump pourrait renforcer ce soutien, car il est motivé par des considérations purement économiques », explique Pr. Nabil Adel.
Lalla Meryem accueille Ivanka Trumps, le 7 novembre 2019, à Rabat © AP/SIPA
Ce succès diplomatique ne vient pas de nulle part. C’est le résultat d’une construction patiente de relations bilatérales, que ce soit aux niveaux militaire, économique, culturel… Des exercices communs, comme African Lion, prouvent une relation stratégique, alors que les accords commerciaux et les investissements américains au Maroc font de cette alliance une réalité durable dans le temps. Grâce à ces actions, Washington voit le Maroc comme un allié fiable et comme un pivot régional capable de stabiliser un Nord-Ouest africain souvent troublé.
Cependant, rappelons-le, ce qui marquera cette période, c’est l’accord trilatéral Maroc-USA-Israël. Ce pacte unit des intérêts stratégiques et économiques à une normalisation diplomatique, formant une composition complexe et surtout inattendue. Mais chaque aspect de ce pacte a un but bien précis. Pour Rabat, c’est un risque calculé, pris dans l’espoir de recevoir un soutien ferme de la première puissance mondiale. Pourtant, bien que cette reconnaissance américaine soit une victoire, elle est aussi fragile. Les opposants à l’intégrité territoriale marocaine se sont vite organisés pour contester ce changement. L’Union africaine, que le Maroc a réintégré en 2017, est divisée, et l’Europe prend souvent une position hésitante. Oui, il en a fallu du temps à la France pour se ranger définitivement du côté marocain.
Lire aussi : Les dessous de la carte
Le premier mandat a apporté au Royaume un gain diplomatique immensément important. Ce deuxième mandat, quant à lui, sera une suite logique du premier, avec en bonus, une course contre le temps pour définitivement solidifier la souveraineté sur le Sahara dans les relations internationales.
À lire entre les lignes du discours, il est clair que Trump a réaffirmé son désir de redéfinir les priorités américaines, tout en proposant une politique où les alliances stratégiques et les intérêts nationaux se rejoignent. Pour le Maroc, l’objectif est clair : devenir un partenaire durable dans cette vision, en solidifiant les liens qui ont conduit à sa reconnaissance en 2020. Diplomatiquement, Rabat espère un soutien actif dans les instances internationales, surtout à l’ONU. Une résolution claire affirmant la souveraineté marocaine serait une victoire historique.
Économiquement, les promesses sont tout aussi importantes. Un partenariat renforcé avec les États-Unis pourrait ouvrir au Maroc des opportunités sans précédent, que ce soit pour obtenir des investissements dans des secteurs industriels, par exemple, ou pour s’intégrer davantage dans les chaînes de valeur mondiales. La position géographique du Royaume, entre l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, est un atout que Rabat doit continuer à exploiter.
Obstacles pour le Maroc et son Sahara
Le conseiller américain Jared Kushner et le roi Mohammed VI, à Rabat, le 28 mai 2019, discutant du plan de paix Palestine-Israël © AFP
Le premier obstacle pour le Maroc vient de l’instabilité de la politique américaine. Trump, connu pour ses opinions fermes et sa capacité à changer les règles, exige une surveillance constante. Les alliances, sous son administration, semblent souvent motivées par des intérêts pécuniaires, rendant difficile toute projection sur le long terme. En gros, le Maroc doit la jouer finement face à un businessman. « Il est clair que Trump est un homme d’affaires avant tout. Le Maroc, avec sa position géographique stratégique et ses projets économiques ambitieux, est un partenaire avec lequel il pourrait travailler. Trump apprécie les relations commerciales basées sur le principe du win-win et le Maroc, qui évite les confrontations inutiles, s’inscrit parfaitement dans cette logique », détaille Pr Nabil Adel.
Un autre obstacle important provient de l’opposition internationale. L’Algérie, qui appuie le Polisario, déploie beaucoup d’efforts pour freiner les avancées du Maroc. Via son lobbying auprès des instances européennes et africaines, ainsi que ses alliances avec des pays comme la Russie, elle représente une menace directe pour les objectifs du Maroc. Chaque succès diplomatique de Rabat est souvent suivi d’une réaction d’Alger.
Le contexte africain n’est pas de tout repos. Bien que le Maroc ait rejoint l’Union africaine en 2017 pour croître son influence, des désaccords sur le Sahara sont toujours là. Plusieurs pays continuent d’apporter leur soutien au Polisario, ce qui complique la recherche de consensus.
Par ailleurs, le défi économique est à prendre avec des pincettes. Si les États-Unis représentent une possibilité de partenariat stratégique, le Maroc doit diversifier ses alliances pour éviter de devenir trop dépendant d’une seule puissance. Il doit savoir la jouer finement dans un monde où les tensions entre grandes puissances sont très présentes. Le Royaume doit manœuvrer soigneusement entre les États-Unis, l’Europe et la Chine, tout en renforçant sa position en tant qu’intermédiaire entre ces blocs et l’Afrique.
Les implications géopolitiques pour le Maroc
Le rôle des Etats-Unis sur la scène internationale donne à leur position sur le Sahara un poids plus gros par rapport aux autres acteurs. Chaque soutien est important, mais celui des États-Unis fait taire l’Algérie, qui a réagi après chaque reconnaissance, SAUF celle de Trump. En soutenant Rabat, Trump a modifié les dynamiques de pouvoir, obligeant même les plus sceptiques à revoir leurs opinions. C’est une belle avancée, mais le but ultime du Maroc serait d’intégrer une logique où la souveraineté sur le Sahara serait acceptée comme allant de soi !
Dans tout ce brouhaha, il ne faudrait pas oublier la frappe économique. Un joker que le Maroc a en sa possession. Qu’il s’agisse de sa centrale solaire Noor, de son TGV, de ses investissements massifs en Afrique, des énergies renouvelables, des infrastructures, du tourisme… Le Maroc est un partenaire de choix pour quiconque veut investir dans les innovations africaines. Et qui ne voudrait pas se faire une place au soleil ?
La localisation géographique du Maroc attire les investisseurs américains, car elle les positionne à l’intersection de trois continents. Ce n’est pas juste une proximité avec l’Europe ou un accès aux nouveaux marchés africains. Le Maroc se présente comme un centre logistique, un hub pour les entreprises désirant se positionner dans une région où la stabilité politique est rare. L’on parle là des zones franches à Tanger et à Kénitra, ainsi que les projets de ports modernes et les infrastructures ferroviaires.
Dans ce contexte, le partenariat avec les États-Unis est important. Les accords de libre-échange de 2006 fournissent une base pour améliorer les relations économiques. Pour que ces accords aient un impact politique durable, Rabat doit prouver qu’elle peut offrir des opportunités attractives aux entreprises américaines. Des domaines tels que les énergies renouvelables, les technologies avancées et l’agriculture de qualité pourraient attirer l’attention de Washington.
À qui mieux mieux ?
Le 11 novembre 2018, à Paris. De g. à dr.: le premier ministre canadien, Justin Trudeau, le prince héritier Moulay El Hassan, le roi Mohammed VI, Mélania Trump, le président des États-Unis, Donald Trump, l’ex-chancelière allemande, Angela Merkel, le président français, Emmanuel Macron, et sa femme, Brigitte, le président russe, Vladimir Poutine, et le gouverneur général de l’Australie, Peter Cosgrove © LUDOVIC MARIN/POOL PHOTO VIA AP
Dans la lutte autour de la question du Sahara, le champ de bataille est plus large que la diplomatie et les réunions à l’ONU. Cela inclut aussi les perceptions des gens. La reconnaissance américaine, bien qu’officielle, n’est pas la fin des discussions. Il y a une autre bataille pour changer les attitudes et les perspectives, où l’opinion publique est aussi importante que la diplomatie.
Donc, le Maroc doit, premièrement, démontrer que sa souveraineté sur le Sahara est une réalité historique, culturelle et sociale, et non une simple revendication. Deuxièmement, il doit lutter contre une image négative souvent alimentée par des campagnes de désinformation. Dans ce contexte, chaque visuel et chaque histoire a son importance.
Lire aussi : Sahara : La RS Berkane bloquée à l’aéroport d’Alger
Pour répondre à cela, Rabat a mis en place une stratégie réfléchie. À travers des initiatives culturelles, le Maroc tente de lier le Sahara à son identité nationale. Les festivités culturelles, les expositions d’art sahraoui et autres activités ne sont pas seulement des moyens de promotion, elles portent aussi un message politique sur l’appartenance de ces régions.
Mais au-delà de la culture, Rabat comprend que la communauté internationale se préoccupe de questions de justice et de développement. C’est pourquoi ses efforts pour transformer les provinces du Sud en modèles de croissance ont pour but de montrer que le Maroc œuvre pour un projet qui soit inclusif et durable, en réaction aux critiques de marginalisation.
La reconnaissance américaine du Sahara, bien qu’importante, reste donc précaire, exposée à la fluctuation de la politique étrangère américaine et à la pression d’une communauté internationale divisée.
La première chose à faire est de renforcer les avancées diplomatiques. Ce n’est pas suffisant que les États-Unis soutiennent le Maroc, ce soutien doit entraîner un accord international. Pour cela, Rabat doit augmenter ses efforts dans les organisations multilatérales, surtout aux Nations unies, en ralliant ses alliés habituels et en persuadant les sceptiques. « Mais le Maroc peut demander plus aux États-Unis. Sortir le dossier du Sahara de la quatrième commission, imposer le plan d’autonomie, inscrire le Polisario comme organisation terroriste… », explique Pr. Nabil Adel.
Ivanka Trump en voyage à Dakhla, en juillet 2022 © compte Instagram Ivanka Trump
L’urgence d’agir de manière unie et rapide se voit aussi dans la communication. À une époque où les perceptions sont importantes, le Maroc doit intensifier ses efforts pour clarifier sa position, pas seulement auprès des gouvernements, mais aussi des citoyens. Une communication efficace, basée sur des histoires vraies et des messages simples, peut changer les mentalités et obtenir un soutien plus large.
Voir cette publication sur Instagram