La réforme législative de la profession de commissaire de justice selon la loi n° 46.21

Dans le cadre de la dynamique législative que connaît le système juridique marocain, visant à améliorer la performance des institutions judiciaires et à moderniser leurs structures, la loi n° 46.21 relative à l’organisation de la profession de commissaire de justice a été promulguée.

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Publié le 17/06/2025 à 9:56

Tribune

Yassine Kahli

Conseiller juridique et chercheur en sciences juridiques

Elle marque ainsi la fin d’une étape juridique précédente ayant duré plus de deux décennies, durant lesquelles la profession était régie par les dispositions de la loi n° 81.03. Bien que cette dernière ait constitué, à son époque, une référence réglementaire importante, les mutations de la justice moderne et les contraintes professionnelles et sociétales qui en ont découlé ont rendu nécessaire une refonte de l’architecture juridique de la profession, en vue de sa rationalisation et de son adaptation aux principes de bonne gouvernance et de qualité de la performance judiciaire.

Ce nouveau texte a été promulgué par le dahir chérifien n° 1.25.49 en date du 6 juin 2025, et publié au Bulletin officiel n° 7412 du 12 juin 2025. Il entrera en vigueur à compter du 12 septembre 2025, soit trois mois après sa publication, conformément à l’article 170. Durant cette période transitoire, les dispositions de l’ancienne loi demeureront applicables, sauf en cas de contradiction avec les nouvelles dispositions, illustrant ainsi le principe de sécurité juridique et la stabilité des situations professionnelles.

Renforcement des conditions d’accès à la profession

L’une des principales nouveautés de ce cadre législatif réside dans la révision des conditions d’accès à la profession de commissaire de justice. Désormais, seuls les titulaires d’une licence en droit ou en charia, ou d’un diplôme équivalent, peuvent se porter candidats, traduisant ainsi la volonté du législateur de réserver l’exercice de la profession à une catégorie spécialisée disposant d’une formation juridique académique minimale. En outre, l’exigence d’intégrité pénale est renforcée, en excluant toute personne ayant fait l’objet d’une condamnation pour des infractions financières ou de faux, même en cas de réhabilitation, témoignant ainsi d’un choix strict en faveur de la moralisation de la profession et du renforcement de la confiance publique. De même, toute personne ayant fait l’objet d’une décision disciplinaire de révocation ou de radiation est exclue de l’accès à la profession, en cohérence avec les exigences d’intégrité morale et professionnelle.

Réforme du système de formation et de stage

Sur le plan de la qualification professionnelle, la nouvelle loi instaure une approche différente de celle précédemment en vigueur. Elle impose un stage d’un an, dont la moitié s’effectue dans un établissement de formation agréé et l’autre moitié au sein d’un office de commissaire de justice. L’obtention du titre définitif est conditionnée par la réussite à un examen de fin de stage, consacrant ainsi le passage d’un modèle d’intégration directe à un processus progressif de qualification, combinant savoir théorique et pratique de terrain, gage d’efficacité professionnelle future.

Par ailleurs, le régime des exemptions au concours a été revu. Si certaines catégories, telles que les greffiers et les secrétaires assermentés, continuent à bénéficier de cette exemption, elles sont désormais tenues de suivre le stage et de réussir l’examen final, contrairement à ce que prévoyait l’ancien dispositif. Ce changement reflète une logique fondée sur l’équité et l’égal accès à la formation.

Encadrement rigoureux des incompatibilités et des formes de participation professionnelle

En matière d’incompatibilités, le législateur vise à garantir l’indépendance du commissaire de justice et son plein engagement dans l’exercice de ses fonctions, en élargissant la liste des activités incompatibles avec la profession. Outre les fonctions publiques et les activités commerciales, les missions d’expertise judiciaire, la gestion administrative des sociétés privées, ainsi que tout emploi salarié non expressément autorisé sont désormais proscrits. Cette limitation encadrée des activités parallèles vise à préserver la profession de tout conflit d’intérêts et à assurer la dignité et l’indépendance du commissaire.

Concernant la participation, la nouvelle loi fixe à quatre le nombre maximum de commissaires pouvant s’associer dans une même structure, et prévoit un cadre contractuel réglementé définissant les droits, obligations et mécanismes de dissolution de la société, marquant une avancée significative par rapport à l’ancien système, qui se limitait à reconnaître le principe de participation sans en encadrer les modalités.

Revalorisation du statut des secrétaires assermentés et élargissement de la responsabilité du commissaire

L’une des réformes majeures introduites par ce texte concerne l’élévation du niveau de qualification des secrétaires assermentés. La détention du baccalauréat n’est plus suffisante ; une licence devient désormais obligatoire. Ce changement traduit l’ambition du législateur de rehausser le niveau professionnel au sein même de l’office. En parallèle, le commissaire de justice est tenu pour responsable des fautes commises par ses secrétaires, consacrant ainsi le principe de contrôle interne et l’exigence de qualité du travail quotidien.

Renforcement des prérogatives de l’instance nationale et modernisation du régime disciplinaire

Sur le plan disciplinaire, la loi s’attache à clarifier la relation entre les conseils régionaux et l’instance nationale, en précisant les échelons des sanctions : avertissement, blâme, suspension temporaire, et révocation. Ce système reflète une vision fondée sur le principe de gradation des sanctions et sur le respect des garanties d’un procès disciplinaire équitable.

Les pouvoirs de l’instance nationale sont également élargis. Elle est désormais compétente pour élaborer un code de déontologie, initier des projets sociaux au bénéfice des professionnels, assurer le suivi de leur obligation d’assurance professionnelle, et organiser les élections de ses responsables selon des standards renforcés de transparence et d’institutionnalisation.

En conclusion, à la lumière de cette analyse, la loi n° 46.21 marque une nouvelle étape dans le processus de réforme de la profession de commissaire de justice au Maroc. Elle adopte une approche fondée sur la revalorisation de la profession, en la rendant plus professionnelle, plus indépendante et plus performante dans son environnement judiciaire et social.

Le législateur dépasse ainsi la simple logique réglementaire pour instaurer un véritable processus de professionnalisation et de structuration institutionnelle, permettant à cette profession d’accompagner les mutations profondes de la justice marocaine et de renforcer son rôle de partenaire stratégique dans la consolidation de la sécurité juridique.

Cela dit, le succès de ce nouveau cadre législatif dépendra de sa mise en œuvre effective sur le terrain, soutenue par une volonté politique et professionnelle claire, dépassant le texte pour s’ancrer dans la pratique, en gardant toujours à l’esprit que la justice n’est pas seulement un pouvoir, mais un pilier de la confiance sociale et une responsabilité partagée.

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