Gestion de l’eau : quand une goutte vaut de l’or
Ce n’est plus un secret pour personne, le Maroc traverse un stress hydrique sévère et sa gestion de l’eau devient primordiale. C’est l’une des raisons pour lesquelles le roi Mohammed VI a demandé aux citoyens de s’abstenir du rite sacrificiel de Aïd al-Adha cette année. Ces dernières années, le Royaume a subi de plein fouet les effets du changement climatique. Le déficit pluviométrique chronique et l’irrégularité des précipitations ont des répercussions importantes sur la vie quotidienne des Marocains, en particulier dans le secteur agricole. Ce dernier représente à lui seul près de 14% du Produit intérieur brut national (PIB) et demeure le deuxième plus grand pourvoyeur d’emplois au Maroc (40%), après les services (48%).
En 2024, la température moyenne annuelle observée est supérieure de 1,5°C par rapport à la normale de la période de référence 1990-2001Mais pour aborder la situation hydrique, il est impératif de parler du climat, notamment de la température, qui est le premier indicateur, a indiqué Abdelaziz Zerouali, directeur général de l’hydraulique au ministère de l’Équipement et de l’Eau.
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En 2024, la moyenne annuelle observée est supérieure de 1,5°C par rapport à la normale de la période de référence 1990-2001. Si l’on considère une série climatique plus longue (1990-2020), cette augmentation atteint 1,8°C. Cette tendance confirme une hausse continue des températures, comme l’a souligné le ministre lors de son intervention.
Cette élévation des températures a des effets directs sur la demande en eau, en particulier dans le secteur agricole, où les besoins en irrigation s’intensifient. Par ailleurs, l’augmentation de l’évaporation contribue à la dégradation et à la salinisation des sols, a-t-il expliqué lors d’un panel en marge de la 17ᵉ édition du Salon international de l’agriculture au Maroc (SIAM).
Il a ajouté qu’un autre effet notable concerne la consommation d’eau potable. Traditionnellement, la période de pointe de la demande était concentrée en août, avec une hausse de 20% par rapport à la moyenne annuelle. Toutefois, ces dernières années, cette période de forte demande tend à s’allonger, ce qui indique une pression croissante sur les ressources.
La pluie se fait toujours désirer
Le second paramètre préoccupant est la pluviométrie. Au cours des sept dernières années, le Maroc a connu un déficit pluviométrique constant. Cependant, il a reconnu que l’année 2024 avait bien débuté grâce à des crues exceptionnelles dans les bassins du Sud et du Sud-Est. Néanmoins, la tendance générale reste inférieure à la normale. Certains bassins, comme ceux de Loukkos ou de Sebou, affichent des niveaux corrects, contrairement à d’autres qui sont largement déficitaires.
En raison de la raréfaction des ressources et de l’aggravation des effets du changement climatique, le ministère, en collaboration avec l’ensemble des acteurs concernés, mène un travail d’évaluation, de modélisation et de planification des ressources hydriques au niveau nationale. Il ajoute que l’approche adoptée est globale, scientifique et participative.
« Il s’agit d’un travail de fond », affirme Abdelaziz Zerouali, « qui commence par une évaluation rigoureuse des ressources disponibles, passe par la modélisation du partage de l’eau et se traduit sur le terrain par des aménagements concrets pour anticiper et gérer la pénurie ». Cette démarche s’appuie sur des données actualisées, des outils de simulation et une vision à long terme.
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Tout en précisant que l’un des objectifs stratégiques fixés par les plus hautes autorités du Royaume, sur instruction du roi Mohammed VI, est de garantir l’approvisionnement en eau potable à 100% de la population et de satisfaire, par la même occasion, 80% de la demande en eau agricole, Abdelaziz Zerouali estime que cet objectif est réalisable au regard des projets en cours.
Optimiser la gestion de l’eau disponible
Le programme de gestion intégrée des bassins versants prévoit également des actions concrètes pour améliorer l’efficience de l’irrigation, en mettant l’accent sur l’économie d’eau et l’équité dans la répartition. Le rôle des collectivités locales, des agences de bassins hydrauliques, des agriculteurs et du secteur privé est essentiel dans cette démarche collaborative.
Inscrit dans la programmation pluriannuelle à l’horizon 2027, ce vaste chantier hydrique reflète une volonté forte de construire un avenir plus résilient face à la crise de l’eau. La mise en œuvre progressive de ces projets stratégiques permettra de soulager les pressions sur les ressources actuelles et d’élargir les capacités du pays à répondre aux besoins futurs.
moins de 5% de l’eau utilisée en agriculture est réellement « exportée » via les cultures destinées aux marchés étrangersZakaria El Yacoubi, directeur de la Direction de l’Irrigation et de l’Aménagement de l’Espace Agricole au ministère de l’Agriculture, souligne que ce stress hydrique a engendré des répercussions non seulement techniques, mais également sociales et économiques. Selon lui, l’un des points essentiels à aborder est la répartition de l’eau utilisée dans l’agriculture et la perception parfois erronée de sa consommation réelle.
Contrairement à certaines idées répandues, il a été démontré que moins de 5% de l’eau utilisée en agriculture est réellement « exportée » via les cultures destinées aux marchés étrangers. En d’autres termes, 95 % des ressources en eau dédiées à l’agriculture restent sur le territoire national. Ce taux d’exportation est l’un des plus faibles au monde, ce qui place le Maroc dans une position plutôt vertueuse par rapport aux standards internationaux en matière de bilan hydrique agricole.
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Par ailleurs, il a clarifié la distinction entre les concepts de consommation physique d’eau par culture et celui d’empreinte hydrique. Si les cultures varient relativement peu en termes de volumes physiques d’eau consommée, avec un facteur de variation allant de un à deux, l’empreinte hydrique, quant à elle, révèle des écarts beaucoup plus importants. Cette dernière mesure l’eau utilisée pour produire un kilogramme de produit agricole. Ainsi, certaines cultures, fréquemment critiquées pour leur prétendue forte consommation d’eau, comme la tomate ou la pastèque d’exportation, se révèlent en réalité bien moins gourmandes en eau que les céréales, dont l’empreinte hydrique peut être dix à vingt fois supérieure.
Zakaria El Yacoubi souligne que l’exemple de l’avocat a été particulièrement instructif. Très médiatisée, cette culture d’exportation est souvent pointée du doigt. Pourtant, il a été démontré que l’eau utilisée pour produire les avocats destinés à l’export ne représente que 0,25% de l’ensemble de l’eau consommée par l’agriculture nationale. De plus, ces avocats sont produits dans des zones à surplus hydrique comme les bassins du Sebou ou du Loukkos, où une grande partie des ressources en eau s’écoule inutilement vers la mer.
Le dessalement, une alternative sérieuse
Pour sortir de cette impasse, il est primordial de trouver des alternatives viables, et le dessalement se présente comme une option prometteuse. En effet, au ministère de l’Équipement et de l’Eau, un programme de dessalement de l’eau de mer figure parmi les stratégies clés visant à répondre aux enjeux hydriques du pays. Ce programme a pour vocation de sécuriser l’approvisionnement en eau potable des grandes villes côtières, libérant ainsi les eaux de barrage pour l’agriculture. Plusieurs usines de dessalement sont en cours de construction, et les premiers résultats tangibles sont attendus entre 2028 et 2030. Abdelaziz Zerouali est convaincu qu’une fois que le programme de dessalement sera mis en place, en parallèle avec les autres projets structurants, la problématique de l’eau au Maroc ne sera qu’un lointain souvenir. Toutefois, cette stratégie repose sur la mobilisation continue de toutes les parties prenantes, la sensibilisation des citoyens à l’importance de la ressource et l’adoption de comportements responsables.
Cet avis est partagé par le directeur de l’Office régional de mise en valeur agricole (ORMVA) Souss-Massa, Nouredinne Kessa. Il estime que le dessalement est une aubaine pour les agriculteurs. Ce dernier a cité l’exemple de la plaine de Chtouka, particulièrement révélateur. Avec le lancement, en 2022, d’une station de dessalement de grande envergure, cette zone agricole a vu émerger un projet d’irrigation ambitieux couvrant 13.000 hectares. Cependant, l’enthousiasme du secteur agricole a dépassé les attentes : les souscriptions atteignent aujourd’hui 18.000 ha contre 13.000 ha initialement prévus. Ceci illustre à quel point les agriculteurs perçoivent le dessalement non comme une contrainte, mais comme une opportunité de développement durable et de rentabilité accrue, a-t-il soutenu.
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Aujourd’hui, le Maroc a amorcé un virage stratégique en matière de gestion de l’eau, avec le déploiement de grands programmes de dessalement de l’eau de mer. Ces projets visent à couvrir les besoins en eau potable des grandes villes côtières, ce qui permettra de libérer les eaux de surface (barrages) pour l’agriculture. En parallèle, des projets d’interconnexion entre les bassins permettront de récupérer une partie des eaux actuellement perdues, notamment dans les régions du nord, pour les rediriger vers les zones en déficit.
Cette stratégie vise à sécuriser les périmètres irrigués existants, mais aussi à développer de nouveaux projets agricoles orientés vers les cultures stratégiques pour la souveraineté alimentaire, comme les céréales, les légumineuses et les fourrages.