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Dépénaliser l’avortement au Maroc : une nécessité urgente selon Amnesty International

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La criminalisation de l’avortement au Maroc plonge des milliers de femmes dans une spirale de souffrance et de danger. Privées de recours légaux sûrs, elles se voient contraintes de risquer leur vie en recourant à des méthodes clandestines et périlleuses. Un récent rapport d’Amnesty International révèle les conséquences dévastatrices de cette législation restrictive, appelant à une réforme urgente pour protéger la santé et la dignité des femmes marocaines. Les détails.

 

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«Ma vie est brisée : L’urgence de dépénaliser l’avortement au Maroc», c’est l’intitulé d’un récent rapport d’Amnesty International. Il dresse des témoignages poignants de 33 femmes ayant cherché à obtenir un avortement et révèle des réalités choquantes et bouleversantes. Pour le mouvement, la criminalisation de l’avortement dans le pays, même en cas de grossesse résultant d’un viol, inflige des souffrances incommensurables aux femmes et aux filles.

Sous la menace constante d’emprisonnement, nombre d’entre elles sont contraintes de recourir à des méthodes clandestines et dangereuses pour mettre un terme à leur grossesse. Le document met donc en lumière les conséquences dévastatrices de cette politique sur la santé et la dignité des femmes marocaines. Il appelle ainsi les autorités marocaines à profiter de la réforme en cours du Code pénal et du Code de la famille pour dépénaliser l’avortement et les relations sexuelles hors mariage. Cela, dans l’objectif de faire respecter les droits des femmes et des filles, en s’appuyant sur les témoignages de femmes et sur une analyse des lois et des données officielles marocaines.

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Les conséquences de la criminalisation de l’avortement

La criminalisation de l’avortement au Maroc entraîne des conséquences graves pour les femmes et les filles, les exposant à des méthodes dangereuses, à des poursuites judiciaires et à l’exclusion sociale. Le témoignage de Ouiam, une femme de 28 ans condamnée à trois mois de prison pour relations sexuelles hors mariage après avoir été forcée de mener une grossesse à terme, illustre parfaitement ces souffrances. Ouiam déclare avoir perdu sa santé, son emploi et le respect des autres. Elle a même été séparée de ses enfants.

À travers ce document, Amnesty International indique que les lois marocaines sur l’avortement et les relations sexuelles hors mariage violent de nombreux droits fondamentaux des femmes, notamment le droit à la santé, à la vie privée, et à l’égalité.

Le rapport, établi sur des entretiens avec 33 femmes, des professionnels de la santé et des ONG, révèle que seules 14 femmes ont réussi à obtenir un avortement, tandis que les autres ont été contraintes de mener leur grossesse à terme. Quant aux femmes qui n’ont pas réussi à avorter, elles ont souvent été abandonnées par leur famille, ont subi des violences ou ont envisagé le suicide.

Il est important de rappeler que le Code pénal érige l’avortement en infraction, sauf dans des cas très limités où la vie ou la santé de la femme est menacée. Il doit, en outre, être seulement pratiqué par un médecin possédant les autorisations nécessaires. Ces dispositions, qualifiées de restrictives par Amnesty International, et combinées à l’absence de cadre juridique clair et accessible, ainsi qu’à la stigmatisation et aux menaces liées à l’avortement, font qu’il n’existe pratiquement aucune voie légale et sûre pour avorter pour la majorité des femmes au Maroc.

En dehors de ces rares exceptions, les femmes qui avortent ou tentent d’avorter risquent des peines de six mois à deux ans d’emprisonnement et une amende. Les professionnels de la santé qui pratiquent ou facilitent un avortement risquent d’un à cinq ans d’emprisonnement et peuvent être interdits d’exercer leur profession. Ils sont également contraints de violer le secret médical en témoignant si convoqués par un tribunal. L’incitation à l’avortement, y compris par la diffusion d’informations, est passible de deux ans de prison et/ou d’une amende.

Des témoignages accablants

Le rapport d’Amnesty International dresse des témoignages poignants de femmes marocaines victimes de viols et de violences sexuelles, révélant les graves conséquences de l’insuffisance de la réponse de l’État et de la culture d’impunité qui en découle.

Farah, par exemple, a été violée par son compagnon alors qu’elle était inconsciente à cause d’un choc diabétique. Nadia a été droguée par son partenaire, et Samia a été violée pendant son sommeil. D’autres histoires mettent en évidence la brutalité des viols commis par des inconnus ou sous coercition. C’est le cas de Soukaina. Forcée de travailler dans les champs à 14 ans, elle a été violée à 15 ans par le propriétaire des champs. Nezha a été, quant à elle, droguée et violée par deux inconnus, alors que Fadouaa a été enlevée et forcée d’épouser son violeur à 15 ans.

D’autres témoignages illustrent les conséquences désastreuses des violences domestiques et des mariages forcés. Par exemple, Zahra, issue d’une famille pauvre, a tenté en vain de provoquer un avortement avant d’être forcée d’épouser un homme violent, contractant ainsi le VIH et donnant naissance à trois enfants également infectés. Soukaina, quant à elle, a enduré 19 ans de violence conjugale, donnant naissance à trois enfants non désirés. Et, malgré des signalements aux autorités, son mari n’a reçu que des peines légères.

Les cas de harcèlement sexuel au travail ont aussi été mis en avant. Farah a subi du harcèlement sexuel constant dans un secteur dominé par les hommes. Dans une tentative de se protéger, elle a noué une relation avec un collègue qui a fini par la violer alors qu’elle était inconsciente. Son témoignage met en lumière les dynamiques de pouvoir et d’exploitation présentes dans certains environnements professionnels.

Enfin, les histoires de Nadia et Ghita révèlent comment l’exploitation et la violence sexuelle peuvent se produire dans des situations quotidiennes. Nadia a été violée par un homme plus âgé qu’elle avait rencontré à la sortie de son lycée. Pour sa part, Ghita, étudiante, a été abordée par un homme dans une voiture qui l’a ensuite violée, entraînant une grossesse non désirée.

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Les effets dévastateurs de l’avortement illégal

Le document pointe du doigt l’inaction des autorités marocaines pour assurer un accès sûr et légal à l’avortement. Cela entraîne de graves atteintes aux droits des femmes à la vie et à la santé, les expose à des violences et met en péril leur éducation et leur emploi. «Les avortements clandestins, souvent pratiqués dans des conditions dangereuses et sans informations nécessaires, mettent gravement en danger la vie et la santé des femmes et des filles. De nombreuses femmes tentent d’avorter par leurs propres moyens en utilisant des préparations à base de plantes, des méthodes pharmaceutiques et/ou des violences physiques inefficaces et dangereuses», lit-on.

Ibtissam, par exemple, a tenté plusieurs méthodes dangereuses pour avorter, allant de la consommation de plantes à l’application de pierres lourdes sur son ventre, sans succès. En outre, trois femmes ont déclaré avoir subi des violences physiques et psychologiques de la part des personnes pratiquant leur avortement.

La criminalisation de l’avortement dissuade également les femmes de demander des soins post-avortement. Certaines ont reçu des soins de mauvaise qualité ou ont été maltraitées par le personnel médical, tandis que d’autres ont été interrogées par la police à l’hôpital concernant leurs relations sexuelles hors mariage.

Que recommande Amnesty International ?

Le rapport d’Amnesty International appelle à une réforme urgente de la loi marocaine sur l’avortement. En ce sens, il rappelle que le 16 mars 2015, le roi Mohammed VI avait demandé une révision de la législation relative à l’avortement après plusieurs conférences et débats organisés par des acteurs de la société civile et des représentants de l’État. Cependant, bien qu’un projet de loi ait été adopté en 2016 pour permettre un accès limité à l’avortement, ce projet a été retiré en 2021 sans aboutir à une réforme législative effective.

Les conclusions du rapport soulignent que la législation marocaine actuelle ne respecte pas les obligations internationales du pays en matière de droits humains. Les atteintes aux droits des femmes, telles que l’avortement forcé, la criminalisation de l’avortement, et le refus de soins après avortement, sont considérées comme des formes de violence sexiste pouvant constituer de la torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

À cet égard, Amnesty International recommande plusieurs actions clés :

  • Dépénaliser l’avortement : retirer l’avortement du champ des infractions pénales et le considérer comme une question médicale relevant du ministère de la Santé.
  • Abroger les lois discriminatoires : abroger toutes les dispositions du Code pénal criminalisant l’avortement et les relations sexuelles hors mariage. Effacer le casier judiciaire des femmes condamnées pour ces raisons.
  • Réformer les cadres législatifs : modifier le Code pénal, le Code de procédure pénale et le Code de la famille pour assurer une protection effective contre les violences fondées sur le genre et éliminer les formes d’exclusion et de discrimination.
  • Adopter un cadre réglementaire : le ministère de la Santé doit adopter des directives conformes aux recommandations de l’OMS pour assurer des services d’avortement légaux, sûrs et de qualité. Cela inclut l’élimination des obstacles restrictifs tels que les délais d’interruption de grossesse déraisonnables et les autorisations de tiers.

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