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Cover chronique METRONOME
Hafid El Jaï Publié le 16/06/25 à 10:26
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Sacrifice

Ils pensaient sans doute bien faire. Se montrer exemplaires. Fidèles. Alors que le Roi a procédé, en son nom et au nom de l’ensemble du peuple marocain au rituel du sacrifice de Aïd Al-Adha, deux walis et non des moindres, ont fait de même pour les habitants des régions qu’ils administrent. Résultat : les deux hauts fonctionnaires de l’administration territoriale dans les régions de Marrakech-Safi et de Fès-Meknès, ont été démis de leurs fonctions sans ménagement et remplacés illico presto par deux gouverneurs qui assureront l’intérim. L’un a fondu en larmes en apprenant sa suspension. L’autre s’est effondré quand on lui a demandé, à la hâte, de libérer sa villa de fonction.
Plus de 20 ans de carrière pour l’un comme pour l’autre. Deux machines administratives rodées. Deux « anciens » qui connaissent chaque engrenage de l’Intérieur. Et pourtant, ils ont mal interprété l’appel royal à l’abstention d’accomplir le sacrifice du mouton pour Aïd Al-Adha. Le plus troublant, c’est que le scandale n’a pas éclaté sur le moment. Le sacrifice a eu lieu le jour même de l’Aïd, samedi. Mais la sentence n’est tombée que le mardi suivant — après que les vidéos des deux scènes soient devenues virales sur les réseaux sociaux. Comme si ce n’était pas tant l’acte en soi que sa médiatisation qui avait précipité la chute des deux walis.
À Marrakech, la mise en scène a frôlé l’absurde : un bélier de race « sardi », déchargé d’un véhicule de la protection civile, un soi-disant boucher qui lance des prières, sous les yeux du wali, silencieux. À Fès, la faute est plus subtile mais tout aussi grave : un mouton offert par le plus haut représentant du pouvoir dans la région aux Lions de l’Atlas, présents dans la capitale spirituelle pour disputer deux matchs amicaux.
On peine à croire qu’il s’agisse d’un simple malentendu. Ces hommes-là ne sont pas novices. Ils n’ignorent rien des protocoles. Eux-mêmes ont veillé des semaines avant l’Aïd à superviser le travail des agents d’autorité pour sensibiliser la population quant à l’importance de l’abstention pour la reconstitution du cheptel et encadrer la vente de bétail dans les garages non autorisés, de foin et de charbon utilisés à l’occasion. Alors comment ont-ils pu en arriver là ? Pourquoi aucun conseiller, aucun secrétaire général, aucun chef de service n’a osé les alerter ? Et les autres services de coordination ? Pourquoi n’ont-ils pas avorté cette initiative en informant Rabat avant que l’irréparable ne se produise ?
Et si, au fond, ce zèle n’était qu’une façon de montrer sa loyauté ? Ne l’oublions pas, le dahir de 1977 élève le wali au grade de représentant du Roi. Mais cela ne lui confère pas pour autant la qualité de délégué de la Commanderie des croyants. Quant à la Constitution de 2011, elle définit le wali comme représentant de l’État. L’État est tenu d’être transparent et de lier la responsabilité à la reddition des comptes. Ainsi, d’autres responsables de ces « sacrifices » doivent être identifiés : dans les ministères concernés, les conseils locaux des oulémas et les services décentralisés. Une communication claire sur les sanctions prises est indispensable pour éviter toute confusion. Quand les deux walis ont été suspendus, aucun communiqué n’a expliqué les raisons de cette sanction. À bon entendeur…
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