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Mobilisation contre la réforme des retraites : les syndicats français rêvent de refaire 1995 !

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Dans l’énergie, les transports, la fonction publique… La journée de mobilisation intersyndicale de ce jeudi 19 janvier constitue un premier test majeur pour les opposants à la réforme des retraites. Les syndicats espèrent une puissante mobilisation dans la durée.

Le gouvernement français affronte pour la première fois depuis 12 ans un mouvement syndical uni regroupant aussi bien les syndicats modérés, comme la CFDT, que les plus radicaux, comme la CGT et Force ouvrière. Et le président français Emmanuel Macron joue son crédit politique dans un pays fracturé.

Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, compte en effet faire mieux qu’en 1995. Sauf que le contexte est très différent aujourd’hui, avec le télétravail, et une inflation qui met à mal le pouvoir d’achat.

«Ce sera une très, très forte mobilisation. Il faut que ce soit du niveau de 1995, même de 2010», a-t-il déclaré dimanche sur France 3.

Mobilisation contre la réforme des retraites : les syndicats français rêvent de refaire 1995 !

Plusieurs commerces situés sur le parcours d’une manifestation ont décidé de placarder leurs vitrines, à la veille d’une grève nationale et de manifestations contre le plan de réforme des retraites. © Alain Jocard / AFP

Après trois mois d’échanges avec le gouvernement sur la réforme des retraites, l’état d’esprit des leaders syndicaux n’a pas varié d’un iota. Ils sont vent debout contre la principale mesure de ce projet qui devrait repousser à 64 ou à 65 ans l’âge d’ouverture des droits à une pension, conformément à un engagement de campagne d’Emmanuel Macron.

Éducation, énergie, transports… L’appel commun des syndicats contre le projet de réforme des retraites est particulièrement suivi dans plusieurs secteurs ce jeudi.

Trois Français sur quatre contre la réforme

Un verdict sans appel. Selon une étude de l’Institut Montaigne, dont les résultats ont été dévoilés ce jeudi 12 janvier par Le Parisien, 93 % des Français en âge de travailler estiment que l’âge légal de départ à la retraite ne devrait pas être rehaussé tel qu’il est fixé aujourd’hui, à savoir 62 ans.

«Cette fois, nous sommes devant une crise politique qui dépasse de loin le problème des retraites», résume Bertrand Martinot, de l’Institut Montaigne et auteur d’une étude sur le rapport qu’entretient la population active française à l’égard du travail. Comment expliquer que trois Français sur quatre se disent opposés à cette réforme alors que leur espérance de vie n’a cessé de s’allonger et que l’âge de départ à la retraite est déjà en France un des plus bas d’Europe ?

7 % C’est la proportion des Français actifs qui approuvent le report de l’âge de départ à la retraite au-delà de 62 ans, selon un sondage de l’Institut Montaigne, relayée par Le Parisien.

Ce rejet est particulièrement vif parmi les actifs. Selon un sondage de l’Institut Montaigne, à peine 7 % de ceux qui travaillent sont favorables à aller au-delà de cet âge. Selon ce sondage réalisé auprès de 5.001 actifs en emploi, ils sont 48 % à juger qu’un départ à 62 ans est «excessif», et seulement 45 % à le juger satisfaisant. Une opinion qui traverse toutes les catégories professionnelles.

Et la mobilisation contre la réforme est en effet massive ! Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, estime (à l’heure où nous écrivons ces lignes) que «le million [de manifestants] va être dépassé» au vu des chiffres déjà observés.

«On sent qu’il y a une forte mobilisation, au-delà de ce qu’on pensait, de ce qui était annoncé», a salué ce jeudi midi Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, en tête du cortège parisien. «Si le texte part en l’état, on aura d’autres moments de mobilisation», a-t-il aussi déclaré.

Sur plus de 200 points de rassemblement à travers l’Hexagone, les autorités françaises attendent entre 550.000 et 750.000 manifestants, dont 50 à 80.000 à Paris, pour lesquels sont mobilisés plus de 10.000 policiers et gendarmes. Parmi les forces de l’ordre mobilisées, 3500 gendarmes et policiers seront déployés à Paris où «un petit millier de personnes qui pourraient être violentes» sont attendues, a affirmé mercredi matin le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.

Mobilisation contre la réforme des retraites : les syndicats français rêvent de refaire 1995 !

La tête du cortège au Cirque d’hiver, à Paris, le 19 janvier 2023. PIERRE BOUVIER

Selon les premiers chiffres de la mobilisation, au moins 30.000 personnes ont défilé à Toulouse, 6.500 à Mulhouse, 6.000 à Tarbes, 4.000 à Nice comme à Belfort. Des niveaux comparables à ceux du 5 décembre 2019, au démarrage de la contestation contre le précédent projet de réforme des retraites, la police avait compté 806.000 manifestants en France, la CGT 1,5 million.

«La France s’enfonce dans les déficits depuis 40 ans», explique Bertrand Martinot. «Or, les retraites n’y contribuent que pour une petite part. Les actifs se demandent donc pourquoi ils devraient être les seuls à faire les frais de ce redressement», poursuit-il.

Et l’économiste d’ajouter que, quelle que soit la réforme proposée, les Français s’y seraient probablement opposés tant le taux d’insatisfaction est élevé en France à l’égard des politiques.

Un front uni inédit depuis 12 ans

Faisant front uni pour la première fois depuis douze ans, les huit principaux syndicats (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, Solidaires, FSU) prévoient une «puissante» mobilisation le 19 janvier, espérant qu’elle «donne le départ d’une puissante mobilisation sur les retraites dans la durée». La manifestation aura en effet valeur de test : «Le 19 sera très déterminant comme entrée en matière. Si la mobilisation est très élevée, cela donnera confiance pour aller plus vite, plus fort», a souligné auprès de l’AFP Simon Duteil, de Solidaires.

De son côté, Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT ne s’est pas risqué à faire des prévisions. «Ce que je sais, c’est que le mécontentement est extrêmement fort. Ce sentiment d’injustice est très profond aujourd’hui dans le monde du travail, et cette réforme est ressentie de manière très négative», a-t-il souligné sur France Inter mercredi.

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Manifestation contre la réforme des retraites, à Paris, le 19 janvier 2023. © Benjamin GIRETTE pour LeMonde

Pour autant, sous couvert d’anonymat, un responsable syndical se garde de tout triomphalisme : «On est un peu fébrile. On ne sait pas si ça va vraiment marcher. On n’arrive pas à sentir le terrain (…) La manifestation, ce n’est pas presse-bouton. On espère, ce n’est pas évident», admet-il.

Une intersyndicale aura lieu dès le 19 au soir, au siège de Solidaires, pour décider des suites du mouvement, avec peut-être une nouvelle journée de mobilisation dès la semaine suivante.

«On peut avoir une deuxième journée très rapprochée pour ne pas casser la dynamique», dit Céline Verzeletti, secrétaire confédérale CGT. Si la mobilisation est plus difficile qu’en 1995, «on peut bloquer plus facilement l’économie» avec un petit nombre de grévistes, note-t-elle.

De son côté, la Première ministre, Elisabeth Borne, a appelé ce jeudi les syndicats à «ne pas pénaliser les Français». «Pour les syndicats, c’est un appel à la responsabilité», a dit la Première ministre. «Il y a un droit de grève, il y a un droit à manifester», mais «c’est important aussi de ne pas pénaliser les Français», a-t-elle prévenu.

«On peut faire grève mais il faut aussi être attentif au quotidien de nos concitoyens», a insisté la cheffe du gouvernement devant des journalistes. «On est dans une période qui peut être compliquée, avec de l’inquiétude notamment sur l’inflation. Trouvons des modes d’action qui ne pénalisent pas nos concitoyens», a poursuivi Elisabeth Borne.

Faire mieux qu’en 1995

Philippe Martinez en rêve pour la journée de mobilisation du 19 janvier contre le projet de réforme des retraites. Interviewé sur BFMTV mardi soir, le leader de la CGT a estimé que le mouvement contre le «plan Juppé» à l’époque, qui avait rassemblé jusqu’à entre un et deux millions de personnes le 12 décembre 1995, était «une bonne référence».

Le «plan Juppé» visant à aligner les retraites des fonctionnaires sur celles du privé avait donné lieu aux plus grandes manifestations depuis Mai 68 et provoqué la dissolution du gouvernement et de nouvelles élections.

Mobilisation contre la réforme des retraites : les syndicats français rêvent de refaire 1995 !

Des manifestants brandissent des banderoles et une marionnette à l’effigie du Premier ministre Alain Juppé, le 12 décembre 1995 lors du mouvement national de grève. © RTL

«On peut faire mieux même (…) le contexte est différent», a-t-il lancé, notant la « tension sociale » qui traverse le pays en raison de l’inflation. Pour autant, le secrétaire général de la CGT reconnaît que «le monde du travail a changé» par rapport à 1995, avec davantage de précarité : «Faire grève quand on est précaire c’est très dur. Pas seulement parce qu’on perd du salaire, mais parce qu’on risque sa place».

Mais au-delà de la journée seule du 19 janvier, Philippe Martinez espère un conflit aussi dur qu’en 1995, lequel avait été marqué par plusieurs semaines de grèves des fonctionnaires. Les trains et les métros avaient notamment été paralysés pendant plus de trois semaines, poussant le gouvernement à retirer les mesures de retraites pour les agents de l’État et des services publics de son plan de redressement de la Sécurité sociale.

Macron en Espagne, un déplacement ??jugé «méprisant»

Et en cette journée de forte mobilisation, le président Emmanuel Macron se trouve en Espagne avec pas moins de 11 de ses ministres !

«C’est le choix du gouvernement. Il se passe des choses en France, ils ne sont pas en France…», a dans ce contexte relevé le patron de la CGT, invité ce jeudi sur Public Sénat. Avant de dénoncer : «Je pense que le président de la République, qui dit être à l’écoute encore plus qu’avant, devrait s’intéresser à ce qu’il se passe et non pas considérer qu’il gère ses petites affaires.»

«Quand on prétend être à l’écoute des Français et qu’on part à l’étranger le jour d’une grosse mobilisation… C’est le moment de rester en France», a réagi Philippe Martinez.

Un déplacement de trop, selon l’ancien candidat à la présidentielle du NPA, Olivier Besancenot. «Vous remarquerez que sur les gilets jaunes, c’était pareil. C’était Bernardo dans Zorro, on ne l’entendait plus», juge-t-il au micro de BFMTV. «C’est super méprisant. Mais bon, je ne vais pas faire le mec qui tombe de sa chaise, c’est à son image… Donc bon voyage !».

Le président français répond à une invitation qui avait été lancée dès le mois d’octobre par le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez, pour participer au 27e sommet franco-espagnol à Barcelone, théâtre d’une tentative de sécession en 2017.

Mais nombre d’analystes estiment qu’avec la hausse des prix de l’énergie, la montée des violences sur les personnes et l’utilisation répétée de la procédure d’exception (49-3) à l’Assemblée nationale, la défiance à l’égard du gouvernement Macron est à son comble.

«Emmanuel Macron joue son quinquennat et sans doute son avenir», écrit le journaliste économique Jean-Marc Sylvestre sur le site Atlantico. Comment un échec sur une réforme aussi minimale lui permettrait de survivre politiquement ? Alors que s’ouvrent deux mois de débats parlementaires, le mouvement pourrait s’étirer jusqu’en mars.

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