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En Israël, la réforme judiciaire qui divise le pays

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Les députés de la Knesset ont voté lundi une mesure très controversée visant à retirer aux juges le pouvoir d’annuler des décisions du gouvernement considérées comme «déraisonnables». Alors que le gouvernement israélien estime que la réforme judiciaire est nécessaire pour assurer un meilleur équilibre des pouvoirs, ses détracteurs y voient une menace pour la démocratie.

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Le Parlement israélien a approuvé lundi 24 juillet une mesure phare visant à retirer aux juges le pouvoir d’annuler des décisions du gouvernement considérées comme «déraisonnables».

Le texte a été approuvé, en deuxième et troisième lecture, par les 64 élus (sur 120 sièges au total) de la coalition de Benjamin Netanyahu. Ce dernier a tenu à être présent malgré sa récente hospitalisation pour la pose d’un simulateur cardiaque. Il s’agit de la première composante majeure de la réforme judiciaire, annoncée par le gouvernement le 4 janvier, appelée à devenir une loi.

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Lors d’une allocution télévisée, lundi, Netanyahua a qualifié le vote «d’étape démocratique nécessaire». «Cette étape vise à rétablir un équilibre entre les pouvoirs (…), nous avons fait voter [cette mesure] afin que le gouvernement élu puisse mener une politique conforme à la décision de la majorité des citoyens», a affirmé le premier ministre.

Le vote est intervenu après une session houleuse. Au cours de cette séance, les opposants à la réforme ont dénoncé la «honte», avant de sortir en trombe de la Knesset, boycottant le vote.

Caractère raisonnable

Selon le gouvernement, qui comprend des partis juifs ultra-orthodoxes et d’extrême droite, la réforme vise à rééquilibrer les pouvoirs. De même, elle diminue les prérogatives de la Cour suprême. Un organe politisé au profit du Parlement, estime l’exécutif. Selon les critiques de la Cour suprême, cette dernière interprétait de façon erronée les lois fondamentales d’Israël. Des législations qui font office de Constitution, poursuivent-ils, et dont l’invalidation est un abus de pouvoir.

Selon eux, la norme actuelle de «raisonnabilité» donne aux juges non élus des pouvoirs excessifs sur la prise de décision par les élus. Enfin, ils considèrent que le pouvoir judiciaire est motivé par des biais de pensée libéraux et pas suffisamment conservateurs.

«Nous n’annulons pas la clause de “caractère raisonnable”, mais nous réduisons son usage, afin que les opinions personnelles d’un juge ne s’expriment pas aux dépens de la volonté du peuple», a déclaré le premier ministre israélien aux députés. «Il n’y a pas de raison de craindre cet amendement», a-t-il ajouté.

L’opposition affirme au contraire que cette mesure supprime un élément clé des pouvoirs de surveillance du tribunal. Elle ouvrirait la voie à la corruption et aux nominations abusives, martèlent les opposants. Ils ajoutent que cette décision risque aussi d’ouvrir la voie à une dérive antidémocratique ou autoritaire. Les détracteurs du premier ministre, en procès pour corruption, l’accusent même de vouloir utiliser cette réforme pour atténuer un éventuel jugement à son encontre.

Dans la foulée du vote clé de lundi, Yaïr Lapid, député de l’opposition et ancien Premier ministre, a assuré qu’il ne baisserait pas les bras. «Dès demain matin [mardi], nous adresserons une requête à la Haute Cour contre cette législation, contre l’annulation unilatérale du caractère démocratique de l’État d’Israël et contre la manière antidémocratique et prédatrice dont les discussions au sein du Comité de la Constitution ont été menées», a-t-il déclaré en conférence de presse, rapporte la chaîne i24news.

The Jerusalem Post parle d’«un jour sombre» pour la nation israélienne. Il présente le vote d’hier comme un «échec» pour le gouvernement de Benyamin Netanyahou. Une expression de son «hubris», de sa démesure, de sa «dureté de cœur» et de sa «surdité» face au cri de la moitié du pays, fustige la même source.

Équilibre des pouvoirs ?

Jusque-là, si la Cour Suprême était saisie par une association ou un individu, elle pouvait s’opposer à l’application d’une mesure ou d’une loi adoptée selon elle en contradiction avec les lois fondamentales du pays.

Une fois cette loi adoptée, le gouvernement pourrait demander à la Knesset, le Parlement israélien, de se prononcer sur l’avis de la Cour Suprême. Il ne faudrait qu’une majorité simple (50% plus un) à la Knesset pour passer outre les recommandations des juges suprêmes. Ce volet a fait l’objet d’un vote au Parlement ce 24 juillet 2023 et a été adopté sous forme de loi.

En résumé, avec ce nouveau texte, le pouvoir judiciaire s’affaiblit face au pouvoir exécutif.

Les députés avaient voté déjà à la mi-mars en première lecture une disposition durcissant considérablement les conditions requises pour permettre à la Cour suprême d’invalider une loi ordinaire. Ce texte contenait la clause dite «dérogatoire», permettant au Parlement, par un vote à la majorité simple, de prémunir une loi contre toute annulation par la Cour suprême. Fin juin, le premier ministre israélien avait cependant déclaré avoir renoncé à cette mesure clé de sa réforme.

En janvier 2023, la Cour suprême avait invalidé la nomination d’Arié Deri comme ministre de l’Intérieur et de la Santé. Elle a argué qu’il avait été reconnu coupable de fraude fiscale et qu’il n’était donc pas «raisonnable» qu’il siège au gouvernement. Et ce, même si aucune loi ne l’en empêche depuis le vote, en décembre 2022, d’un amendement taillé à sa mesure pour lui permettre d’intégrer l’exécutif. Benyamin Netanyahou avait été contraint de le démettre de ses fonctions, mais avait critiqué la décision des juges, qu’il a accusé d’ignorer «la volonté du peuple».

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D’autres dispositions provoquent aussi le mécontentement, notamment celle modifiant le processus de nomination des juges, déjà adoptée par les députés en première lecture. La réforme judiciaire promue par le gouvernement israélien prévoit en effet un contrôle décisif du gouvernement sur la nomination des juges du pays, y compris les juges de la Cour Suprême.

Actuellement, les juges sont nommés par le président de l’État sur proposition d’une commission spéciale. Elle est composée de juges, d’avocats, de représentants du gouvernement et de l’opposition. Cette commission compte neuf membres, dont trois seulement représentent l’exécutif. Les partisans de la réforme pensent que la nomination des juges est antidémocratique, car exercée par une majorité d’acteurs non-élus, principalement les juges et les avocats.

Le projet de réforme changerait la composition de la commission de nomination en fournissant une majorité automatique aux représentants de la coalition au pouvoir. Les deux représentants du barreau seraient, pour leur part, exclus du panel. Il y aurait trois membres du gouvernement et deux parlementaires membres de la coalition, un de l’opposition. Le président de la Cour Suprême et deux juges à la retraite compléteraient le dispositif.

De violentes manifestations

La réforme judiciaire proposée par le gouvernement très à droite de Benyamin Netanyahou a divisé la nation et déclenché l’un des plus grands mouvements de contestation de l’histoire d’Israël depuis sa présentation en janvier 2023. Quelques heures avant le vote, des centaines de manifestants, croyant encore à un revirement de situation, avaient bloqué l’entrée du Parlement malgré les canons à eau de la police.

Selon Haaretz, un quotidien de gauche israélien, la mobilisation s’est poursuivie une fois le texte adopté, avec des milliers de manifestants à divers endroits de Jérusalem. Parmi eux, un ancien procureur a pris la parole et accusé le Premier ministre de «mener une lutte féroce et nuisible contre l’État qui l’a mis en procès», relate le média israélien.

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Une vingtaine de manifestants ont été blessés, plusieurs policiers ont dû recevoir des soins et on dénombre des dizaines d’arrestations. Pour l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert, Israël entre dans une guerre civile.

Par ailleurs, au moins 1.100 réservistes de l’armée de l’air israélienne ont menacé, vendredi, de suspendre leur service volontaire si la Knesset adoptait le projet de loi. «Nous avons tous la responsabilité de mettre fin à la division […] et aux clivages profonds au sein de la population», ont-ils affirmé dans une déclaration. Les signataires comprennent notamment 235 pilotes de chasse, 173 opérateurs de drones et 85 soldats commandos.

Toute législation appliquée de manière «déraisonnable», «compromettrait ma volonté de continuer à risquer ma vie et me contraindrait, avec une grande tristesse, à suspendre mon service de réserve volontaire», ont ajouté les signataires, appelant le gouvernement à «maintenir (l’)indépendance» du système judiciaire.

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