Impossible d’ouvrir un réseau social au Maroc sans tomber sur des photos pour le peu… semblables. Mêmes têtes, mêmes lèvres, mêmes cils et même… mêmes mentons ! Mais comment est-ce possible ? À l’instar des Libanaises, les Marocaines développent une nouvelle addiction, celle de la chirurgie plastique, esthétique et des « simples retouches ». Plus besoin de passer sur la table d’opération, une simple visite chez l’esthéticienne du coin peut changer votre vie, dans le bon ou dans le mauvais sens !

C’était tabou. Loin des clichés d’un Maroc conservateur, une révolution silencieuse s’est insérée progressivement dans les cabinets feutrés des cliniques de chirurgie plastique et des salons de beauté. Jadis taboue, la chirurgie esthétique s’est glissée, de manière naturelle, dans le quotidien des Marocaines et Marocains. Que l’on parle de lifting, de rhinoplastie ou de liposuccion, des phrases type : « J’ai pris rendez-vous pour une petite retouche », sont devenues chose normale.

Bienvenue dans un Maroc où le bistouri est devenu aussi commun que le brushing. Les standards de beauté ne s’écrivent plus à coup de paroles de Pinhass Cohen, mais à coup de seringue et de scalpel.

C’est un phénomène récent, mais avec une fulgurante ascension. Il suffit d’un coup d’œil aux vitrines clinquantes des cliniques à Casablanca, Rabat ou encore Marrakech pour comprendre que le Maroc a pris un virage – ou visage – inattendu. Ici, les enseignes promettent une version « améliorée de soi-même ». Le message est clair : la beauté est accessible et elle est une question de choix. Cette nouvelle quête de perfection esthétique séduit autant les femmes que les hommes, brouillant les frontières de genres et de générations. Sur les réseaux sociaux, les avants/après bistouri font rêver.

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Les standards de beauté marocains changent et la pression augmente. Biberonnés à Instagram en tête, les Marocains ne rêvent plus que de voyages ou de carrières flamboyantes. À présent, pour « être quelqu’un », la montre de luxe ne suffit plus. Le luxe et la réussite sociale se matérialisent par le « beau », donc par une rhinoplastie, une liposuccion… Quant aux anciens gladiateurs, ils se lancent aussi dans l’arène. Implants capillaires et greffes de barbe sont les nouvelles coqueluches de ces messieurs, désireux de prolonger l’illusion d’une jeunesse éternelle.

Le miroir déformant des réseaux sociaux

De nombreux chanteurs, hommes et femmes, à la superbe beauté naturelle marocaine, s’affichent aujourd’hui avec des lèvres repulpées, des pommettes rehaussées et même des contours de visage resculptés. Souvent perçus comme des modèles, ils affichent des visages lisses, des corps sculptés et un sourire éclatant, attirant des milliers de likes et de commentaires admiratifs.

Les plateformes numériques ont donc ouvert une fenêtre sur les cliniques esthétiques, qui auparavant étaient entourées de secret et de tabou. Les témoignages, photos avant-après, et vidéos de transformation pullulent sur la toile, rendant les interventions esthétiques accessibles et surtout désirables. Normalisée, cette tendance donne aussi naissance à de nouveaux influenceurs inattendus : les chirurgiens plastiques ! Figure d’autorité dans le domaine, ils donnent des conseils à coup de « shorts » expliquant les « bonnes et mauvaises » pratiques en la matière.

Pourtant, le malaise a justement débuté par les réseaux sociaux. Le fait de mettre en avant sa vie, son dressing, ses voyages… sous une belle lumière, pousse les Marocains à toujours paraître sous leur meilleur jour. Ça a commencé par les applications de retouches. Les filtres, souvent utilisés pour lisser la peau, affiner le nez ou agrandir les yeux, ont mené à un idéal inatteignable ! L’usage intensif de ces filtres a augmenté les complexes physiques, en particulier chez les jeunes femmes. La génération qui a grandi avec la famille Kardashian, ou encore la famille Abdel Aziz, voit en la chirurgie une option facile pour mettre fin à ces complexes.

Nadine, Alice et Farah Abdel Aziz, stars libanaises du petit-écran. Souvent nommées les Kardashian arabes. DR : Cosmopolitan.

Les influenceurs ne se contentent pas de montrer les résultats. Ils documentent le processus en détail, partageant chaque étape, de la consultation aux soins postopératoires. Au Maroc, cette transparence est relativement nouvelle, brisant les tabous culturels. Les patientes, autrefois réticentes à admettre avoir eu recours à des interventions, n’hésitent plus à montrer leurs cicatrices et à discuter de leurs procédures. Cette approche, qui peut sembler authentique, est toutefois teintée de marketing subtil, car nombre d’influenceurs sont sponsorisés par des cliniques, transformant leur expérience en publicité déguisée.

La diversification des influences culturelles peut aussi y être pour quelque chose. Si le « natural mood » prend de l’ampleur en Europe, au Moyen-Orient la tendance est à la perfection, au luxe, à la réussite sociale et financière. Comme toujours, le Maroc connaît ces deux influences, la verticale et l’horizontale. Il y a donc ceux qui favorisent le « natural » et ceux qui préfèrent prendre soin d’eux avec un état d’esprit de « nous n’avons qu’une seule vie ». Parallèlement à tout cela, il y a aussi les attentes traditionnelles sur l’apparence féminine et masculine. Pas facile de tirer son épingle du jeu et encore moins de déterminer sa personnalité dans un tel contexte… surtout pour les adolescents !

Bistouri : un marché en plein essor

Cette ferveur pour le bistouri a généré une véritable industrie, où des fortunes se construisent sur des rêves de beauté standardisés. Le Maroc a vu éclore une multitude de cliniques spécialisées en quelques années seulement. À Casablanca, c’est une prolifération sans précédent : certains quartiers ressemblent à une galerie commerciale du « nouveau soi ». À la tête de chaque clinique, un chirurgien star, souvent formé à Paris, Montréal, ou encore New-York, avec une formation supplémentaire, et rassurante, à Istanbul, ville très côtoyée par le tourisme esthétique. Tel un menu de restaurant, chaque établissement propose des techniques dernier cri à la carte : lifting par fils tenseurs, abdominoplastie ou encore augmentation mammaire par transfert de graisse. Pas très appétissant.

Il fut un temps où évoquer une intervention esthétique devait être justifié : « J’ai eu un accident, d’où mon nez refait ». Aujourd’hui, le discours a changé du tout au tout. Une opération esthétique est devenue une dépense ordinaire et banale. L’apparence est devenue une monnaie d’échange dans la société contemporaine, influencée par une mondialisation effrénée des standards de beauté. Il ne s’agit plus simplement de paraître jeune, mais de coller à une image de perfection.

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Cette explosion de la demande a vu l’émergence de nouvelles cliniques spécialisées, répondant à une clientèle de plus en plus jeune et connectée. Les interventions les plus populaires incluent la rhinoplastie, la liposuccion et les injections de comblement, largement motivées par l’attrait de ressembler à des célébrités des réseaux sociaux.

Des centres médicaux flambant neufs émergent dans les grandes villes, comme Casablanca, Marrakech, Rabat et même Tanger. Chacune de ces destinations devient le théâtre d’une ruée vers les bistouris, où les rêves de transformation prennent vie sous l’œil expert des chirurgiens.

Casablanca, cœur économique du Maroc, s’est taillée la part du lion dans cette révolution esthétique. Ici, les cliniques rivalisent d’innovations et de prestations luxueuses pour attirer une clientèle locale et internationale. La ville, considérée comme la capitale médicale du pays, propose des services haut de gamme à des prix attractifs comparés à l’Europe ou aux États-Unis. La liposuccion y est l’une des interventions les plus populaires, avec des tarifs oscillants entre 18.000 et 30.000 dirhams, selon la complexité de la procédure et la renommée du chirurgien.

Marrakech n’est pas en reste. Elle combine tourisme de luxe et chirurgie esthétique, offrant une expérience complète de « séjour médical ». (plus de détail plus bas dans le dossier).

L’essor des « Mommy Makeovers »

Parmi les interventions qui connaissent une hausse fulgurante, le « Mommy Makeover » – une combinaison de plusieurs chirurgies pour restaurer le corps post-grossesse – est l’une des plus prisées du moment. Après l’accouchement, toutes les femmes ne prennent pas le temps de laisser leur corps reprendre forme. Le lifting mammaire, l’abdominoplastie et la liposuccion sont souvent englobés dans des forfaits attractifs pour les jeunes mères. Le coût moyen d’un « Mommy Makeover » varie de 50.000 à 80.000 dirhams, bien en dessous des tarifs européens, ce qui attire de nombreuses patientes étrangères.

Quand le scalpel devient guide de voyage

Aujourd’hui, faire une liposuccion ou une augmentation mammaire n’est plus seulement une décision esthétique, c’est aussi une aventure internationale, un voyage pour toute la famille. Le phénomène du tourisme médical explose et les cliniques marocaines tentent de manger la part de marché de la Turquie et de la Tunisie. Cette dernière a longtemps été considérée comme LA destination des Européens pour les retouches esthétiques.

Avec des cliniques modernes, des praticiens formés en Europe et des coûts compétitifs, le Maroc attire des patients de toute l’Europe et du Moyen-Orient. La promesse ? Des résultats similaires aux standards européens, mais à des tarifs beaucoup plus bas. Par exemple, une augmentation mammaire coûte entre 25.000 et 45.000 dirhams, contre 6.000 à 10.000 euros en France. Selon le site Med Espoir : « Au Maroc, le prix de la chirurgie esthétique est très abordable. Il faut compter 3.500 € pour une rhinoplastie, 1900 € la blépharoplastie, 2.300 € la liposuccion et 2.900 € le lifting des bras. Ainsi que 3.550€ l’augmentation mammaire avec prothèses, 4.800 € le lipofilling des fesses (lifting brésilien), 185 € pour une injection de Botox et 4.200 € pour le lifting mammaire avec prothèses ».

Cette tendance est aussi facilitée par l’infrastructure hospitalière privée en pleine expansion et la montée en qualité des soins. Les cliniques marocaines offrent désormais des forfaits tout compris, incluant l’intervention, l’hébergement et même le transport, rendant l’expérience médicale moins stressante et plus accessible pour les patients étrangers. Les cliniques de la ville ocre, par exemple, proposent des séjours All inclusive. Non pas qu’il s’agisse seulement d’un petit-déjeuner, déjeuner + dîner. Loin de là. En plus des repas pour le patient et son accompagnateur, les cliniques prennent le taureau par les cornes en proposant le service de conseiller, de comptables pour la proposition de devis personnalisé, de responsables de voyage, afin de vérifier les papiers, d’aider à la réservation du billet d’avion, de la réservation de l’hôtel, de l’organisation d’excursion si besoin… bref de vraies agences de voyage !

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Si le Maroc sait attirer une clientèle de manière croissante, l’indétrônable Turquie reste LA référence mondiale. Les tarifs en Turquie sont encore plus compétitifs, avec des procédures de rhinoplastie coûtant entre 20.000 et 40.000 dirhams et des augmentations mammaires autour de 25.000 et 45.000 dirhams. Les cliniques turques, notamment à Istanbul, offrent des forfaits comprenant le vol, l’hébergement et le suivi post-opératoire, transformant l’expérience en véritable séjour de luxe ! De nombreux Marocains succombent, d’ailleurs, au chant des sirènes, notamment pour les greffes de cheveux. Le secret de cette popularité c’est avant tout la qualité des soins, souvent perçue comme équivalente, voire supérieure à celle des pays européens. Les chirurgiens turcs sont généralement formés à l’international et maîtrisent les techniques les plus modernes.

Encore moins chère que le Maroc et la Turquie, la Tunisie s’impose comme une destination phare pour les Européens à la recherche de chirurgies esthétiques à bas prix. Les coûts des interventions sont parmi les plus bas du marché mondial, avec des liposuccions variant entre 12.000 et 25.000 dirhams, toujours selon la même source, et des rhinoplasties entre 15.000 et 30.000 dirhams. Le pays bénéficie aussi d’une proximité géographique avec l’Europe, ce qui facilite les déplacements pour les patients en provenance d’Italie ou encore de France. Les cliniques tunisiennes misent sur une approche orientée client, proposant des services « vacances et chirurgie », qui leur permet de profiter des plages méditerranéennes tout en récupérant de leur intervention.

Le voyage vaut le détour et le souvenir rapporté est parfois plus permanent qu’un simple bibelot.

Un point d’Histoire

L’histoire de la chirurgie esthétique s’enracine dans le XXᵉ siècle, avec des progrès majeurs en anesthésie et asepsie. Les premières interventions notables incluent la correction des oreilles décollées (Ely) et la rhinoplastie par voie endonasale (Roe). C. C. Miller, controversé, fut le premier à se spécialiser et à publier sur le sujet. Après la Première Guerre mondiale, des sociétés savantes américaines ont structuré la chirurgie plastique, tandis qu’en France, des figures comme Suzanne Noël ou Bourguet ont innové avec des techniques influençant la pratique moderne.

La Deuxième Guerre mondiale a renforcé l’essor de la chirurgie esthétique, notamment aux États-Unis, où la montée des classes moyennes et l’essor des médias en ont fait un phénomène social.

Au Maroc, Casablanca fut dès les années 1950, et jusque dans les années 1970, un centre de référence mondial grâce à des pionniers comme le Dr. Burou et le Dr. Lentillhac, créateur de la première école de chirurgie esthétique marocaine. Après une période de creux, la ville attire de nouveau une clientèle internationale, valorisant l’expertise locale et l’ensoleillement.

Quand le rêve tourne au cauchemar

L’affaire du Dr. Hassan Tazi, chirurgien plastique de renommée au Maroc, a secoué le monde médical et la société en raison d’accusations graves qui remettent en question l’intégrité de sa clinique. Impliqué dans un scandale complexe, Dr. Tazi a été accusé d’escroquerie, de falsification de documents et de « traite d’êtres humains ». L’affaire a éclaté en avril 2022, quand une enquête menée par la police judiciaire a révélé que des dons de bienfaiteurs, supposés financer des soins médicaux pour des patients économiquement vulnérables, étaient détournés vers des comptes personnels. Ces fonds, au lieu de profiter aux patients, finissaient sur les comptes de la famille Tazi, notamment ceux de son épouse.

L’une des accusations les plus graves portées contre le chirurgien est la traite des êtres humains. Il a été reproché au Dr. Tazi et à ses complices d’avoir exploité des patients vulnérables sous couvert de soins médicaux. Accusations qui ont été écartées en mai 2024. Le procureur a mis en lumière la manipulation des fonds et la falsification des factures et des bilans médicaux. Néanmoins, la défense du Dr. Tazi a contesté ces accusations, arguant que les documents en question concernaient la clinique en tant qu’entité juridique et non le médecin personnellement. Le chirurgien a insisté sur son rôle limité à celui de prestataire de soins et a déploré la confusion entre sa responsabilité professionnelle et la gestion de l’établissement.

Outre l’affaire juridique, cet éclatement au grand jour d’actions frauduleuses a délié les langues de plusieurs présumées victimes des chirurgiens plastiques au Maroc qui ont connu des suites compliquées. Pour beaucoup, les ratés de la chirurgie esthétique commencent par des complications imprévues. Les infections sont parmi les problèmes les plus fréquents. Elles peuvent survenir à la suite d’une intervention et entraîner des douleurs, des gonflements et même des fièvres, nécessitant une hospitalisation. Une autre complication récurrente est la mauvaise cicatrisation, souvent due à des techniques inadéquates ou à une réaction imprévisible du corps. Certaines cicatrices peuvent devenir hypertrophiques ou se transformer en chéloïdes, ce qui contraste fortement avec les attentes de résultats « invisibles ».

L’une des conséquences les plus dévastatrices d’une chirurgie esthétique ratée est l’effet sur la santé mentale des patients. La déception par rapport aux résultats espérés peut conduire à de graves troubles psychologiques, tels que l’anxiété, la dépression, et même des troubles de l’image corporelle. Cette honte, combinée au sentiment d’échec personnel, peut provoquer un isolement social et affecter la vie quotidienne des patients.

Les conséquences psychologiques sont parfois encore plus marquées lorsqu’il s’agit de procédures mal réalisées sur le visage. Certains vont jusqu’à éviter les miroirs, incapables d’accepter leur nouvelle apparence.

Interview avec Dr Imane Kendili, psychiatre – addictologue, professeure affiliée à l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P), cheffe de service psychiatrie-addictologie de la clinique Andalouss et vice-présidente du Centre africain de recherche en santé.

  • Le Brief : Quels sont les principaux facteurs psychologiques qui poussent de plus en plus de personnes, notamment au Maroc, à recourir à la chirurgie esthétique ? Est-ce une quête de confiance en soi ou une réponse à la pression sociale ?

– Dr Imane Kendili : Les facteurs qui incitent à recourir à la chirurgie esthétique relèvent principalement de considérations psychosociales. Nous évoluons dans une société postmoderne où l’image prime sur tout. Les individus sont davantage jugés en fonction de l’apparence qu’ils projettent, et plus ils se conforment à une norme commune, plus ils se sentent rassurés. Cette tendance découle d’une angoisse existentielle croissante, menant à une uniformisation des comportements sociaux. Malheureusement, on ne valorise plus les différences, au contraire, on privilégie ce qui est semblable. Paradoxalement, il ne s’agit pas d’une quête de confiance en soi. La chirurgie esthétique est souvent motivée par des dysmorphophobies : des personnes convaincues qu’elles ont besoin d’une intervention, alors qu’objectivement, ce n’est pas le cas.

Il est important de rappeler que, étymologiquement, la chirurgie esthétique était initialement une chirurgie réparatrice, destinée à corriger des problèmes fonctionnels ou des difficultés graves d’intégration sociale, comme des brûlures ou d’autres traumatismes. Aujourd’hui, on vise plutôt à obtenir le même nez ou le même corps. Ces différences entre êtres humains, qui font normalement que la société se complète, sont critiquées. Tout le monde tente d’avoir les mêmes attributs. On remarque même que les hommes commencent à ressembler aux femmes, puisque de plus en plus d’hommes vont vers la chirurgie esthétique.

Au Maroc, cette pratique répond à une pression sociale mondiale. En l’absence de garde-fous, des excès se produiront, avec des jeunes femmes de 19 ans recourant au botox ou à des injections faciales. On observe ainsi des interventions lourdes chez des personnes très jeunes qui n’en auraient aucunement besoin.

-Le Brief : Quels risques psychologiques sont associés à la chirurgie esthétique, surtout lorsque les résultats ne répondent pas aux attentes des patients ? Observez-vous une recrudescence de troubles comme la dysmorphophobie ou une dépendance aux interventions ?

-Dr Imane Kendili : D’abord, il y a les chirurgies esthétiques qui réussissent et celles qui ne réussissent pas. Mais le principal danger réside dans l’engrenage des interventions répétées. Sans accompagnement psychiatrique et psychologique, une personne peut s’engager dans un cycle sans fin de chirurgies, avec des conséquences graves.

Sur le plan psychologique, chaque intervention entraîne une diminution de la sérotonine et une augmentation de l’anxiété. À cela s’ajoutent un risque de dépression, une baisse de l’estime de soi et des difficultés d’affirmation personnelle. À long terme, après dix ans de chirurgies répétées, qu’elles soient réussies ou non, l’impact sur la vie personnelle et sociale est considérable. Ces interventions nécessitent aussi des pauses prolongées dans la vie sociale et professionnelle, pouvant aller jusqu’à un ou deux mois à chaque opération.

Contrairement aux attentes, les résultats ne sont pas toujours immédiats. Parfois, deux ou trois opérations sont nécessaires pour obtenir le résultat souhaité, car tout dépend de la compétence du chirurgien, des conditions d’anesthésie et des particularités physiques du patient, comme le type de peau et les capacités de cicatrisation. Contrairement à ce que l’on pense, les peaux ne sont pas les mêmes, les cicatrisations ne sont pas les mêmes et la capacité d’observer une chirurgie pour un corps n’est pas la même et pour un visage encore moins. Ces réalités, souvent méconnues, contrastent avec l’image idéalisée véhiculée.

-Le Brief : Comment les réseaux sociaux et les standards de beauté véhiculés en ligne influencent-ils la perception corporelle et l’estime de soi chez les jeunes au Maroc ? Y a-t-il des groupes plus vulnérables à ces influences ?

-Dr Imane Kendili : Le recours précoce à la chirurgie esthétique est en partie encouragé par certaines écoles de chirurgie, qui affirment qu’elle est plus réussie lorsqu’elle est pratiquée jeune. En effet, avec l’âge, la cicatrisation est plus lente et les résultats moins probants en raison du relâchement cutané et des signes du vieillissement. Cependant, le paradoxe réside dans le fait qu’une chirurgie esthétique pratiquée à un jeune âge accélère le vieillissement. Sans activité physique régulière ni suivi post-opératoire, les résultats doivent être retouchés tous les deux ou trois ans, transformant ces interventions en rendez-vous à vie.

Les médias sociaux jouent également un rôle central en promouvant des standards de beauté idéalisés, influençant tant les jeunes femmes que les jeunes hommes. Ces derniers recourent aussi à la chirurgie esthétique pour des implants musculaires, comme les pectoraux ou les mollets, afin d’obtenir des résultats rapides sans effort physique.

Cependant, il faut rappeler que les implants sont des corps étrangers susceptibles de provoquer des complications. Par exemple, les implants mammaires multiplient par 44 le risque de cancer du sein et entraînent une perte totale de sensibilité au niveau de la poitrine, réduisant celle-ci à un simple objet esthétique, dépourvu de sensations.

-Le Brief : Que conseilleriez-vous aux patients envisageant une chirurgie esthétique pour s’assurer qu’ils prennent cette décision en toute conscience et pour les bonnes raisons ?

-Dr Imane Kendili : Avant de se lancer dans une chirurgie esthétique, il est essentiel de consulter plusieurs spécialistes et de ne pas se laisser guider par des standards de beauté artificiels, souvent inspirés des filtres des réseaux sociaux. La chirurgie esthétique devrait rester une intervention réparatrice, réservée aux cas où elle corrige des problèmes graves, compromettant l’intégration sociale ou la qualité de vie.

Rechercher à tout prix à ressembler à une célébrité ou à modifier son apparence pour suivre une mode peut entraîner des répercussions organiques et psychologiques graves. Les déceptions sont fréquentes, surtout chez les jeunes, qui ont souvent des attentes irréalistes.

La médecine esthétique, comme l’utilisation d’acide hyaluronique pour les pommettes ou les lèvres, peut sembler attrayante. Mais après une décennie de traitements, elle peut provoquer un affaissement du visage, des bulles d’air entre le derme et le muscle, et un vieillissement prématuré. À 35 ans, certains peuvent paraître bien plus âgés, nécessitant alors des liftings précoces, avec des résultats artificiels donnant un aspect visage de cire à seulement 40 ans.

Que faire en cas de raté ?

Pour ceux qui ont subi une chirurgie esthétique ratée, les options sont limitées, mais existent. Le premier réflexe est souvent de consulter un autre chirurgien pour une évaluation et une éventuelle correction. Cependant, cette solution n’est pas toujours facile à accepter. Revenir sur la table d’opération nécessite du courage, mais aussi des ressources financières importantes. Les interventions correctives peuvent coûter bien plus cher que la procédure initiale et ne sont pas couvertes par l’assurance.

Au Maroc, peu de recours juridiques sont disponibles pour les patients victimes de négligence. Les poursuites judiciaires sont complexes et les témoignages montrent que les patients préfèrent souvent régler ces affaires à l’amiable pour éviter une exposition qui pourrait nuire à leur image. Les cas de négligence se multiplient, notamment dans les cliniques dites « low-cost », et dans les centres de beauté pas du tout habilités à octroyer ce type de soins. Les patients se retrouvent parfois entre les mains de praticiens peu qualifiés, attirés par la manne financière de cette industrie florissante. Cette sur-médicalisation est devenue un véritable problème de santé publique. Les patients sont donc encouragés à faire attention quant au choix de leur clinique, en se référant aux établissements réputés et accrédités par des associations médicales reconnues, comme la Société marocaine des chirurgiens esthétiques plasticiens (SOMCEP).

Les recommandations de la SOMCEP

1-Votre plasticien est-il membre de la SOMCEP ?
Assurez-vous que votre chirurgien est affilié à la Société marocaine des chirurgiens esthétiques plasticiens (SOMCEP), qui certifie les praticiens en chirurgie plastique reconstructrice et esthétique.
2-Votre plasticien est-il membre de la SMPRE ?
Vérifiez également l’adhésion à la Société marocaine de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique (SMPRE), garantissant les mêmes certifications.
3-Confirmez la spécialisation auprès de l’Ordre des Médecins.
Consultez le site officiel de l’Ordre national des médecins (www.cnom.ma) pour vérifier que votre médecin est reconnu comme spécialiste en chirurgie plastique et esthétique.
4-Renseignez-vous sur les taux de complications.
Posez des questions sur les risques liés aux interventions et les taux de complications associés.
5-Méfiez-vous des offres à bas prix.
Ne cédez pas à la tentation des prix bradés ou des propositions d’ajouter des interventions supplémentaires à votre chirurgie initiale.
6-Attention aux garanties trompeuses.
Soyez prudent face aux chirurgiens qui promettent des « garanties de satisfaction » ou minimisent les risques de l’intervention.
7-Lisez attentivement le formulaire de consentement.
Avant de signer, prenez le temps de lire et de comprendre chaque point du document de consentement.
8-Choisissez un plasticien de confiance.
Optez pour un chirurgien avec lequel vous vous sentez à l’aise et en confiance. En cas de complication, vous devez être assuré(e) qu’il prendra en charge le suivi jusqu’à la résolution complète.

Pour certains, l’épreuve d’une chirurgie esthétique ratée devient finalement une leçon d’acceptation de soi. Plusieurs groupes de soutien se sont formés en ligne, où des victimes partagent leurs histoires et encouragent une vision plus nuancée de la beauté. Ces communautés offrent un espace de réconfort et d’empathie, loin des jugements superficiels, et rappellent l’importance de valoriser les qualités intrinsèques et la personnalité au-delà des apparences. Finalement, il est important de garder à l’esprit que les standards de beauté évoluent, mais les conséquences des choix esthétiques, elles, peuvent être permanentes.

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