La dette des ménages : tendances, risques et perspectives

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La dette des ménages : tendances, risques et perspectivesImage d’illustration. © DR

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À mesure que l’accès au crédit se démocratise et que les besoins de financement des foyers s’intensifient, la dette des ménages s’impose comme un indicateur clé de la conjoncture économique et de la stabilité financière nationale. Longtemps cantonné à une frange relativement aisée de la population, ce phénomène touche désormais une part croissante des classes moyennes, voire populaires, porté par l’essor du crédit à la consommation et la persistance des besoins en logement.

Au Maroc, cette dynamique s’est poursuivie en 2023 à un rythme soutenu, comme en attestent les chiffres récemment publiés par Bank Al-Maghrib. L’encours global des crédits aux ménages dépasse désormais 427 MM DH, confirmant une tendance haussière quasi ininterrompue depuis une décennie. Toutefois, derrière cette progression se profilent des fragilités structurelles : concentration du crédit, exposition accrue aux aléas économiques, hausse du risque d’impayés dans certains segments et pression croissante sur le budget des foyers.

Face à cette situation, Ali Chettour, président de l’Association marocaine de la défense des droits des consommateurs, constate qu’en raison « des hausses de prix exorbitantes et de la baisse du pouvoir d’achat, notamment à l’occasion de la rentrée scolaire, des vacances et des voyages, de nombreuses familles marocaines ont recours aux prêts à la consommation pour faire face à la cherté de la vie ». Cela pourrait les plonger dans une spirale d’endettement étouffante et nuire à leur stabilité financière et sociale, alerte la même source.

Un encours global en hausse continue

Selon les données de Bank Al-Maghrib, l’encours total des crédits accordés aux ménages s’est établi à 427 milliards de dirhams à fin 2023, en hausse par rapport à l’année précédente. Cette croissance s’explique principalement par la progression des prêts à l’habitat, qui représentent près de 64% de l’encours total, ainsi que par une augmentation plus modérée, mais constante, des crédits à la consommation.

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Les prêts à l’habitat ont atteint 274 milliards de dirhams, soutenus par des conditions de financement encore attractives et une demande soutenue en logement, notamment dans les segments moyen et social. Les crédits à la consommation, quant à eux, totalisent 61 milliards de dirhams, portés par la reprise des dépenses post-pandémie et le recours accru au financement pour l’achat d’équipements ou le financement d’événements familiaux.

Dans ce contexte, il est important de noter que l’endettement croissant des ménages s’accompagne d’une hausse du poids des remboursements dans le budget des foyers. Le ratio service de la dette/revenu disponible tend à se rapprocher des niveaux prépandémiques, avec un effet mécanique lié à l’augmentation des taux d’intérêt sur certains segments. Cette situation soulève des interrogations quant à la capacité de certains ménages à honorer leurs engagements financiers en cas de ralentissement économique ou de choc sur leurs revenus.

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Les banques, conscientes de cette pression, maintiennent une approche prudente dans l’octroi des crédits en renforçant leurs critères de solvabilité. Toutefois, la concurrence accrue sur le marché pousse certains établissements à assouplir leurs conditions, notamment pour les crédits à la consommation.

Taux de défaut : stabilité apparente, vigilance requise

À fin 2023, le taux de défaut sur les crédits aux ménages s’est établi à 8,7%, en légère baisse par rapport à l’année précédente. Cette amélioration apparente résulte de la reprise économique et des efforts de restructuration de dettes consentis par les banques. Cependant, cette moyenne masque des disparités notables : les défauts sont nettement plus élevés sur les crédits à la consommation, avec environ 11%, que sur les prêts à l’habitat, qui tournent autour de 7%.

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Les autorités monétaires mettent en garde contre une possible détérioration en cas de choc externe, rappelant que les ménages restent exposés à la volatilité du marché de l’emploi, à l’inflation persistante et aux aléas climatiques affectant les revenus dans certaines régions.

L’analyse de la structure de la dette révèle une forte concentration au sein d’une certaine catégorie sociale. Concrètement, une proportion limitée de ménages détient la majorité de l’encours, notamment ceux disposant d’un revenu stable et d’un patrimoine suffisant pour accéder au crédit immobilier. En revanche, une part importante de la population reste exclue du crédit bancaire formel et se tourne vers des financements informels, souvent plus coûteux.

Cette dualité souligne les défis liés à l’inclusion financière et la nécessité de développer des produits adaptés aux populations à faibles revenus, tout en évitant les spirales d’endettement.

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Le rôle des établissements de crédit et des sociétés de financement

Les banques commerciales restent les principaux acteurs du financement des ménages, représentant plus de 80% des encours. Les sociétés de financement spécialisées dans le crédit à la consommation conservent une part significative du marché, mais font face à une concurrence croissante des banques, qui développent leurs propres offres à des taux compétitifs.

Dans le segment de l’habitat, les établissements bancaires continuent de proposer des prêts à long terme à taux fixes ou variables, souvent adossés à des garanties solides. Sur le marché de la consommation, les offres se diversifient avec l’introduction de solutions digitales, d’achats à crédit simplifiés et de partenariats avec des distributeurs.

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La politique monétaire de Bank Al-Maghrib, marquée par un relèvement progressif du taux directeur en 2022 et 2023, a légèrement renchéri le coût du crédit. Toutefois, la transmission aux taux appliqués aux ménages est restée partielle, notamment pour les prêts à l’habitat à taux fixe. L’inflation, qui a pesé sur le pouvoir d’achat, a également modifié les comportements : certains ménages ont différé leurs projets immobiliers, tandis que d’autres ont eu recours à l’endettement pour compenser la hausse des prix.

Résilience et risques à moyen terme

La dette des ménages marocains reste, en proportion du PIB, inférieure à celle observée dans de nombreux pays émergents, ce qui limite pour l’instant les risques systémiques. Cependant, la tendance haussière et la sensibilité accrue aux variations des taux d’intérêt invitent à la prudence. La qualité de l’emploi, la stabilité des revenus et l’évolution du marché immobilier seront déterminantes pour la soutenabilité de cet endettement.

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Les autorités de régulation poursuivent leurs efforts pour encadrer la distribution du crédit, renforcer la transparence et améliorer la gestion des risques. Par ailleurs, le développement des bureaux de crédit et des systèmes de notation des particuliers devrait permettre une meilleure évaluation de la solvabilité et réduire les asymétries d’information entre prêteurs et emprunteurs.

À l’avenir, la croissance de l’endettement des ménages pourrait être mieux maîtrisée grâce à des approches plus responsables du crédit. Cela passe par une éducation financière renforcée pour sensibiliser les ménages à la gestion de leur budget, le développement de produits financiers adaptés aux revenus irréguliers, un encadrement plus strict des taux et des frais annexes pour éviter les situations de surendettement, ainsi que l’innovation dans les outils de suivi et d’alerte précoce des défauts.

Les banques, tout comme les autorités monétaires, sont conscientes que la stabilité financière repose sur un équilibre délicat entre l’accès au financement et la prévention des risques. Dans ce contexte, l’Association marocaine de la défense des droits des consommateurs appelle à un meilleur contrôle des prix pour lutter contre la spéculation et préserver le pouvoir d’achat. Elle insiste également sur la nécessité de superviser les établissements de crédit, de garantir la transparence des conditions de prêt et des taux d’intérêt, tout en lançant des programmes de soutien direct aux groupes vulnérables, notamment lors des grandes fêtes.

Par ailleurs, l’association souhaite que les consommateurs fassent preuve d’une meilleure gestion de leur budget tout en cherchant d’autres sources de revenus avant de recourir à des prêts. « La réduction du surendettement est une responsabilité collective qui exige des efforts coordonnés entre les autorités, les institutions financières et la société civile afin de préserver la stabilité des familles et de protéger leur capacité à vivre décemment », conclut-on.

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