C’est inévitablement une page qui se tourne au Maroc ! Après une décennie à la tête du gouvernement, le Parti de la justice et du développement (PJD) a subi une véritable défaite, mercredi 8 septembre aux élections législatives, communales et régionales. Avant ces élections, le parti de la lampe contrôlait toutes les grandes villes marocaines et avait la majorité absolue dans les conseils municipaux. Cette formation politique était arrivée première trois fois, notamment aux législatives de 2011 et de 2016 et aux communales de 2015. Toutefois, lors de ce scrutin, le PJD a perdu plus de 80% de ses électeurs par rapport aux législatives de 2016. À l’image du chef du gouvernement sortant Saad Dine El Otmani, qui n’a pas réussi à être élu dans la circonscription de Rabat-Océan alors que le PJD y était arrivé en tête en 2016. Son parti étant arrivé en 8e position, l’ancien secrétaire général du PJD a déposé sa démission. Ainsi, les prochains mois s’annoncent difficiles pour ce parti au pouvoir depuis 2011.
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Quid de la défaite du PJD ?
Plusieurs facteurs sont derrière le crash de ce parti. Pour David Goeury, géographe au laboratoire Médiations de la Sorbonneet chercheur associé à l’organisation Tafra, un centre créé en 2014 à Rabat et qui se donne pour mission d’améliorer la compréhension des citoyens du fonctionnement des institutions publiques, cette évolution des mentalités était attendue. «Il y avait des signes annonciateurs de ce recul. On voyait très clairement que le PJD était en situation difficile, car il avait déjà subi une défaite aux élections syndicales de juin… Le PJD était donc en train de perdre son audience au sein de sa base militante», a expliqué cet expert, cité par RFI. Il a ajouté que cette défaite a été annoncée par «l’effet cumulé d’une régression de l’audience auprès de son électorat urbain et d’un recul du nombre de candidats suffisants pour se présenter dans les petites villes et les communes rurales».
Par ailleurs, plusieurs ténors du parti ontéchoué dans des fiefs électoraux traditionnels du PJD, dont Azami Idrissi à Fès ou encoreEl Khalfi à Sidi Bennour. Selon Goeury, ceci s’explique par le fait que «les électeurs ont sanctionné un bilan jugé modeste à la tête de ces grandes villes» et «que les noyaux militants PJD ne se sont pas mobilisés pour défendre le bilan du parti».
Un avis que partage Naim Kamal, le directeur de publication du site d’information Quid, qui trouve que la défaite du PJD réside dans la nature même de ce parti. Pour ce dernier, le parti est «un regroupement à l’arrachéd’une constellation de mouvances islamistes locales et groupusculaires dont les divergences ont rythmé le parcours depuis sa création à travers des polarisations parfois frontales et sanguines».
Sollicité par Telquel, Mohammed Ennaji, sociologue et historien, estime que «les Marocains urbains qui avaient soutenu le parti quand il incarnait le renouveau l’ont lâché en raison de son bilan, sans se poser de questions liées à la charia». Plus qu’une déconfiture, «il s’agit d’une pulvérisation pure et simple du PJD», affirme-t-il. Ainsi, le parti vient de subir une défaite dont il pourra «difficilement» se relever.
«L’exception marocaine… Reddition des comptes et sanction», avait titréle quotidien arabophone Assabah. «C’est une sanction logique assénée aux frères d’El Otmani dont le parti est désormais au bord du gouffre», souligne ce journal, ajoutant que les élections du 8 septembre 2021 méritent d’être «une référence de laquelle on peut tirer de nombreuses leçons».
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Impact du paramétrage électoral et des femmes sur les résultats
Cette année, le quotient électoral a été calculé sur la base des inscrits aux listes électorales au lieu de celui des votants. Ce nouveau mode de calcul, auquel le PJD s’était viscéralement opposé, pénalise les gros scores et avantage les petits scores. Arrivé premier dans plusieurs circonscriptions, le Rassemblement national des indépendants (RNI) semble avoir été le plus impactépar les effets négatifs du nouveau quotient que les autres formations politiques.
Interrogé par Hespress sur ce sujet, le spécialiste des institutions politiques, Abdelahafid Adminou, a expliqué que «le quotient électoral n’a pas laissé un grand écart entre les partis politiques en termes de score étant donné que le premier (RNI avec 102 sièges) s’éloigne du second (PAM avec 87 sièges) de seulement 15 sièges». «Ce rapprochement en termes de scores entre lesdits partis est dû à un certain nombre d’éléments dont le taux de couverture des arrondissements et le nombre de candidatures présentées par chacun des trois partis, décortique le politologue, faisant observer que le score inattendu du PJD a une explication en relation avec ces deux paramètres», ajoute-t-il.
À titre d’exemple, dans la circonscription de Kénitra, le RNI a perdu un siège en raison du quotient, qui a ainsi profité au PJD. Ainsi, c’est le nouveau quotient électoral qu’il a longtemps combattu, le jugeant «anti-démocratique», qui lui a permis d’obtenir des sièges.
Outre le quotient électoral, ce sont les femmes, élues sur les listes régionales, qui ont permis au parti de la lampe de décrocher neuf de ses 13 sièges à la Chambre des représentants. Il s’agit notamment de Naima Fathaoui (Souss-Massa), Selwa Berdaï (Tanger-Tétouan-Al Hoceima), Batoul Abladi (Guelmim-Oued Noun), Rabia Bouja (Rabat-Kénitra), Hind Bennani R’tel (Casablanca-Settat), Aïcha Elgout (Marrakech-Safi), Nadia Kansouri (Fès-Meknès), Touria Afif (Beni Mella-Khénifra) et Fatima Zahra Bata (Oriental).
Un parti morcelé
Le parti s’est lancé dans les élections avec une unité de façade, mais il est tellement divisé que plusieurs motions ont donné lieu à des affrontements acharnés. Il y avait une critique en interne, extrêmement forte, au sujet du bilan des présidents de communes qui cumulaient également un siège au Parlement. Ces derniers ont été évincés par le parti lui-même etne se sont pas représentés.
Ce scrutin est donc intervenu dans une période profondément sensible pour le parti, alors que ses dirigeants en difficulté menaient de nombreuses luttes pour leur survie politique. De plus, en s’isolant, le parti a rompu un consensus qu’il est censé défendre, indiquent plusieurs observateurs de la scène politique marocaine.
L’une des raisons d’une évaluation aussi sombre de la situation actuelle du parti — et de son avenir — concerne les divisions idéologiques de grandes envergures dont il a été le théâtre ces dernières années. Depuis décembre 2020, le mois où le Maroc a annoncé la reprisede ses relations diplomatiques avec Israël, un certain nombre de voix dissidentes du parti ont vivement critiqué cette décision. Certains membres ont même exhorté El Otmani à démissionner de ses deux postes.
Le débat sur la légalisation du cannabis a approfondi les querelles internes que la reprise des relations avec Israëlavait déterrées. En effet, Abdelilah Benkirane, ancien chef dugouvernement, avait annoncé(avant de se rétracter) le gel de son adhésion au parti. Benkirane, connu pour être le porte-parole de l’aile conservatrice du PJD, s’oppose au soutien de son parti à la légalisation du cannabis, qu’il avait jugé «inappropriée avec l’idéologie» du camp.
Après avoir perdu la bataille qu’il menait pour conserver sa majorité parlementaire lors des élections de cette année, le parti traverse le pire moment depuis sa création en juin 1998. Cette formation se bat durement pour rester politiquement pertinente dans les années et décennies à venir. C’est ainsi sans doute un pas dans la bonne direction que son secrétariat général aitprésenté sa démission au lendemain même des élections. Un changement de direction sera donc confirmé lors du congrès extraordinaire à venir le samedi 18 septembre. Sera-t-il suffisant pour assurer la relance du parti ? La question mérite d’être posée.Maroc Hebdo en doute, estimant que le PJD pourrait très bien ne plus jamais se retrouver, à l’avenir, à la tête d’un gouvernement, tant il «semble désormais exister un gap béant aussi bien entre lui et ses autres concurrents qu’avec la population».
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