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Le renforcement de la classe moyenne, une priorité

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Même si les données sur ce groupe font défaut au Maroc et dans le monde entier, il est nécessaire de débattre de la signification politique et économique de l’avènement de la classe moyenne. Hier marginalisée, cette couche sociale est aujourd’hui au centre des préoccupations de la politique marocaine. C’est du moins le message que fait passer le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans sa dernière étude. Comment se présente la classe moyenne au Maroc ? Quelle serait sa signification sociale, économique et politique ? Et quels sont les moyens à même d’élargir ce large agrégat statistique ?

Régulièrement présente dans les discours médiatiques ou politiques, la classe moyenne ne date pas d’aujourd’hui, mais des Trente Glorieuses. Il existe plusieurs définitions de ce concept : par catégories socioprofessionnelles ou par écarts de revenus. Dans son acception sociologique la plus courante, ce concept correspond à l’émergence d’une population occupant une position intermédiaire entre le salariat d’exécution (ouvriers, employés) et les catégories supérieures (cadres, chefs d’entreprise), explique le dernier petit volume de l’atelier intellectuel international « la République des Idées ».

Ainsi, les classes moyennes désignent les ménages et les groupes sociaux qui n’appartiennent ni aux classes les moins favorisées ni aux classes supérieures, mais se situeraient entre les deux. On y retrouve aujourd’hui l’ensemble de ce qu’on nomme les professions intermédiaires (techniciens, représentants de commerce, chargés de clientèle, cadres B de la fonction publique, agents de maîtrise…) auxquelles on peut ajouter la petite bourgeoisie traditionnelle, artisans ou commerçants.

Un concept flou

En 2009, le Haut-Commissariat au plan (HCP) avait réalisé une enquête sur les classes moyennes au Maroc. Intitulée « La classe moyenne marocaine : dimension démographique, profil socio-économique et évolution », cette étude, qui s’inspire des pratiques internationales, a été élaborée sur la base des réalités locales concrètes, en termes de revenu ou de niveau de vie, en liaison avec le niveau réel de la richesse du pays et de sa distribution. Adoptant l’approche fondée sur des critères économiques en la matière, le HCP a souligné que les classes moyennes au Maroc regroupent 53% de la population, soit 16,3 millions de personnes dont 62,9% vivent en milieu urbain. Les 47% restants se partagent entre la classe modeste (34%) et la classe aisée (13%).

Une estimation contredite par les estimations de la Banque africaine de développement (BAD), qui divise la catégorie classe moyenne en sous- catégories, notamment la floating middle class (classe flottante), la lower middle class et la upper middle class. De plus, selon l’ouvrage « Une classe moyenne au Maroc ? » de Florence Basty-Hamimi, si le HCP avait adopté l’approche de la Banque mondiale en la matière, le poids des classes moyennes au Maroc serait de 84,4% de la population. Ce poids serait de 78% avec l’approche tunisienne, 69,1% avec la méthode utilisée par la Chine et 54,1% selon l’Institut d’études statistiques canadien (Statistic Canada). Ainsi, un vif débat a été suscité autour de la publication des résultats du HCP, et notamment sur le fait que plus de la moitié de la population marocaine appartiendrait à la classe moyenne.

Aujourd’hui, il est extrêmement difficile de donner une définition scientifique à la notion même de classe moyenne, souvent perçue comme un idéal raisonnable. Outre le fait que la société marocaine est composite et différemment stratifiée, le concept même de centre, où logerait cette fameuse classe moyenne, n’est ni stable ni homogène. Ces contraintes ont été pointées par Lahcen Oulhaj, membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et président de la commission ad’hoc chargée de son élaboration. Selon ce dernier, la détermination de la classe moyenne est difficile en raison de l’approche purement statistique présidant à la définition de la classe moyenne, basée sur le revenu ou le niveau de consommation ainsi que de la faiblesse du dispositif de suivi des salaires dans le secteur privé. Oulhaj a également ajouté que parmi les contraintes qui rendent difficile la détermination de cette classe, figurent l’étendue du secteur informel et le manque de statistiques le concernant et l’absence d’un dispositif statistique sur les revenus non salariaux. Ainsi, afin de répondreà cette question, à savoir la notion ou le concept de classe moyenne, le CESE a présenté, ce mercredi 19 mai, une étude sur cette classe au Maroc, réalisée suite à une saisine de la Chambre des Conseillers.

Lire aussi :L’importance de la classe moyenne dans la stabilité économique, sociale et politique

Élargissement de la classe moyenne

Pour le Royaume, l’enjeu de l’émergence de cette classe moyenne est triple. Politiquement, il s’agit de former une classe citoyenne qui pourrait être la clé du renouvèlement et qui participerait davantage au débat public et aux processus électoraux. Économiquement, il faut élargir un marché marocain que l’on sait étroit, tandis que socialement, il s’agit de proposer un vrai système de promotion sociale.

Ainsi, une grande importance est accordée à la classe moyenne dans le discours politique. Conscient de ces enjeux, le roi Mohammed VI plaide souvent pour que les classesmoyennes soient au centre de l’initiative politique. Lors d’un discours prononcé à l’occasion de la fête du Trône en 2008, le Souverain avait déclaré : «réaffirmonsnotre ferme volonté de veiller à ce que toutes les politiques publiques soient stratégiquement vouées à l’élargissement de la classe moyenne, pour qu’elle soit le socle de l’édifice social, la base de la stabilité, et un puissant catalyseur de la production et de la créativité. Nous sommes, donc, fermement déterminés à œuvrer pour que les classes moyennes constituent désormais l’épine dorsale de la société équilibrée que nous nous employons à construire. Cette société, nous la voulons ouverte, ne laissant aucune place à l’ostracisme et à l’exclusion». Cet appel a été réitéré lors d’un discours adressé à la Nation à l’occasion du 66e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple : «tel un édifice, la société forme un tout cohérent, dont le soubassement est la classe moyenne, le reste de la structure étant composé des autres strates sociales. (…) Eu égard à la centralité de la classe moyenne dans le corps social, il convient d’en préserver les fondements et les ressources, en réunissant les conditions favorables à sa consolidation et à son élargissement, en ouvrant des perspectives de promotion à partir de — et vers elle».

En marge de la présentation à la Chambre des Conseillers des résultats d’une étude réalisée par le CESE, Ahmed Reda Chami, le président de ce conseil, a fait écho à ce point de vue, soulignant que la classe moyenne est mieux disposée à jouer le rôle de pilier de la stabilité sociopolitique et de moteur du développement économique, social et culturel de notre pays. Ainsi, une classe moyenne forte constitue une assurance d’une paix sociale et d’une stabilité politique. Selon Chami, «plus les inégalités sont faibles, plus il y a de la solidarité sociale et donc moins il y a de problèmes de stabilité politique ou sociale». Ainsi, le renforcement et l’élargissement de la classe moyenne marocaine sont préconisés.

L’étude du CESE, baptisée « Renforcer et élargir la classe moyenne au Maroc : Enjeux et voies pour une classe moyenne qualifiée, épanouie et entreprenante« , vise à apporter des éléments de réponse à une autre question, notamment les voies et moyens de la préserver et d’élargir cette population. Ainsi, le conseil a identifié des spécificités économiques et sociales pour l’élargissement de la classe moyenne au Maroc et sa consolidation afinde faire face aux éventuels chocs exogènes qui pourraient entraîner un déclassement social. Voici les huit voies et moyens cités à dessein de préserver et d’élargir la classe moyenne :

  • Les politiques budgétaires et fiscales pleinement redistributives ;
  • L’éradication de la pauvreté et l’assistance aux populations les plus modestes et vulnérables ;
  • L’autonomisation économique pour réduire la pauvreté chez les femmes dans les zones urbaines et rurales, ainsi qu’un accès plus grand des femmes au marché du travail ;
  • L’amélioration de la qualité des services sociaux ;
  • Le renforcement des compétences du capital humain ;
  • L’organisation et le développement des corps des métiers de la fonction publique ;
  • L’émergence d’une classe moyenne rurale ;
  • Le développement d’une infrastructure digitale inclusive.

Afin de mieux cerner le concept de classe moyenne

En vue de mieux cerner le concept de la classe moyenne, le CESE propose plusieurs recommandations en traçant les contours d’une définition alternative afin de la préserver, la renforcer et l’élargir pour lui permettre de jouer pleinement son rôle, dans le développement national. Il s’agit, entre autres, d’enrichir et moderniser le dispositif statistique national, de renforcer le pouvoir d’achat de la classe moyenne par l’introduction d’une fiscalité des ménages, de mettre les femmes au centre des efforts de lutte contre la pauvreté, d’asseoir la régulation du système de soins sur la base de l’établissement d’une carte sanitaire globale fiable (nationale et régionale), et de renforcer la formation qualifiante tout au long de la vie.

Le conseil recommande également la promotion et la diversification des activités économiques en milieu rural, hors agriculture. Il est, en outre, question de mettre en place une formule de la reconnaissance des acquis de l’expérience et les passerelles correspondantes dans les systèmes éducatifs nationaux ainsi que de considérer les nouvelles technologies comme une connaissance essentielle à implémenter dans les curriculums scolaires et universitaires, ainsi que développer des filières digitalisées.

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