Voici les raisons de l’invalidation du Code de procédure civile par la Cour constitutionnelle

Mbaye Gueye
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Voici les raisons de l’invalidation du code de procédure civile par la Cour constitutionnelleSiège de la Cour constitutionnelle à Rabat © DR

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La Cour constitutionnelle a censuré 35 articles du projet de loi sur la procédure civile, estimant qu’ils portaient atteinte à plusieurs principes fondamentaux, notamment la sécurité juridique, l’égalité des droits entre les parties et l’indépendance du pouvoir judiciaire. Cette décision remet en cause l’une des réformes majeures du ministère de la Justice, désormais contraint de revoir sa copie afin de se conformer aux exigences constitutionnelles. Explications.

C’est un véritable revers qu’essuie le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi. Après s’être battu bec et ongles pour faire adopter le nouveau Code de procédure civile à la Chambre des représentants puis à celle des conseillers, le projet de réforme vient d’être retoqué par la Cour constitutionnelle. Dans une décision rendue publique le 4 août 2025, la Haute juridiction a jugé que 35 articles du projet de loi organique étaient contraires à la Constitution, notamment en raison d’atteintes aux principes de sécurité juridique, d’égalité des droits entre les parties et d’indépendance du pouvoir judiciaire.

Cette décision intervient après que le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a saisi la Cour constitutionnelle du texte, conformément à l’article 21 de la loi organique relative à cette institution. Ce mécanisme impose un examen préalable de toute loi organique par la Cour constitutionnelle avant sa promulgation, afin de vérifier sa conformité à la Constitution.

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Parmi les articles rejetés figure le très controversé paragraphe 4 de l’article 84, qui autorise la notification d’une convocation à un proche du destinataire, âgé d’au moins 16 ans, sur la seule base de son apparence, à condition qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêt. La Cour a estimé que cette disposition repose sur des suppositions et non des certitudes, compromettant ainsi les droits de la défense et la sécurité juridique. Par renvoi, d’autres articles connexes — les articles 97, 101, 105, 123, 204 et 500 — ont également été jugés inconstitutionnels.

Le flou juridique dans la procédure

Le paragraphe 1 de l’article 17, qui autorisait le ministère public à demander l’annulation d’une décision judiciaire définitive pour atteinte à l’ordre public, a également été invalidé. En l’absence de délais ou de critères clairs pour encadrer cette procédure exceptionnelle, la Cour y a vu une atteinte au principe de sécurité juridique. De même, l’article 288 a été censuré en raison d’une simple erreur matérielle portant atteinte à la lisibilité de la norme juridique : il renvoie à l’article 284 au lieu de l’article 285 relatif aux procédures testamentaires.

Violation des droits de la défense et de la séparation des pouvoirs

Autre point d’achoppement : le dernier paragraphe de l’article 90, qui autorise la participation à distance des parties aux audiences sans garanties procédurales précises. Pour les sages de la Cour, cette disposition va à l’encontre du principe de publicité des audiences, essentiel à la tenue d’un procès équitable.

Les articles 107 et 364 ont, quant à eux, été invalidés car ils empêchent les parties de répondre aux conclusions du commissaire du gouvernement, bafouant ainsi le principe du contradictoire. L’article 339 a également été censuré pour défaut de motivation des décisions judiciaires favorables à une récusation, en contradiction avec l’article 125 de la Constitution.

Code de procédure civile : adoption finale à la Chambre des conseillers et envoi à la Cour constitutionnelle

Plus grave encore, la Cour a jugé inconstitutionnelles les dispositions des articles 408 et 410, qui permettent au ministre de la Justice d’intervenir dans le renvoi des dossiers à la Cour de cassation. Cette prérogative, selon la Cour, viole la séparation des pouvoirs et doit rester exclusivement du ressort de l’autorité judiciaire (ndlr : ensemble des institutions et personnes chargées de faire appliquer la loi).

Les articles 624 et 628 ont également été critiqués pour confier la gestion du système informatique judiciaire à l’autorité gouvernementale chargée de la justice, reléguant ainsi le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et le parquet à un rôle marginal. La Cour estime que la répartition des dossiers et la désignation des juges relèvent exclusivement du pouvoir judiciaire.

Le ministère réaffirme son plein respect à la Cour constitutionnelle

En réaction à ce verdict, le ministère de la Justice a publié un communiqué dans lequel il réaffirme son plein respect des compétences de la Cour constitutionnelle et salue la vitalité démocratique du processus législatif. Le ministère souligne que ce projet de loi a été élaboré dans une démarche participative impliquant magistrats, avocats, ordres professionnels et défenseurs des droits humains.

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Malgré ce revers, le ministère se dit déterminé à poursuivre la réforme de la procédure civile dans un esprit de concertation institutionnelle constructive. Il réaffirme son objectif : doter le système judiciaire national de lois modernes, respectueuses des droits constitutionnels et garantes d’une véritable sécurité juridique.

Cette décision marque un tournant important dans la refonte de la justice civile au Maroc. Si elle ralentit momentanément l’avancée du chantier, elle met aussi en lumière l’importance des garde-fous constitutionnels et de la rigueur juridique dans l’élaboration des lois. Le ministère devra désormais revoir sa copie et proposer une nouvelle mouture conforme aux exigences soulevées par la Cour. Pour ce faire, ce projet de loi devra reprendre le même circuit lors de la prochaine session parlementaire.

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