Wafa Assurance : le virage raté par Ramsès Arroub (2/6)
Tribune
Nabil AdelAncien cadre de Wafa Assurance
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La solitude du dirigeant s’incarne dans le fait que c’est à lui seul d’orienter le paquebot. Il peut se concerter, se faire conseiller, mais c’est lui qui décide in fine. Et toute mauvaise direction est non seulement difficilement rattrapable, mais peut coûter à l’entreprise son existence. Dans la première tribune de cette série consacrée au bilan de M. Arroub à la tête de Wafa Assurance, nous avons analysé l’évolution des résultats de la compagnie depuis 2007. Dans cette deuxième tribune, nous présenterons le virage stratégique qu’il a fait rater à la compagnie dans l’assurance automobile et qui lui coûte aujourd’hui plusieurs années de perte en parts de marché et autant en bénéfices.
Un héritage brillant
En 2002, Wafa Assurance prit de court le marché en lançant l’une de ses innovations majeures dans l’assurance, à savoir « Wafa oto ». Ce produit révolutionnaire à l’époque consistait à réunir en un seul package plusieurs services. Ainsi, en cas d’accident, l’assuré bénéficiait de l’aide d’un constateur, du dépannage si son véhicule n’est pas en état de circuler, d’un véhicule de remplacement et de la réparation dans un garage agréé après visite de l’expert. En quelques jours, l’affaire était réglée et l’assuré n’avait rien déboursé.
Avant « Wafa oto », l’assuré devait, à la survenance d’un sinistre, informer la compagnie via son intermédiaire, réparer son véhicule à ses frais après accord de l’expert, et attendre le remboursement de son assureur qui pouvait prendre plusieurs mois. Cette innovation bouleversa le marché à l’époque et fit rentrer l’assurance automobile au Maroc dans une nouvelle ère.
Sur le plan de la distribution, à l’arrivée de M. Arroub à la tête de Wafa Assurance en décembre 2007, la compagnie avait lancé six mois auparavant un projet ambitieux d’ouverture de 300 agences d’assurances «nouvelle génération». Ce projet, appelé « Pionniers« , devait également faire converger l’ancien réseau progressivement vers ces nouvelles normes de fonctionnement.
Le concept consistait en l’acquisition de locaux et leur mise à la disposition des futurs agents, sous forme de location avec option d’achat. Les loyers étaient symboliques au démarrage et devaient évoluer au rythme de l’exploitation de l’agent, jusqu’à équivaloir à ceux du marché. De même, la compagnie devait prendre en charge la rémunération de l’agent, dans un premier temps, pour lui garantir un niveau de vie raisonnable pendant la phase délicate de démarrage. L’aménagement de ces agences devait être homogène et le fonctionnement devait obéir à des règles uniformes contenues dans un «cahiers des normes de gestion de l’agence». À cela, s’ajoute la création d’une école de formation, « l’Institut Wafa », qui devait assurer la qualification et la mise à niveau continues du réseau. Et, outre la commission, le système prévoyait une rémunération additionnelle de l’agent basée sur les résultats du point de vente.
Ce projet devait permettre à la compagnie, qui occupait à l’époque la deuxième place, d’accélérer sa croissance et d’accéder au leadership de la branche automobile. Un objectif largement à la portée, d’autant plus que l’écart qui la séparait du leader n’était que de 156 millions de DH (MDH) en 2007.
Une succession calamiteuse
À partir de 2008 (première année pleine de mandat de M. Arroub), la compagnie connut non seulement une véritable panne de croissance, mais une gestion catastrophique du réseau de distribution.
En effet, plus aucune offre séduisante pour la clientèle ne fut mise en œuvre ; les principales innovations de la compagnie consistaient en des panneaux 4×3 avec de belles personnes souriantes. À titre d’exemple de cette stérilité, alors que l’idée d’un centre d’expertise rapide fut en test par la compagnie depuis 2007, c’est finalement Sanlam (ex-Saham) qui lança le premier le concept avec une belle bâtisse en plein boulevard Zerktouni à Casablanca, laissant Wafa Assurance se contenter d’un petit bureau avec une table de coloriage pour enfants dans un hypermarché à Sidi Maarouf !
Quant à l’extension du réseau, pendant que le nouveau management, ne sentant aucune urgence, tergiversa sur la couleur du carrelage et l’emplacement du comptoir d’accueil dans une agence, son principal concurrent ouvrit agressivement des points de vente dans tout le royaume. Ce retard dans l’extension du réseau ne fut jamais rattrapé, et la compagnie en paya un prix élevé. Tandis que le réseau exclusif de Wafa Assurance compte aujourd’hui 296 points de vente, celui du leader en compte plus de 500.
Rien de ce qui a été prévu dans le projet «Pionniers» ne fut finalement réalisé, le laissant mourir lentement. Quelques mois après sa prise de fonction, cette première et dernière promotion fut intégrée à l’ancien réseau. Celle qui devait servir de modèle de nouvelles pratiques de gestion finit graduellement par adopter les anciennes méthodes. Et là, comme le disait l’économiste Britannique Thomas Gresham, «la mauvaise monnaie chassa la bonne».
Sans rentrer dans les détails de la gestion organisationnelle chaotique de cette branche, les résultats de ce cumul de fautes de gestion ne tardèrent pas à éclater. La part de marché de la compagnie s’effondra et celle du principal concurrent devenu leader s’envola.
Des résultats catastrophiques
La baisse de la part de marché commença dès 2008. Elle ralentit par la récupération des assurances automobile des filiales d’Al Mada (entre 2010 et 2012). Puis commença une nouvelle régression à partir de 2013 (dernière année pleine du premier mandat). Celle-ci fut légèrement ralentie et même absorbée pendant le départ de M. Arroub entre 2014 et 2017. Depuis son retour en 2018, la pente de baisse reprit et s’accéléra fortement.
Il faut remonter à l’année 2000 pour rencontrer une part de marché aussi faible dans l’automobile que celle que réalise la compagnie aujourd’hui.
Alors que l’écart entre Wafa Assurance et le leader Sanlam n’était que 156 MDH au moment de sa prise de fonction en 2007, M. Arroub réussit l’exploit de le creuser à 878 millions en 2021, soit plus que le chiffre d’affaires total d’une compagnie d’assurance comme la CAT ou d’une mutuelle comme la MATU !
Paradoxalement, la seule période d’accalmie dans cette série noire de régressions est celle qui coïncide avec son départ entre 2014 et 2017. C’est l’unique phase entre 2008 et 2021, où la compagnie réalisa un taux de croissance annuel moyen supérieur à celui de Sanlam. Pis encore, entre 2018 et 2021, la compagnie réussit la performance de faire stagner son CA en assurance automobile, quand Sanlam le fit croitre de 4,8%, creusent ainsi l’écart réduit entre 2014 et 2017.
En 2021, ce sont 21 ans de parts de marché qui partirent en fumée, et aujourd’hui la filiale des puissants Attijariwafa bank et Al Mada est assise sagement à la cinquième place dans le classement du secteur. Autant dire que ce retard est irrattrapable.
Cette perte n’est pas anodine, car elle frappe le moteur même du profit de toute compagnie d’assurance. L’automobile, bien que ne représentant que 26,1% du CA du secteur, pèse néanmoins 60% de ses bénéfices toutes branches confondues, et 73,4% des profits en non-vie. Elle dégage, en outre, de généreux taux de marge de plus de 20%.
C’est cette gabegie en auto qui explique en grande partie le recul des résultats de la compagnie ces dernières années et affectera davantage sa rentabilité future. Le plus dangereux est que la panne de croissance que connaît Wafa Assurance dans cette branche fera que ses bénéfices futurs ne proviendront désormais que de ses réserves passées.
Réaction de panique
Les possibilités d’innovation en assurances automobile sont illimitées, aussi bien dans l’offre produit, la connaissance et l’expérience client, la relation avec le réseau que dans les processus opérationnels.
Or, au lieu de travailler dans ce sens pour redresser la croissance et la rentabilité de la branche, la principale rupture proposée par Wafa Assurance est de décliner le produit « Wafa oto », lancé il y a 20 ans, par segment ! Le plus triste est que la seule offre de valeur proposée aux assurés consiste en des réductions tarifaires, des garanties gratuites et des facilités de paiement, et ce, pour l’assuré, son conjoint, ses enfants et ses parents. Comme si les concurrents étaient incapables d’un tel exploit !
Pour rappel, il y a à peine quatre années, les compagnies d’assurances sont sorties se plaindre du recul de leur profitabilité en automobile, en raison justement de ce genre de pratiques tarifaires. Et rebelotte !
Toutefois, outre le fait que ces largesses ne feront que réduire la rentabilité de la compagnie déjà mise à mal par ses pertes de parts de marché, elles n’auront qu’un impact fort marginal sur sa croissance. Et pour cause, elles ne concernent que les garanties facultatives qui ne représentent que 16,9% du marché de l’assurance automobile. L’essentiel de cette branche, à savoir la RC obligatoire requiert un bon maillage réseau et des innovations aussi tranchantes que « Wafa oto ». Or, la compagnie souffre d’un retard de plus de 200 points de vente sur le leader et ne sait plus faire que du dumping déguisé.
Quand les réflexes qui ont fait le succès d’une entreprise ont un calquage cérébral, ce n’est pas d’une cure dont elle a besoin, mais d’un électrochoc. Quand l’ambition d’un dirigeant, après les années de gloire dont il a hérité, est juste de préserver l’acquis et qu’il n’y arrive pas, c’est que le casting a été mauvais dès le départ. Attendre tranquillement que les choses s’arrangent par enchantement, c’est essayer plusieurs fois la même chose et s’attendre à un résultat différent. Et cela a un nom !
Dans la même série :
Wafa Assurance : le sombre tableau de Ramsès Arroub (1/6)
Wafa Assurance : le virage raté par Ramsès Arroub (2/6)
Wafa Assurance : le grand gâchis de Ramsès Arroub (3/6)
Wafa Assurance : les opportunités manquées par Ramsès Arroub (4/6)
Wafa Assurance : le dommage irréparable de Ramsès Arroub (5/6)
Wafa Assurance : la destruction méthodique de Ramsès Arroub (6/6)
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