Sommet de Nice pour les Océans : des vagues d’espoir secouées par les vents de la contradiction

Le troisième Sommet des Nations Unies sur les Océans (UNOC3) s’est achevé à Nice, en France, sur une note paradoxale : des avancées notables sur le dossier des hautes mers ont été éclipsées par un silence assourdissant sur la principale cause de la crise océanique, à savoir les combustibles fossiles. Entre espoirs diplomatiques et réalités politiques, le Sommet a révélé que la protection des océans est bien plus qu’un enjeu environnemental — c’est un défi géopolitique et économique.

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Publié le 16/06/2025 à 12:10

Tribune

Mohammed Tafraouti

Activiste environnemental, spécialiste des questions oasiennes et du développement durable.

Alors que les énergies fossiles sont à l’origine du changement climatique, de l’acidification des océans et de la perturbation des écosystèmes marins, aucune mention n’y a été faite dans la déclaration finale de Nice. Ce silence n’est pas anodin : il illustre le poids des intérêts industriels et l’influence des lobbys pétroliers et gaziers, toujours actifs dans des projets maritimes aux conséquences écologiques majeures.
Selon le Centre pour le droit environnemental international (CIEL), cette omission constitue « un échec total à reconnaître la racine du problème ». Bruna Campos, responsable de campagne, a été claire : « Nous ne pouvons pas protéger les océans tout en ignorant leur principale menace. »
Ce déni politique perpétue une contradiction fréquente dans les négociations climatiques : traiter les symptômes, tout en évitant les causes. On privilégie les mécanismes de financement et la coopération technique, sans remettre en cause le modèle économique fondé sur le carbone.

Traité sur la haute mer : un acquis juridique à concrétiser

Le Sommet a néanmoins enregistré une avancée importante avec la montée en puissance du traité sur la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales (BBNJ). Dix-neuf nouveaux pays ont ratifié l’accord, portant le total à 50, à seulement dix ratifications de son entrée en vigueur, espérée avant septembre 2025.
136 pays ont désormais signé le traité. L’Union européenne a promis 10 millions d’euros pour soutenir les pays en développement, rejoints par 6,5 millions de dollars de la Fondation australienne Minderoo.
Cependant, les défis sont considérables : absence d’un secrétariat permanent, manque de mécanismes clairs de règlement des différends, difficulté d’intégrer les savoirs autochtones et traditionnels, et surtout, l’absence de mécanismes de surveillance efficaces sur les activités d’exploration et d’exploitation.

Alliance de l’ambition bleue : entre slogans creux et absence d’action

Le sommet de Nice a relancé « l’Alliance de l’ambition élevée pour l’océan », un cadre volontaire réunissant 75 pays, qui vise à protéger 30 % des océans d’ici 2030. Mais en l’absence de normes juridiquement contraignantes et face aux contradictions entre les paroles et les actes – notamment des États investissant dans des projets maritimes polluants – l’efficacité de l’initiative reste affaiblie.
Même les nouvelles mesures annoncées, comme les « contributions bleues déterminées au niveau national » (Blue NDCs), semblent limitées dans leurs effets tant qu’elles ne lient pas explicitement la protection des écosystèmes marins à la réduction des investissements dans les énergies fossiles offshore.

Des zones promises à la protection… mais encore vulnérables

Plusieurs zones ont été proposées en protection dans le cadre de la Convention sur la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales (BBNJ) : les monts sous‑marins Salas y Gómez, Nazca, le dôme thermique du Costa Rica et l’océan sud‑Tasma. Chacune abrite une biodiversité exceptionnelle. Néanmoins, leur protection réelle dépend de la capacité des États à surveiller les activités industrielles : pêcheries profondes, exploitation minière en haute mer, tourisme destructeur.
À ce propos, l’organisation Global Fishing Watch a souligné l’importance de la transparence, de la redevabilité et de l’implication des communautés côtières dans un véritable contrôle citoyen.

Voix du Sud : la justice environnementale en jeu

Au cœur de la conférence, des représentants d’Amérique latine, du Pacifique et du Sud global ont réclamé le respect de la justice environnementale. María José González Bernat (AIDA) a affirmé : « C’est un moment historique. Il faut que les traités donnent la voix aux communautés historiquement affectées ».
Matthew Collis (International Fund for Animal Welfare) s’est exprimé ainsi : « Le traité a été comme un long voyage de baleine… aujourd’hui il atteint le port de l’espoir. Il nous faut maintenant protéger ce port contre les vents violents des intérêts carbonés. »

Le scandale bleu : Macron sur la sellette face à BLOOM

Lors d’une émission spéciale « Urgence Océan » sur TF1, le président Macron a voulu présenter la France en chef de file de la protection marine. Mais l’ONG BLOOM, fondée en 2004 par Claire Nouvian, a dénoncé une tentative de « blanchiment écologique et politique », qualifiant la situation de « scandale d’État », illustrant la connivence avec les lobbies de la pêche industrielle.
BLOOM dénonce que le soi-disant « interdiction de la pêche de fond » couvrant 4% des eaux françaises ne fait que redéclarer des zones déjà protégées, sans effet concret ni impact perceptible sur les populations et l’opinion publique. Le rapport d’Oceana corrobore ces critiques : 98 % des aires marines protégées autorisent toujours la pêche industrielle de fond, avec plus de 17 000 heures de traîne enregistrées dans ces zones, l’équivalent d’un chalut opéré en continu pendant deux ans.
Réponse de BLOOM et ClientEarth : dépôt d’un recours devant le tribunal administratif de Paris pour annuler les arrêtés tolérant ces pratiques, et plainte auprès de la Commission européenne contre la France, l’Espagne et le Portugal pour pêche illégale en zones supposées protégées.
La comparaison avec des modèles plus ambitieux renforce la pression sur Paris : le Royaume-Uni interdit la pêche de fond dans 50 % de ses aires protégées, tandis que des pays comme Samoa ou la Polynésie française déploient des protections marines vastes et effectives.

La protection océanique ne saurait se limiter à des discours flatteurs

Le sommet de Nice s’est achevé 24 heures plus tôt que prévu, sous le poids des accusations d’avoir éludé les enjeux essentiels – pêche industrielle, énergie fossile offshore. Plus qu’un sommet, cet événement a été un exercice de diplomatie bleue creuse, déconnectée des défis réels.
La véritable protection de notre « bien bleu commun » ne passe pas par des déclarations vaines, mais par une refondation radicale de notre modèle économique, fondé sur l’extraction. Les océans sont le pouls vital de la planète : sans affrontement authentique du pouvoir des sociétés pétrolières et sans remise en question de nos choix, danser sur le fil des abysses restera un futile numéro diplomatique.
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