Temps de lecture : 8 minutes

Accueil / Société / Moudawana : dernière ligne droite

Moudawana : dernière ligne droite

Temps de lecture : 8 minutes

Dossiers

Temps de lecture : 8 minutes

Nous y sommes presque ! Dans quelques semaines, le gouvernement, chargé par le Souverain le 26 septembre dernier, devra présenter son projet de réforme du Code de la famille. Car 20 ans après son adoption, entre la lenteur des procédures et les lacunes dans l’application de ses dispositions, la Moudawana n’a pas obtenu les résultats escomptés. Mais si la réforme est nécessaire, certains enjeux entravent le processus. Les forces vives de la Nation sauront-elles dépasser les points de discorde ? Jusqu’où ce changement ira-t-il ?

Temps de lecture : 8 minutes

Au début de son règne, le roi Mohammed VI a érigé la révision de la Moudawana en priorité. D’ailleurs, l’adoption de ce corpus juridique en 2004, qui fixe le droit de la famille dans le royaume et délimite notamment le cadre du mariage, de l’héritage et du divorce, a marqué un moment important de l’évolution vers une approche genre plus égalitaire. Les révisions alors apportées par ce nouveau code étaient significatives : l’âge minimum légal de mariage pour les filles passe de 15 à 18 ans, la famille est dorénavant placée sous la responsabilité des deux époux, la polygamie devient quasiment impossible à pratiquer et la répudiation nécessite désormais un contrôle judiciaire et ne dépend plus seulement des adouls.

Lire aussi : Code de la famille : osons une réforme de fond !

Mais cette réforme même avait nécessité environ six années de débats idéologiques entre traditionalistes et réformateurs. «Comment espérer assurer progrès et prospérité à une société alors que les femmes, qui en constituent la moitié, voient leurs droits bafoués», avait déclaré le Monarque, le 20 août 1999, dans l’un de ses premiers discours.

Il y a vingt ans, un «bon en avant»

D’un côté, le gouvernement socialiste de feu Abderrahman Youssoufi s’était engagé en faveur de l’amélioration du statut des femmes en élaborant un Plan d’Action National pour l’Intégration de la Femme au Développement. Ce plan, éloigné des traditions malékites, préconisait une réforme profonde de la Moudawana. Les partisans, issus principalement de deux partis socialistes, l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) et le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS), ainsi que du Parti de l’Istiqlal, se sont ralliés à cette cause.

Face à l’Exécutif, et en réaction, les traditionalistes, incluant des oulémas et des groupes islamistes tels que le mouvement Al Adl Wal Ihsane d’Abdessalam Yassine, ont lancé une révolte au début des années 2000, dénonçant ce Plan d’action comme immoral et en opposition à la tradition islamique. Il aura fallu attendre l’intervention du Souverain, en sa qualité de commandeur des croyants, pour aboutir à une révision modeste – en comparaison avec les expectatives, mais une révision quand même – du Code de la famille.

Vingt ans après, si la Moudawana a élevé l’âge légal du mariage des femmes, les dérogations sont monnaie courante. Censées être exceptionnelles, elles ont atteint des niveaux très élevés puisque «près de 85% des demandes présentées entre 2011 et 2018 ont été approuvées», selon une étude du ministère public. Même s’ils ont considérablement diminué, le nombre des contrats de mariage de mineurs se sont établis à 12.940 contrats en 2022. De leur côté, les restrictions à la polygamie introduites en 2004 sont également facilement contournées. Cette pratique n’a toutefois représenté que 0,3% des actes de mariages en 2022, selon le Haut-Commissariat au plan (HCP).

Aujourd’hui, le gouvernement Akhannouch, date butoir arrivant à échéance, doit produire un texte de loi qui compose avec le référentiel islamique, les dispositions de la Constitution encadrant la famille, les orientations royales et surtout les «convictions de la société».

L’espoir commun d’une société ?

Si le ton a été donné dès 2022, dans son discours adressé à la Nation à l’occasion de la fête du trône, le Souverain a tranché le 26 septembre dernier. Par sa précision et la clarté de ses objectifs, le roi Mohammed VI donne au gouvernement un délai maximal de six mois pour réviser la Moudawana. Dès le lendemain, Aziz Akhannouch avait réunit à l’Académie du Royaume le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, le président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, Mohammed Abdennabaoui, et le procureur général du Roi près de la Cour de cassation, résident du ministère public, El Hassan Daki.

En tant que chargés du chantier, les trois ont démarré une série des concertations élargies à même de «créer des consensus, d’éviter les tiraillements et d’assouplir les positions des uns et des autres dans un laps de temps très limité». Au total, ce sont plus de 130 séances d’auditions qui ont été menées en deux mois avec les différents acteurs concernés, notamment les partis politiques, les centrales syndicales, les associations et les établissements publics, les centres de recherche ainsi qu’avec toute partie intéressée par l’examen, l’analyse et la discussion du Code de la famille. Les séances d’audition ont pris fin mercredi 27 décembre.

Lire aussi : À chaque parti politique sa vision pour réformer la Moudawana

Le signal est fort, mais qu’en ressort-il ? Si les acteurs auditionnés ont chacun publiquement défendu leurs positions et visions pour cette réforme, peu d’éléments ont transparu quant aux amendements en vue. Seuls les points de fortes divergences apparaissent : l’âge légal du mariage, l’égalité en matière d’héritage, et le placement sous tutelle des enfants. Ces sujets semblent donc être les axes focaux de toute la société. Qu’en est-il réellement ?

Un sondage réalisé par Hespress en mars 2023 s’est focalisé sur ce sujet en posant une question simple et directe : «Êtes-vous favorable à un changement global du Code de la famille ?». La réponse a été Non pour les 56,57 % des 12.110 participants, hommes et femmes, contre environ 43,43% qui ont répondu Oui. Des chiffres qui ne semblent pas grandement encourager le débat.

Lire aussi : Code de la famille : des propositions clés des instances des droits de l’Homme

Si la question du Oui ou Non pose de fait les limites du consensus, le sondage de l’Afrobaromètre révèle que près de huit Marocains sur 10 (78%) affirment que toute réforme du Code de la famille visant à promouvoir l’égalité des sexes devrait être basée sur la loi islamique ou la charia. Les résultats indiquent que les trois principales questions que les Marocains souhaitent voir prioritaires dans cette révision sont les procédures de divorce, de réconciliation et de pension alimentaire (citées par 32%) ; les relations sexuelles hors mariage (25%) ; ainsi que le mariage précoce (22%).

Moudawana : un dernier mois d'espoir

Les plus importantes questions à prioriser dans les réformes du Code de la famille (2022). © Afrobaromètre

La réforme, antonyme des principes religieux ?

Le Souverain a ouvert, dès son accession au trône, la voie à l’instauration d’un statut modèle de la femme au niveau du monde arabo-islamique. Un statut qui prouve que la modernisation et l’islam ne sont pas antinomiques, et que notre confession est en parfaite conformité avec les valeurs de la démocratie. Et, dans ses orientations pour cette seconde réforme, le Monarque a été clair : «En qualité d’Amir Al-Mouminine, et comme Je l’ai affirmé en 2003 dans le Discours de présentation du Code devant le Parlement, Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels».

Cependant, le Roi a appelé à ce que le texte soit «empreint de modération, d’ouverture d’esprit dans l’interprétation des textes, de volonté de concertation et de dialogue». Et pour Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine du Maghreb à l’université Paris I, «aujourd’hui, une grande partie de la société est en accord avec cette réforme, et les islamistes sont affaiblis. C’est donc un moment jugé opportun par le Palais pour pousser ces réformes égalitaires».

Mais, parmi les forces vives de la Nation, c’est tout le problème de la discorde. Entre traditionaliste et progressiste, il n’y a pas d’interprétation. Le secrétaire général du Parti justice et développement ira même jusqu’à déclarer : «Les femmes sont les grandes perdantes de la revendication pour leur égalité avec les hommes». Abdelilah Benkirane a ainsi provoqué la colère des associations, à l’instar de l’association Kif Mama Kif Baba qui a dénoncé «des agissements qui érodent le dialogue constructif et la recherche de solutions durables».

Pour le parti de la lampe, la crainte est la même : importer des modèles étrangers et dénaturer de ce fait toute la société marocaine.

Une évaluation minutieuse de l’égalité dans le Code de la famille est en cours. Une réunion prévue a été tenue mardi dernier pour déployer un plan d’action qui sera ensuite soumis au président de la chambre. Le chantier semble avancer à grands pas. Qu’en sera-t-il de son résultat ?

Laissez-nous vos commentaires

Temps de lecture : 8 minutes

La newsletter qui vous briefe en 5 min

Chaque jour, recevez l’essentiel de l’information pour ne rien rater de l’actualité


Et sur nos réseaux sociaux :

moudawana

ENCG Casablanca : droit de réponse à l’enquête publiée le samedi 20 avril

Nous publions le document reçu tel quel en écartant les éléments qui n'ont pas été cités dans l'article initial et ce conformément aux dispo…
moudawana

Enquête – ENCG Casablanca : à qui profite le vide ?

Le 19 mai 2022, LeBrief publiait un article sur la grogne des enseignants de l'Ecole nationale de commerce et de gestion de Casablanca. Ces …
moudawana

Causeries hassaniennes : pour un réveil des consciences et une moralisation de la société

Vendredi 15 mars 2024, au quatrième jour du Ramadan 1445 H, le roi Mohammed VI préside la première causerie religieuse du mois. À ses côtés,…
moudawana

Ramadan : quand les business veulent faire recette

Qui dit Ramadan, dit consommation sur tous les plans. Chiffres à l’appui, la dépense moyenne par ménage s’apprécie de 18,2% en moyenne duran…
moudawana

Programmation ramadanesque ou la fabrique de l’idiotie

«Une programmation éclectique mettant à l’honneur le meilleur de la production nationale». Voilà la promesse formulée par 2M à quelques jour…
moudawana

Un mois sacré mais la santé avant tout !

«On mange d’abord avec les yeux». La diversité et la quantité sont à l’honneur pour ceux qui peuvent se le permettre. Le Ramadan, par essenc…
moudawana

Ramadan 1445 : quoi qu’il en coûte !

Nous sommes à deux jours du Ramadan : le mois de la dévotion et de la simplicité. Mais les habitudes alimentaires sont, elles, loin d’être p…
moudawana

Le seuil 9,326 au test de la couverture sociale généralisée

Ils étaient plus de 16 millions à bénéficier du régime d’assistance médicale «RAMED». Au 1ᵉʳ décembre 2022, 10,4 millions de personnes ont b…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée Champs requis marqués avec *

Poster commentaire