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Les «descendants d’Abraham» condamnés à l’enfer sur Terre

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Au huitième jour de l’attaque menée par Hamas, d’aucuns ne connaissent le fin mot de l’histoire. Si Netanyahu assure que le 7 octobre dernier a été le pire jour des Israéliens depuis la Shoah, que dire des autres enfants d’Abraham qui subissent, depuis 70 ans, une riposte aveugle, sous le regard désintéressé des uns et la complicité d’autres. Parce que dans ce chaos, n’oublions pas la Palestine.

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«Ce que le Hamas va vivre sera difficile et terrible (…), nous allons changer le Moyen-Orient», avait promis lundi le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. Une promesse aux aires prémonitoires en représailles à la plus grande offensive jamais menée par le Hamas depuis sa création en 1987.

Le samedi 7 octobre, vers 6h du matin, le mouvement lance jusqu’à 5.000 roquettes de la bande de Gaza en direction des localités israéliennes voisines, mais aussi plus en profondeur jusque vers Tel-Aviv et Al Qods. Il a fallu se déjouer du Dôme de fer, le dispositif de défense antiaérienne de l’État hébreu. Parallèlement, des membres des Brigades Ezzedine Al-Qassam, branche armée du mouvement, pénètrent le territoire israélien en franchissant la frontière. Celle-ci est pourtant considérée comme l’une des plus sécurisées du monde.

C’est le «Déluge d’Al-Aqsa», l’opération du mouvement qui vient répondre aux «attaques incessantes des forces israéliennes et des colons contre le peuple palestinien, ses biens et ses lieux saints, en particulier la mosquée d’Al-Aqsa». Dans un message enregistré, Muhammad Deif, le chef de la branche militaire du Hamas depuis 2002, a déclaré que le groupe avait décidé de lancer ce qu’il a appelé une «opération» afin que «l’ennemi comprenne que le temps de ses ravages sans rendre de comptes est révolu».

Les descendants d’Abraham condamnés à l’enfer sur Terre

Frappes du Hamas confirmées. © Financial Times

Durant trois décennies et demie qui ont suivi ses débuts en tant que groupe militant, le Hamas a constamment agi pour faire reculer la domination israélienne. Cette même colonisation qui a tué des milliers de personnes, contraint des générations entières à grandir sous occupation ou créé une anxiété constante face à l’imminence de tirs de roquettes ou d’attentats à la bombe.

Anatomie d’une attaque, 50 ans et un jour après Youm Kippour

La date n’aura pas échappé aux membres du Hamas : le 6 octobre 1973 à 14h, l’Égypte et la Syrie lançaient une offensive conjointe contre Israël. La récente attaque rappelle la sidération et la stupeur israéliennes au premier jour de l’offensive de 1973 qui aura duré 18 jours. Personne ne l’a vu venir ? Même pas le Shin Bet, le service de renseignement intérieur israélien, le Mossad, son agence d’espionnage extérieure, Aman, son service de renseignement militaire, encore moins toutes les forces de défense israéliennes.

Anatomie d’une attaque, 50 ans et un jour après Youm Kippour

Le choix du «casus belli» par le Hamas

La force avec laquelle Israël attaque aujourd’hui Gaza, ce petit bout de territoire où les réfugiés de 1948 sont condamnés à survivre, dénote en premier lieu du sentiment d’«humiliation» ressenti par l’État hébreu. Il s’agit de l’armée la plus puissante du Proche-Orient et l’une des plus performantes au monde. D’autre part, cette attaque renforce également la position agressive d’Israël qui n’a eu de cesse d’augmenter ces dernières années vis-à-vis de la Palestine, atteignant son paroxysme avec le gouvernement actuel de Netanyahu. L’exécutif «le plus anti-palestinien de l’histoire d’Israël» est, en effet, composé de ministres qualifiés par certains observateurs «d’extrême-droite ou de néo-fascistes».

«Celui qui attaque en premier est le vilain dans l’histoire». Mais, le Hamas et le gouvernement actuel d’Israël sont, tous deux, idéologiquement enclins à la violence plutôt qu’à la paix, au conflit plutôt qu’à la coopération.

L’histoire se répète : nous l’avons vécu il y a un peu plus d’un an lorsque la Russie a «tiré la première». Ironie de la chose, aujourd’hui l’Ukraine soutient Israël au moment où Vladimir Poutine prévient les Américains : «Si vous intervenez militairement [en défense d’Israël], nous nous tiendrons aux côtés des Palestiniens».

À noter qu’il existe en Israël «une très forte dissension, des centaines d’Israéliens sont dans les rues, et l’on sait très bien qu’une partie importante de l’appareil sécuritaire de l’armée et des services de renseignement israéliens sont plutôt du côté de l’opposition que du côté de Netanyahou. C’est évidemment une situation qui fragilise la sécurité israélienne. Je me souviens que le ministre de la Défense israélien Yoav Galat avait dit il y a quelques semaines « si l’ennemi attaquait maintenant, nous serions en difficulté ». Il semble que le Hamas ait entendu Yoav Galat», explique à TV5 Monde, Dominique Vidal, historien spécialiste des relations internationales et notamment du Proche-Orient, journaliste au Monde Diplomatique et auteur, avec Bertrand Badie, de la publication annuelle de L’État du monde.

Pour les observateurs, le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007, serait sorti de l’ambiguïté qu’il entretenait parfois en évoquant une «trêve de longue durée» avec Israël. «Évidemment que les 250 Palestiniens qui ont été assassinés depuis le 1er janvier, les pogroms et les massacres qui ont eu lieu à Jénine, à Naplouse (villes palestiniennes en Cisjordanie occupée, ndlr), la violation permanente du statut quo avec la montée de centaines de colons israéliens sur l’esplanade des Mosquées (lieu saint des musulmans à Jérusalem, ndlr), tout cela ne pouvait pas rester sans réponse du Hamas», poursuit le spécialiste d’Israël.

Soyons clairs : dire qu’il est stratégiquement logique pour le Hamas de se livrer à des atrocités ne revient pas à justifier le meurtre de civils. Il y a une différence entre explication et justification : le raisonnement derrière l’attaque du Hamas peut être explicable même s’il est moralement indéfendable.

Fatah, la coquille vide

Alors que le conflit perdure depuis 70 ans, et que son intérêt semble s’estomper à mesure que de nouvelles guerres naissent, il était question pour le Hamas de remettre le dossier sur les devants de la scène. Car l’espoir d’arriver à une solution à deux-États est, qu’on se le dise, depuis bien longtemps qu’une illusion. Encore moins aujourd’hui que la droite et l’extrême droite israéliennes sont actuellement majoritaires en Israël. En tout, et depuis la guerre des Six jours en 1967, Israël s’est emparé de 85% des terres de la Palestine historique.

Le Fatah, colonne vertébrale de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l’Autorité palestinienne, est totalement sclérosé et incapable manifestement de se réformer. Les négociations entre Israël et l’OLP sont d’ailleurs gelées depuis 2014.  Il ne peut plus mobiliser l’opinion palestinienne en offrant une perspective politique crédible.

Selon Dominique Vidal, le Hamas a cherché à montrer aux dirigeants, aussi bien palestiniens qu’israéliens, les moyens militaires qu’il n’avait pas auparavant. Il a également souhaité «redorer son blason» auprès des Palestiniens et des Israéliens, en jouant sur la concurrence entre le Hamas à Gaza et le Fatah ou l’autorité palestinienne en Cisjordanie.

Guerre Hamas-Israël : torpiller les accords d’Abraham

Pour l’ancien directeur de la rédaction de Courrier international, Sylvain Cypel, les motivations du Hamas dans cette attaque meurtrière sont à chercher du côté du dialogue entre le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS), le président américain Joe Biden et le Premier ministre Benjamin Netanyahou. La discussion visait la normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël. Mais elle est conditionnée par MBS et Joe Biden à la question palestinienne et au conflit qui devra être résolu.

Guerre Hamas-Israël : torpiller les accords d’Abraham

Une solution diplomatique globale au conflit défie, aujourd’hui plus que jamais, les efforts internationaux, laissant l’opinion publique désillusionnée quant aux perspectives de paix. Nombreux sont ces pays, à l’instar de l’Occident, qui adhèrent aujourd’hui à la thèse d’un statut quo, n’en déplaise au mouvement national palestinien, voué à une disparition inéluctable.

En cause : la division du camp palestinien, la défiance à l’égard de l’influence croissante de l’Iran auprès de certaines factions palestiniennes, y compris le Hamas, et l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle génération de responsables. On parle notamment de ceux aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite, sans aucun lien sentimental avec la cause palestinienne et attirés au contraire par les succès économiques et technologiques israéliens.

Les historiens trancheront peut-être un jour sur la question des responsabilités dans l’échec du processus de paix.

Quelle médiation possible aujourd’hui ?

Les prochains jours nous renseigneront sur l’évolution du conflit : n’y aura-t-il pas escalade ? D’autres mouvements rejoindront-ils le Hamas dans sa guerre contre Israël ? Car l’appel d’Israël à évacuer le nord de Gaza n’augure rien de bon. Le Hezbollah, lui, s’est dit, ce vendredi, prêt à se battre.

«Nous sommes pleinement préparés et nous interviendrons le moment venu. Les contacts en coulisses qui sont noués avec nous, directement et indirectement, par les grandes puissances, les pays arabes et les envoyés de l’ONU, nous demandant de ne pas intervenir dans la bataille, ne nous affecteront pas», a déclaré vendredi le cheikh Naïm Qassem, secrétaire général adjoint du mouvement chiite libanais, sur Telegram.

Dès lors, quelles options se présentent pour, sinon trouver une solution une fois pour toute au conflit, au moins empêcher que les civils soient les dommages collatéraux ?

L’administration Biden s’est retirée des problématiques proche-orientales, seul l’Iran reste un dossier prioritaire pour les Américains dans cette région. L’Union européenne, du fait de son rôle de financeur de programmes de développement au profit de l’Autorité palestinienne, mais aussi de partenaire économique privilégié d’Israël grâce à un accord d’association, pourrait jouer un rôle important dans la résolution du conflit.

Mais, d’après Sanam Vakil, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au cercle de réflexion Chatham House, les États de la région doivent prendre la tête des négociations.

 

C’est l’Égypte qui aujourd’hui devrait se positionner en tant qu’acteur principal. Bien qu’à certains égards, la fermeture du postes-frontaliers de Rafah, le seul en dehors d’Israël que les habitants de Gaza peuvent emprunter pour quitter l’enclave sous blocus, pourraient faire peser la réticence côté palestinien. Proche géographiquement de Gaza, le pays était notamment le médiateur principal des affrontements majeurs survenus en 2021 entre Hamas et Israël, aboutissant 11 jours plus tard à un cessez-le-feu.

Aujourd’hui, on voit mal comment des centaines de milliers de civils palestiniens pourront y trouver refuge sans se retrouver pris au piège d’une crise humanitaire à laquelle l’Égypte pourrait difficilement répondre.

Par ailleurs, le Qatar a déjà servi de médiateur entre le Hamas et Israël, et a également contribué à l’organisation de pourparlers entre l’Iran et les États-Unis. Toutefois, ses attaches, soupçonnées d’être liées au Hamas, mettent à mal cette médiation. Autre pays de la région, la Jordanie, pays frontalier d’Israël, est un interlocuteur de longue date dans la région. Mais Amman n’entretient pas une relation proche avec le Hamas.

Russie, Turquie, Chine et Jordanie affirment que seule la création d’un État palestinien permettra de résoudre cette crise. «Plus Israël bombardera Gaza, plus les pays feront pression pour la création d’un État palestinien indépendant». Une idée qui a été défendue par l’ancien premier ministre français, Dominique de Villepin. À ses yeux, la seule solution à la crise reste la création d’un État palestinien, «meilleure garantie de sécurité que pourrait avoir Israël».

En attendant, nous débattons du conflit. Il incarne tout le mal de cette réalité du monde, mais surtout, il représente l’essence même de l’être humain. Et, pendant ce temps, les enfants de Gaza, eux, devront attendre le miracle qui ne viendra jamais. Moïse, lui, aura eu sa traversée. Mais le Palestinien «n’est plus seulement une nationalité sans pays, c’est une condition et le refus de s’y plier, c’est une résistance obstinée de chaque instant et de chaque geste. C’est du monde tel qu’il va mal dont la Palestine nous parle. La Palestine vit déjà à l’heure d’un monde aliéné, surveillé, encagé, ensauvagé, néolibéralisé. Les Palestiniens savent ce que c’est d’être un exilé sur sa propre terre. Apprenons d’eux !».

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Un commentaire

  1. Quel commentaire il y a trop de sujet en un seul (la palestine)quand on voit les réactions de tous les occidentaux en Ukraine quand un obus tombe sur une maison et celle quand israël détruit directement tout une ville . Guerre aux femmes et aux enfants démunies même de nourritures d’eaux D’electricite .Déjà cette population est nourrit au minimum pour les garder juste vivants .L’Occident est devenu xénophobe anti musulmans ,sioniste .

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