Enseignement : comment éviter l’exil académique ?
L'Université Internationale de Rabat © Ayoub Jouadi / Le Brief
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Au début des années 2000, les couloirs des universités françaises se vidaient progressivement d’une catégorie d’étudiants, ceux venus du sud de la Méditerranée. Marocaine, algérienne ou tunisienne, une génération d’élèves brillants se voyait refuser les visas d’étude nécessaires pour accéder à l’enseignement supérieur, visas qu’obtenaient sans difficulté leurs aînés. « On commettait une injustice vis-à-vis de cette jeunesse de la rive sud », se souvient aujourd’hui Noureddine Mouaddib, fondateur et président de l’Université internationale de Rabat (UIR).
De son bureau de Nancy puis de Nantes, où il enseigne alors l’informatique, le professeur observe le phénomène avec inquiétude. « J’étais responsable du DEA à l’université. Nous acceptions chaque année des étudiants marocains, algériens, tunisiens… mais, à la rentrée, ils n’étaient pas là », raconte-t-il. Faute de visa, de moyens ou de revenus familiaux suffisants. L’Europe se referme et avec elle s’efface le rêve d’un accès équitable au savoir.
Quand le savoir devient un privilège géographique
Dans les années 1980 et 1990, les universités françaises, belges ou canadiennes incarnaient pour beaucoup de jeunes Maghrébins une promesse d’avenir. La formation, le diplôme et parfois la carrière. Puis, les portes se sont refermées. « Si je devais venir aujourd’hui en France comme étudiant, je n’aurais jamais pu devenir votre collègue », confie Mouaddib à ses pairs européens.
Ce constat, il le transforme en projet. « A défaut que ces jeunes viennent chercher les diplômes français, j’ai voulu ramener ces diplômes au Maroc ». Une inversion de logique afin d’offrir une formation internationale sans exil, faire venir l’université plutôt que d’envoyer les étudiants.
En 2004, il prend une année sabbatique. Entre Sydney et les Etats-Unis, il observe les systèmes universitaires les plus performants, prend des notes, rédige les premières lignes de ce qui deviendra plus tard l’Université internationale de Rabat. « C’est à Sydney que j’ai commencé à écrire le projet », dit-il. Mouaddib a pour idée de bâtir une université africaine de rang mondial, ouverte à toutes les classes sociales, qui mobiliserait la diaspora maghrébine et arabe.
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« On trouvait des chercheurs maghrébins dans toutes les grandes universités du monde. Ce n’était pas normal qu’en Afrique ou dans le monde arabe, on n’ait pas d’universités de ce niveau-là ». Pour Mouaddib, le problème n’est pas le manque de compétence, mais le manque de structure, soit un écosystème académique à créer de toutes pièces.
L’UIR naît de cette intuition. En 2005, lorsque Mouaddib présente son étude de faisabilité, le Maroc est encore loin d’être la plateforme industrielle qu’il deviendra. « Je parlais d’aéronautique, d’automobile, de spatial… On me regardait avec de grands yeux. Le Maroc n’avait ni TGV, ni Renault, ni Safran. On me disait pour qui allez-vous former ces gens-là ? ».
Il avait anticipé les besoins futurs. A l’époque, des études américaines prévoyaient déjà l’explosion du secteur aéronautique mondial et la nécessité de former des ingénieurs en systèmes embarqués, en matériaux légers, en sécurité. « L’avantage des universitaires, c’est qu’on a toujours une longueur d’avance sur ce qui peut arriver », sourit-il.
Le même raisonnement s’applique à l’automobile, alors en mutation face à la concurrence asiatique et aux énergies renouvelables, un secteur encore embryonnaire au Maroc. L’idée est de préparer la ressource humaine avant l’arrivée des industries. Et de faire de l’université un levier de développement, non un simple reflet du marché.
Une réponse à la massification de l’enseignement
En parallèle, le Maroc connaît une explosion du nombre de bacheliers. « Je disais à l’époque que le pays allait passer de 100.000 à 280.000 bacheliers. Aujourd’hui, nous en avons plus de 300.000 ». En dix ans, la population estudiantine marocaine a doublé, dépassant 1,2 million d’inscrits.
« L’Etat ne pouvait pas tout faire », constate Mouaddib. « Il consacrait déjà un budget au-delà de la moyenne internationale à l’éducation ». L’idée s’impose alors : construire des universités en partenariat public-privé (PPP), pour absorber la demande sans alourdir les finances publiques.
Mais cette démarche, souvent critiquée pour ses logiques économiques, se veut selon lui juste et inclusive. « Nous avons fondé l’UIR sur un principe d’équité », insiste-t-il. « L’égalité, c’est le concours commun, les mêmes examens. L’équité, c’est donner les mêmes conditions d’études à ceux qui viennent de milieux modestes ». L’université met alors en place un système de bourses pour que les étudiants défavorisés puissent se concentrer sur leurs études et sans cumuler emploi et formation.
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L’un des aspects les plus surprenants du discours de Mouaddib reste son approche économique de l’enseignement supérieur. « Au Maroc, les gens pensaient qu’une université, c’est un poste de coût. Mais une université peut s’équilibrer, voire générer des bénéfices, si le modèle est bien conçu ».
Pour lui, l’enseignement supérieur ne doit pas être une dépense, mais un investissement maîtrisé. Il parle ratios, mètres carrés par étudiant, masse salariale, coûts de construction, un vocabulaire d’ingénieur appliqué à l’éducation. « Le poste le plus important, c’est la masse salariale. Elle ne doit pas dépasser 50% des charges. Les bâtiments, 25% ».
Cette rigueur budgétaire, inspirée des modèles anglo-saxons, s’inscrit dans un cadre clair : « Nous ne sommes pas venus pour faire du business. C’est un projet d’utilité publique, pas une entreprise à but lucratif ». Mais la frontière reste ténue, car « les universités américaines à but non lucratif gagnent de l’argent. C’est une nécessité. Sinon, elles coulent ».
Un projet validé
En 2007, lors de la visite d’Etat du président français au Maroc, le roi Mohammed VI signe ce qui deviendra l’acte fondateur de l’Université internationale de Rabat, à savoir l’octroi du terrain de Technopolis. « Pour nous, c’était le véritable acte de naissance de l’université », se souvient Mouaddib.
Le projet reçoit le soutien d’institutionnels marocains comme la CDG, l’AMMC, les fonds de retraite. Une architecture financière solide, mais un risque considérable : convaincre qu’une université privée pouvait être à la fois viable, inclusive et d’intérêt public.
Vingt ans après la première étude, l’UIR compte aujourd’hui des milliers d’étudiants, des partenariats internationaux et une réputation bien installée. Pourtant, Mouaddib ne revendique pas une réussite personnelle. « L’ambition n’était pas business, mais académique et nationale ».
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