Conseil national de la presse : le CESE pointe des incohérences

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Conseil national de la presse : le CESE pointe des incohérencesLe Conseil économique, social et environnemental (CESE) © DR

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À la demande de la Chambre des représentants, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a formulé une série de recommandations sur le projet de loi n°026.25 relatif à la réorganisation du Conseil national de la presse (CNP). Si le CESE salue la volonté du gouvernement de consolider l’autorégulation du secteur, il met en garde contre certaines lacunes juridiques et institutionnelles susceptibles de fragiliser la liberté de la presse et la représentativité de ses acteurs.

Créé en 2016, le CNP incarne l’un des piliers de la liberté de la presse telle qu’érigée par la Constitution de 2011, qui interdit toute forme de censure préalable et consacre l’autorégulation des médias. Le projet de loi 026.25, adopté en première lecture par la Chambre des représentants en juillet dernier, vise à refonder le cadre juridique de cette instance après la fin du mandat de son premier conseil, dont le renouvellement n’a pu avoir lieu pour des raisons procédurales.

Le texte prévoit notamment une nouvelle composition du Conseil, des règles de fonctionnement révisées et une clarification de ses missions, notamment en matière de délivrance des cartes professionnelles et de respect de la déontologie journalistique. L’objectif affiché du gouvernement est d’éviter tout vide institutionnel dans la régulation du secteur.

Des réserves sur la méthode et la participation

Dans son avis, le CESE regrette que le processus d’élaboration du projet de loi n’ait pas suffisamment associé les principaux acteurs du secteur. Plusieurs syndicats et fédérations de journalistes, de même que des éditeurs, ont exprimé leur mécontentement face à l’absence de concertation approfondie, alors que les précédentes réformes de la presse avaient reposé sur des dialogues nationaux étendus.

Le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication défend, de son côté, un processus consultatif mené via la commission provisoire de gestion du secteur, qui aurait entendu sept organisations professionnelles et pris en compte des études et des comparaisons internationales. Le CESE reconnaît cette démarche, tout en soulignant qu’un consensus plus large renforcerait la légitimité et l’efficacité du futur cadre légal.

Lire aussi: Réforme du CNP : mandats prolongés, missions clarifiées et contrôle renforcé

Sur le fond, le CESE relève plusieurs zones d’ombre. Le projet de loi ne définit pas clairement le statut juridique du CNP : s’agit-il d’une instance publique ou d’un organisme d’autorégulation indépendant ? Cette ambiguïté, selon le Conseil, pourrait créer des confusions dans la nature de ses décisions, certaines relevant du domaine administratif (comme la délivrance de cartes), d’autres du champ professionnel (comme la médiation ou l’arbitrage entre journalistes et éditeurs).

Le Conseil déplore également le déséquilibre entre la part importante du texte consacrée aux procédures électorales et disciplinaires et celle, plus limitée, dédiée au développement professionnel, à la formation continue et à la viabilité économique des entreprises de presse. Il recommande de recentrer la loi sur la mission essentielle du CNP : garantir un journalisme libre, responsable et éthique.

Représentation et équilibre en question

L’un des points les plus sensibles concerne la composition du futur Conseil. Le projet réduit le nombre de membres de 21 à 19 et supprime la représentation de certaines institutions de la société civile, telles que le Conseil national des langues et de la culture marocaine, l’Union des écrivains du Maroc et l’Ordre des avocats. Pour le CESE, cette décision revient à écarter la voix du public, pourtant essentielle dans une instance chargée de protéger le droit des citoyens à une information fiable et pluraliste.

Le Conseil rappelle, à la lumière des expériences internationales, que la participation de représentants du public dans les organes d’autorégulation de la presse constitue une garantie démocratique contre les dérives internes du secteur. Elle favorise également la lutte contre les fausses informations, la diffamation et la désinformation.

Le CESE s’inquiète par ailleurs du déséquilibre entre les représentants des éditeurs et ceux des journalistes, les premiers étant plus nombreux dans la nouvelle composition. Une telle asymétrie, estime-t-il, pourrait compromettre l’impartialité des décisions disciplinaires ou éthiques.

Lire aussi: Réforme du CNP : regard juridique sur un texte contesté

Égalité de genre et gouvernance

L’avis du CESE salue l’introduction d’un quota minimal de trois femmes parmi les journalistes élus, mais regrette que le principe de parité ne s’applique pas à l’ensemble des catégories représentées au sein du Conseil. Ce recul par rapport au précédent texte serait, selon le CESE, contraire à l’esprit de la Constitution, qui consacre l’égalité et la parité entre les sexes.

Le Conseil insiste aussi sur la nécessité d’une transparence accrue dans la gestion du CNP, publication du rapport annuel sur l’état de la presse et des pratiques déontologiques, clarification des critères de financement et mise en place d’une gouvernance participative impliquant journalistes, éditeurs et société civile.

Ainsi, le CESE plaide pour une révision équilibrée du projet de loi afin d’en faire un véritable instrument d’autorégulation, garantissant à la fois la liberté de la presse et la responsabilité sociale des médias. Le Conseil invite le gouvernement à renforcer la concertation avec les professionnels et à préserver les acquis démocratiques du secteur.

La refonte du CNP, souligne-t-il, ne doit pas se limiter à une réorganisation administrative, mais s’inscrire dans une vision globale de développement du journalisme marocain, à l’heure des mutations numériques, des défis économiques et des attentes croissantes du public.

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