La palmeraie se meurt
Depuis que je suis enfant, mon père nous a fait découvrir le Maroc dans tous les sens. Cet amour de la route me vient de lui.
J’ai l’habitude de sillonner le pays dès que je peux. Je découvre à chaque fois des paysages exceptionnels, des gens incroyables et les multiples facettes de notre culture.
J’ai envoyé plusieurs fois des demandes plus ou moins subliminales, à l’univers, à mes rencontres pour trouver un mécène qui me permettrait de faire une encyclopédie ethnologique de ce magnifique pays. Il me faudrait cinq ans pour en faire le tour que j’imagine. Sans la prétention de tout voir, mais au moins pour faire une présentation de tout ce qu’il y a à découvrir. Jusqu’à présent, j’attends encore la réponse de l’Univers et de ses commensaux.
Cette semaine, la route m’a mené à Agdz. Chez Ba Hussa. Ba Hussa est le patriarche d’une tribu. Lui et 3 générations vivent dans une kasbah restaurée de manière traditionnelle. Il en a fait don à une fondation, qui y a installé une école.
Tout le monde est content. Lui d’avoir préservé sa magnifique demeure et sa descendance et les enfants du village pour la qualité des cours dont ils bénéficient gracieusement.
Ce n’est pas la première fois que je me rends chez lui. J’aime bien sa compagnie. Il ressemble à l’idée que l’on se fait d’un sage. Turban sur le crâne, front et visage plissés. Yeux rieurs et sourire étincelant. Quand il parle, il a cette autorité naturelle et ce rythme envoûtant qui fait qu’on pourrait l’écouter des heures. Ce que je fais à chaque rencontre.
Sur la route, partout, à droite et à gauche, de magnifiques palmiers, symbole par excellence des oasis, forment un horizon vert dans lequel joue le vent qui agite leurs frondes.
Le palmier est une plante dont les plus anciens spécimens remontent à 120 millions d’années, tandis que notre ancêtre direct le plus ancien n’est là que depuis 7 millions d’années.
Au pied de nos palmiers, avant que la permaculture soit à la mode, on retrouve toujours 2 étages. Des arbustes fruitiers et au ras du sol, des légumes, du maïs, de l’orge et de la luzerne pour le bétail. Tout un écosystème qui tourne autour de l’ingéniosité des systèmes de séguias, héritage immémoriel, entre les mains du maître du « mizane ». Véritable chef d’orchestre qui alloue à chacun la quantité d’eau dont il a besoin pour sa parcelle.
A chacun de mes voyages, j’ai fait des photos sur place, de véritables cartes-postales pour le syndicat d’initiative et du tourisme de mes rêves. Pas cette fois-ci.
Aujourd’hui, ce n’est que spectacle de désolation. Les majestueux palmiers ressemblent à des pénitents brûlés par le soleil qui fait ployer leur feuillage jauni, rabougri, asséché. Triste décor pour une tragédie loin des gros titres et de la conscience de chacun d’entre nous.
Il n’y a plus d’eau. Pas de pluie, ni de neige pour régénérer la fameuse nappe phréatique.
Pendant que les villageois pompent, leurs voisins aussi. Mais pas uniquement pour une agriculture vivrière. Ici, nous sommes au royaume de la pastèque. Fruit rafraichissant, symbole de l’été et de ses chaleurs parfois insupportables.
Seulement, d’après différentes lectures, une pastèque nécessite environ 600 litres d’eau pour arriver à maturité. C’est ce qu’on appelle « l’eau virtuelle » Sans parler de celles abandonnées sur place lorsque le prix du marché devient trop bas pour justifier de les ramasser. L’été est encore loin, et les pluies tout autant. Mais la soif pointe son nez. Les palmeraies centenaires se meurent. Signe avant-coureur de la crise qui couve. Le tourisme devrait en pâtir, l’exode-rural suivra et dans un cercle vicieux, les palmiers abandonnés se multiplieront si on ne fait rien. Les paysages ancestraux qui font notre joie en tant que voyageurs depuis la nuit des temps pourraient faire place à de tristes déserts.
Je n’ai hélas pas de solution à proposer, mais le bon sens impose de faire ou de ne pas faire certaines choses. Cet été, en tendant la main nonchalamment vers un quartier de pastèque, pensez à ces familles qui n’ont plus d’eau en vous disant qu’une partie de ce trésor est au bout de vos doigts et savourez ce fruit qui devrait être défendu.
Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.
Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète
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