Il y a des dates qu’on inscrit dans les livres, d’autres qu’on grave dans la chair. Le 7 avril 1947 appartient à cette seconde catégorie. Ce jour-là, Casablanca s’est réveillée dans le sang et la révolte, laissant une cicatrice profonde dans la mémoire marocaine. Soixante-dix-huit ans plus tard, l’émotion ne faiblit pas. Mieux, elle se transforme en devoir de mémoire, en hommage vibrant à une page d’Histoire que le temps ne saurait effacer.

Temps de lecture

C’était un lundi. Mais ce lundi-là, la ville blanche a rougi. Ce n’est pas une image. Ce jour-là, des dizaines de Marocains ont été massacrés, froidement, brutalement, sur les terres de leur propre pays, par ceux qui voulaient taire une voix avant même qu’elle ne prenne la parole. Cette voix, c’était celle de feu le roi Mohammed V. Le Sultan s’apprêtait à se rendre à Tanger pour y prononcer un discours historique. Un discours qui allait semer les graines de l’indépendance dans les cœurs marocains et semer la panique dans les cercles du protectorat.

Les événements tragiques du 7 avril 1947 ne furent pas un hasard, ni une bavure. Ils furent planifiés, calculés, pensés comme une punition collective pour un peuple qui osait rêver d’émancipation. À Casablanca, les rues du quartier d’Al Fida – Mers Sultan se sont transformées en scènes d’horreur. Femmes, enfants, vieillards… nul ne fut épargné. Le colonialisme avait sorti les crocs.

Mais avant le discours, le sang

Et pourtant, malgré la douleur, malgré la peur, le Sultan n’a pas reculé. Il aurait pu différer son discours, reporter son voyage, négocier. Il a choisi de marcher. De Casablanca à Tanger, c’est un Roi debout qui s’est présenté devant son peuple. À ses côtés, son fils, feu le roi Hassan II, encore adolescent, témoin d’une leçon de courage et de souveraineté. Le discours de Tanger, prononcé le 10 avril, quelques jours après le massacre, est entré dans la légende. En des mots simples, clairs, mais puissants, feu le roi Mohammed V a appelé à l’unité du Maroc, à sa liberté, à sa souveraineté pleine et entière. Devant le monde, il a tendu la main sans baisser la tête.

Mustapha El Ktiri, Haut-commissaire aux anciens résistants et anciens membres de l’Armée de libération, ne mâche pas ses mots, relayés par la MAP, lorsqu’il évoque cet anniversaire : « Un grand legs… une épopée nationale ancrée dans l’histoire du pays… une marque indélébile de la conscience des Marocains ». Et comment pourrait-il en être autrement ? Chaque année, le 7 avril nous rappelle que notre indépendance n’est pas tombée du ciel, qu’elle n’est pas née d’un traité signé dans un salon feutré. Non. Elle est née dans les ruelles de Casablanca, dans la poussière et les larmes, dans le silence d’un peuple qu’on a voulu faire taire, mais qui s’est mis à crier plus fort encore.

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Cette commémoration, ce n’est pas un rituel figé. C’est un rappel vivant, une transmission de témoin entre générations. Cette année encore, à Casablanca, une cérémonie a réuni les autorités locales, les anciens résistants, leurs enfants, leurs petits-enfants. Des aides ont été distribuées, des hommages rendus, des récits racontés. Et chaque récit est une braise qu’on ravive dans la grande flamme du patriotisme marocain.

Mais ce souvenir ne sert à rien s’il ne nous pousse pas à aller plus loin. C’est le message martelé par El Ktiri : se souvenir, oui, mais pour mieux s’engager. Il l’a dit sans détours : « Les peuples ne peuvent mûrir qu’en se remémorant leur histoire ». Et aujourd’hui encore, notre Histoire continue de s’écrire. Le Maroc d’aujourd’hui, fort de ses institutions, de sa stabilité, de ses avancées diplomatiques, notamment autour de la question du Sahara, est l’héritier direct de ces luttes passées. Chaque victoire sur la scène internationale est un écho à ces voix qu’on a voulu étouffer en 1947.

La mémoire ne doit pas se limiter aux discours. Elle doit irriguer nos choix, nos engagements, nos priorités. Car, au fond, la meilleure manière d’honorer les martyrs du 7 avril, ce n’est pas de les pleurer. C’est de poursuivre ce qu’ils ont commencé. C’est de refuser l’injustice, de construire un pays plus juste, plus équitable, plus uni.

Aujourd’hui, Casablanca ne saigne plus, mais elle n’oublie pas.

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