23 mai 1884 : arrivée de Charles de Foucauld au Maroc
Le 23 mai 1884, un homme franchit la frontière marocaine en toute discrétion. Il a 26 ans, s’appelle Charles de Foucauld et vient d’abandonner sa carrière militaire. Il veut découvrir ce Maroc mystérieux, fermé aux étrangers, qui attise depuis longtemps sa curiosité. Pour s’y aventurer, il se déguise en rabbin juif algérien et s’entoure d’un guide marocain, Mordechai. Pendant près d’un an, ils vont sillonner ensemble le pays et ce périple donnera naissance à un récit devenu célèbre : « Reconnaissance au Maroc ».
Récit de Charles de Foucauld © DR
À l’époque, le Royaume est encore souverain, farouchement indépendant et voit les Européens d’un très mauvais œil. Voyager à visage découvert ? Inimaginable. Foucauld le sait bien, pour passer inaperçu, il faut ruser. Il choisit donc l’option du déguisement religieux, ce qui lui permet d’évoluer plus discrètement dans les villes et villages. De son côté, son compagnon Mordechai, fin connaisseur du terrain, l’accompagne pas à pas dans cette expédition.
Leur voyage commence à Oujda, le 23 mai 1884, et se termine presque un an plus tard à Tanger. Entre-temps, ils auront traversé le Rif, l’Atlas, le Tafilalet, le Souss, le Tadla ou encore les montagnes du Haut Atlas. Foucauld note tout, les paysages, les coutumes, les marchés, les dialectes, les hiérarchies locales, les relations de pouvoir. Rien ne lui échappe. Malgré la fatigue, les maladies, la peur constante d’être découvert, il tient bon. Chaque jour, il observe, interroge, consigne.
Ce qui ressort de son récit, c’est d’abord une grande honnêteté. Foucauld ne cherche ni à flatter ni à critiquer, il regarde, décrit, essaie de comprendre. Il est touché par la foi profonde des Marocains, impressionné par leur endurance, intrigué par leur organisation sociale. À travers ses pages, on découvre un Maroc vivant, complexe, traversé de tensions politiques, mais aussi animé par une ferveur religieuse omniprésente.
Un voyage qui change une vie
Mais cette aventure n’est pas qu’une exploration géographique. Foucauld, déjà en pleine remise en question personnelle, est profondément marqué par ce qu’il voit. La foi musulmane, ancrée dans la vie quotidienne, le bouleverse. Il confiera plus tard que l’Islam a été le déclencheur d’une transformation intérieure. Quelques années après son retour, il se convertira au catholicisme, choisira une vie monastique, puis finira ermite dans le désert du Sahara.
En 1888, il publie « Reconnaissance au Maroc ». Le livre reçoit les honneurs de la Société de géographie de Paris, qui lui décerne une médaille d’or. Et pour cause, son œuvre dépasse le simple récit d’aventure. Elle allie précision scientifique et regard humain. Là où d’autres tombent dans le cliché ou la condescendance, Foucauld reste sobre, curieux, respectueux. Son témoignage fait aujourd’hui encore partie des documents les plus précieux sur le Maroc d’avant Protectorat.
Foucauld ne passera qu’un an au Maroc, mais cette année-là changera tout. Elle changera son regard sur le monde, sur la foi, sur la condition humaine.
Et au fond, c’est quoi un vrai voyage ?