Quand on pense au Vatican, l’on pense immédiatement à des homélies depuis un balcon, des prières en latin et des processions solennelles. Il y a pourtant tellement de choses qui se jouent dans l’ombre des dorures de la basilique Saint-Pierre. Alors oui, le Vatican n’a peut-être pas de Parlement, mais il a une machine diplomatique à tout écarter sur son chemin. Redoutable, le Saint-Siège ne laisserait pas l’Afrique à d’autres…

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Observons de plus près le travail d’une fourmilière. Organisées, les fourmis vont dans la même direction, connaissent d’emblée leur mission en dehors de leur fourmilière, rien ne saurait les déranger ou les déconcentrer. Incroyable. Même une cargaison romaine sous Jules César n’aurait pas mieux fait.

À la tête de la cargaison dont nous parlerons aujourd’hui, ce petit bonhomme tout de blanc vêtu. À lui seul, il représente la force de la foi de millions de catholiques à travers le monde. Alors, quand sonne sa dernière heure, c’est le monde qui est en deuil. Mais la machine Vatican ne saurait s’arrêter à un tel événement humain. Sa force est celle du sacré. Cette mission dépasse toute vie humaine. Il faut donc que la machine du Saint-Siège se remette rapidement en marche en rassemblant archevêques et cardinaux des quatre coins du monde, pour une réelle parité géographique et culturelle, disent-ils, afin d’élire le nouveau pape. Entre leurs mains, ce n’est pas un simple vote qui se joue, c’est une stratégie, une influence, un plan d’attaque sur le long terme qu’ils doivent mettre en place. Ils devront nommer celui qui suivra au mieux les préceptes et l’idée qu’ils se font de l’Église. Comme pour un président, ils nommeront celui qui les arrangera le mieux.

Mort du pape François : le Maroc se souvient d’un homme de foi et de compassion

Le Maroc était bien évidemment représenté. Et puis le couperet est tombé le 4 mai 2025. Le cardinal Cristóbal López Romero, archevêque de Rabat, a annoncé qu’il se retirait de la course à la papauté. Officiellement, il « n’a aucune ambition » et dénonce une « soif de pouvoir » au sein de l’Église. Traduction, et pour la faire courte, quelque chose cloche sous la soutane. C’est rare, très rare, qu’un cardinal électeur, surtout venant d’Afrique du Nord, prenne ainsi la parole pour critiquer les jeux d’influence au Vatican. Et c’est d’autant plus frappant que López Romero est le seul cardinal électeur du Maroc et l’un des rares représentants du Maghreb dans ce cercle très fermé des faiseurs de papes.

Mais que signifie vraiment ce retrait de la course ? Un signal discret, adressé à ceux qui, au Vatican, décident de tout sans jamais mettre un pied hors d’Europe ? Car si le Maroc est une terre musulmane, sa relation avec le Saint-Siège est tout sauf anecdotique. Depuis la visite du pape François à Rabat, les 30 et 31 mars 2019, les échanges se sont intensifiés. Dialogue interreligieux, gestion des flux migratoires, coopération éducative… Les liens se tissent dans l’ombre, portés par des diplomates en soutane qu’on appelle les nonces, par les archevêques, mais aussi par des réseaux bien implantés sur le terrain, comme Caritas Maroc. Eh oui, même si au premier abord, nous serions tous tentés de dire qu’il n’y a pas énormément de Chrétiens au Maroc, ils sont bien là. À vrai dire, les colons sont partis, mais l’Église, elle, a toujours fait partie de la culture de coexistence marocaine.

Mais ce que beaucoup ignorent, c’est que le Vatican est bien plus qu’une institution religieuse. Oui, c’est un État, doté d’une diplomatie très puissante, ultra organisée, qui dispose d’ambassades, que l’on appelle « nonciatures », sur tous les continents. En Afrique, cette présence est très finement calculée. Les églises y grandissent vite, très vite.

En 2050, un Chrétien sur quatre dans le monde sera africain.

Alors le Vatican s’y intéresse de près. Pas seulement pour des raisons spirituelles. Il se positionne aussi sur des enjeux politiques tels que la médiation dans les conflits (Centrafrique, Soudan), le développement, l’éducation, la santé… Le Saint-Siège avance partout, en silence, sans armée, mais avec une force de frappe rarement égalée.

Saint-Siège : que cherche le Vatican en Afrique ?

Le pape François et Cristobal Lopez Romero archevêque de Rabat, au Maroc, lors du voyage du pape dans le Royaume les 30 et 31 mars 2019 © Vatican Media

Au Maroc, cette influence est plus subtile. L’Église n’évangélise pas. Elle agit en représentation du Vatican. Et le Royaume, de son côté, cultive sa posture de pont entre l’Islam et les autres religions. Le roi Mohammed VI, en tant que Commandeur des croyants, veille à préserver cet équilibre que tous les pays ne réussissent pas à mettre en place. La présence chrétienne est tolérée, encadrée et respectée. Le cardinal López Romero, jésuite espagnol naturalisé marocain, incarne ce point d’équilibre.

Alors quand il se retire du jeu, volontairement, on s’interroge : a-t-il vu quelque chose ? A-t-il voulu tout bonnement s’écarter d’un système qu’il juge corrompu ? Ou bien a-t-il tout simplement compris que la voix de l’Afrique, et de ce fait du Maghreb, ne pèse pas assez dans les coulisses du Vatican ? Un point de vue appuyé aussi par Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger, au micro de RFI : « L’Afrique est encore largement sous-représentée dans le collège cardinalice ».

Le double visage du Vatican

Ceux qui pensent que le Vatican est juste un petit État peuplé de nonnes et de vieux cardinaux, se fourvoient. Derrière chaque rideau rouge de la basilique Saint-Pierre se cache l’un des plus anciens, et des plus efficaces, réseaux diplomatiques du monde. Le Saint-Siège, dirigé par le pape, est à la tête d’un réseau de plus de 180 ambassades, appelées nonciatures apostoliques, présentes sur les cinq continents. Il a même un statut d’observateur permanent à l’ONU depuis 1964 ! Le Vatican a donc toute sa place dans les débats mondiaux sans pour autant apparaître en première ligne !

C’est un double visage religieux et politique. Depuis le IVe siècle, l’Église catholique s’est construite en lien étroit avec le pouvoir temporel. Et malgré les scandales (pédocriminalité, corruption, querelles internes…), elle continue de parler à des États entiers, d’influencer des votes et de participer à des négociations internationales. On ne s’étonnera donc pas que l’actuel secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, soit un pur produit de la diplomatie vaticane. Ancien nonce au Venezuela, passé par le Nigéria, Parolin pilote aujourd’hui la machine diplomatique de l’Église, avec des méthodes dignes de plusieurs ministères des Affaires étrangères rassemblés.

Comment se déroule le conclave ?

Saint-Siège : que cherche le Vatican en Afrique ?

La chapelle Sixtine prête pour accueillir les cardinaux électeurs, à la veille du conclave © Vatican Media

Imaginons une élection ultra-secrète où seuls les « grands électeurs » de l’Église catholique ont le droit de voter. Ces électeurs, ce sont les cardinaux de moins de 80 ans et ils sont généralement autour de 120 (133 cette année). Ils se réunissent au Vatican, plus précisément dans la chapelle Sixtine (oui, celle avec les fresques de Michel-Ange), et ils n’en sortent pas tant qu’ils n’ont pas élu un nouveau pape.

Mais attention, ce n’est pas une élection ordinaire. Pas de campagnes, pas de débats télévisés, pas de QG électoraux… C’est silence radio total. Littéralement. Une fois enfermés, les cardinaux sont coupés du monde, pas de téléphone, pas d’internet, pas de contact avec l’extérieur. Le mot d’ordre est huis clos total. D’ailleurs, le mot conclave vient du latin cum clave, « avec clef », autrement dit, enfermés à double tour.

Le premier jour, il y a une messe spéciale, puis un premier tour de vote symbolique. Ensuite, deux votes ont lieu chaque matin et deux autres l’après-midi, soit quatre par jour. Pour être élu, un cardinal doit obtenir les deux tiers des voix. Et tant que ce seuil n’est pas atteint, on recommence. Encore et encore. Les bulletins sont brûlés après chaque tour. Et c’est là qu’entre en jeu la fameuse fumée : noire quand il n’y a pas encore de pape, blanche quand le Saint-Siège a trouvé son nouveau locataire.

Petite précision, certains cardinaux ne sont pas évêques ou archevêques, mais ils ont quand même le droit de voter. Et un cardinal peut tout à fait voter pour lui-même (même si ça ne se fait pas trop).

Une fois le pape élu, il accepte (ou pas, mais c’est rare qu’il refuse), puis il choisit son nom de règne. Ensuite, on l’habille en blanc, on l’annonce au balcon de Saint-Pierre, et c’est parti pour un nouveau pontificat.

Mais contrairement à l’ensemble des États, la puissance du Vatican ne repose pas sur des armées, ni sur le pétrole, ni sur des flux financiers massifs. Elle repose sur un soft power clairement redoutable. Par la parole du pape, bien sûr, suivie par 1,3 milliard de Catholiques dans le monde, mais aussi par ses réseaux sur le terrain. Ordres religieux, associations caritatives, universités, hôpitaux, écoles… Le Vatican dispose d’un tissu d’institutions qui jouent un rôle dans l’éducation, la santé, la culture, et surtout dans la construction de relais d’influence durables.

Prenons l’exemple de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples, rebaptisée récemment « Dicastère pour l’évangélisation ». Cette institution gère près de 1.100 diocèses dans le monde, principalement en Afrique, en Asie et en Océanie. Autrement dit, une forme de gouvernance religieuse globale, centralisée au Vatican. C’est elle qui décide quels prêtres partent en mission, qui pilote les projets dans les pays dits « de mission », et qui canalise les flux financiers. Une sorte d’agence internationale de développement, version catholique.

Et les hommes qui incarnent cette politique ne sont pas nés de la dernière pluie. Ils parlent plusieurs langues, maîtrisent les codes diplomatiques et savent se faire discrets. À leur tête, les nonces apostoliques, véritables ambassadeurs du Saint-Siège, forment un corps à part, très fermé. Formés à l’Académie ecclésiastique pontificale, souvent juristes et polyglottes, ils sont présents dans 126 pays. Au Maroc, depuis 2022, c’est Mgr Gian Luca Perico, un prélat italien passé par l’Indonésie, la Slovaquie, le Mexique et le Portugal, qui occupe ce poste. Il fait le lien entre le Vatican et le roi Mohammed VI.

Et c’est là que le Vatican excelle, dans l’art d’influencer sans imposer ! Il n’a pas besoin de lois, ni de traités. Il a ses réseaux. Ses écoles. Ses œuvres sociales. Ses prêtres. Son aura. Dans de nombreux pays africains, les autorités écoutent ce que dit l’Église. Pas seulement pour des raisons religieuses, mais parce qu’elle est souvent la seule à proposer des services essentiels tels que les soins de santé, l’alphabétisation, ou encore la protection des enfants et des mères. Elle remplit les vides laissés par les États. Et en retour, elle obtient un accès privilégié aux élites.

Donc, revoyons les bases. En Afrique, le poids du Vatican repose sur deux piliers, à savoir la présence de terrain (très dense dans les pays francophones) et la capacité d’intervention politique en cas de crise.

En République centrafricaine, par exemple, le Saint-Siège a été acteur des processus de paix. Au Soudan du Sud, le pape a même organisé une retraite spirituelle pour les dirigeants ennemis en 2019, dans l’espoir de favoriser la réconciliation. Des gestes symboliques, certes, mais qui marquent les esprits…

Mais cette influence n’est pas sans limites. Le Vatican reste perçu comme une puissance « étrangère », parfois en décalage avec les réalités locales. Surtout dans les pays où l’Islam est majoritaire, comme le Maroc, sa marge de manœuvre est réduite. L’église locale ne peut pas faire de prosélytisme. Elle agit dans un cadre précis, toléré, mais encadré. D’où l’importance d’avoir des figures capables de naviguer entre les lignes, comme le cardinal López Romero.

Et à l’instar des logiques mondiales, l’équilibre mondial du catholicisme change. L’Europe décline, l’Afrique monte. Au Vatican, où le pouvoir reste entre les mains d’une élite européenne, majoritairement italienne, le geste du cardinal de Rabat, pourrait bien être interprété comme un signal à ne pas négliger : la périphérie commence à s’impatienter de sa sous-représentation !

Afrique, nouveau front du Vatican ?

Après Rome, Kinshasa ? Ne rigolons pas trop vite, même le pape François y croyait. Là où le catholicisme connaît une crise en Europe, en RDC il se développe. Le continent africain concentre à lui seul près de 20% des Catholiques dans le monde et ce chiffre ne cesse d’augmenter. D’ici à 2050, selon le Pew Research Center, un Chrétien sur quatre dans le monde sera africain. Ce basculement démographique n’est pas sans conséquences. Le Saint-Siège le sait. Et les autres aussi.

Même pour les religieux, l’Afrique est un espace très stratégique. On y trouve de jeunes vocations, dans un monde où les séminaires européens sont à moitié vides, des communautés dynamiques, une foi vibrante, souvent très attachée au magistère du pape. Mais qu’on se le dise, le catholicisme n’est pas le seul à gagner du terrain sur le continent. L’Islam aussi avance à grands pas. Selon la même étude, en 2050, le nombre de Musulmans sera presque égal au nombre de Chrétiens dans le monde. Peut-être pour la première fois dans l’histoire !

Saint-Siège : que cherche le Vatican en Afrique ?

Selon les projections du Pew Research Center, d’ici 2050, il pourrait y avoir une quasi-parité entre les musulmans (2,8 milliards, soit 30% de la population) et les chrétiens (2,9 milliards, soit 31%).

Depuis quelques années, l’offensive diplomatique du Vatican en Afrique s’est intensifiée. Visites pontificales, création de nouveaux diocèses, nomination de cardinaux africains… Tout cela participe à une stratégie bien ficelée, celle de gagner en légitimité dans un continent en pleine mutation religieuse. En février 2023, lors de sa visite en République Démocratique du Congo et au Soudan du Sud, le pape François a dénoncé sans détour « la mainmise économique de certaines puissances sur les ressources africaines » et fustigé « la corruption endémique ». Un discours politique, dans un habit religieux.

Mais il ne faut pas se tromper. Ce que le Vatican joue en Afrique, ce n’est pas seulement la foi, c’est aussi sa survie. Car l’Église catholique y est de plus en plus concurrencée. Par les évangéliques, bien sûr, dont les méga-églises poussent comme des champignons, et surtout par l’Islam, qui avance via de nombreux financements du Golfe ou de la Turquie.

Un jeu de dames à ciel ouvert. En Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun, au Rwanda… les conférences épiscopales deviennent de véritables contre-pouvoirs, capables d’interpeller les dirigeants politiques. À Madagascar, en 2018, l’Église a même refusé d’organiser les élections locales, accusant le gouvernement d’ingérence.

Mais tout n’est pas rose côté Vatican. Il y a aussi des tensions internes. L’Église africaine, souvent plus conservatrice, digère mal certaines orientations du pape François, comme l’ouverture aux divorcés remariés, les bénédictions des couples homosexuels, le dialogue interreligieux à tout prix… Certains prélats africains ne cachent plus leur malaise. Le Nigérian Francis Arinze ou le Guinéen Robert Sarah, tous deux proches de Benoît XVI, représentent cette ligne dure. Pour eux, l’Afrique doit rester le gardien de la tradition, pas la fiche bristol de validation de la réforme.

Le Vatican veut moderniser son discours, attirer les foules, s’ouvrir à la pluralité. L’Afrique, elle, reste attachée à une organisation plus hiérarchique, verticale, rigoureuse. Et cette divergence se voit jusqu’au sein du conclave. En 2013, lors de l’élection de François, les cardinaux africains ont été nombreux à voter pour des profils plus conservateurs.

Dans ce jeu, le Maghreb occupe une position un peu à part. Ici, l’Église est une minorité. Très minoritaire, même. Au Maroc, on compte à peine 30.000 catholiques, en majorité subsahariens. En Algérie, c’est encore moins. Et pourtant, ces petits chiffres n’empêchent pas une intense activité diplomatique et religieuse. L’archevêque de Rabat en est le symbole. Sa voix compte, pour son rôle incontournable, à savoir tenir un pont entre le Christianisme et l’Islam. Lors de sa visite en 2019, le pape François a d’ailleurs longuement remercié le roi Mohammed VI pour ses « efforts en faveur du vivre-ensemble ». Traduction, le Vatican a besoin de pays musulmans modérés, comme le Maroc, avec lesquels il peut collaborer.

La coexistence marocaine

Saint-Siège : que cherche le Vatican en Afrique ?

Le pape François serre la main du roi Mohamed VI lors sa visite au Maroc, le 30 mars 2019 au Palais royal de Rabat © MAP

Le Maroc aime se présenter comme une terre de tolérance religieuse, et ce n’est pas faux. Ici, pas de guerre de religion, pas d’attentats ciblés contre les églises, pas de tensions avec la communauté catholique. Le Royaume chérifien mise depuis des années sur une image, celle d’un Islam modéré, ouvert au dialogue, protecteur des minorités.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, encore une fois, si l’Église peut exister au Maroc, elle reste sous contrôle strict. Le Royaume tolère, mais surveille. Il accepte, mais encadre. Il ne s’agit pas d’évangéliser, mais d’accueillir les personnes de confession catholique.

D’abord, un rappel : au Maroc, l’Islam est religion d’État. Le Roi, en tant que Commandeur des croyants, est Chef spirituel. Cela signifie que toute expression religieuse non musulmane est autorisée… mais uniquement à destination de ceux qui ne sont pas Musulmans. Pas question, donc, de faire du prosélytisme. Pas question non plus de tenter une évangélisation, même symbolique, auprès des Marocains musulmans. Et ça, l’Église l’a bien compris.

Les prêtres, les évêques, les fidèles… tous fonctionnent dans une logique d’église silencieuse. Les messes sont célébrées, les écoles catholiques sont actives (ainsi que les fameuses « missions »), mais tout se fait sans bruit, malgré le succès retentissant de ces écoles. C’est une Église de l’ombre, qui se contente d’exister pour les expatriés, les étudiants subsahariens… et surtout pour maintenir un canal de dialogue avec l’État.

Car il faut bien le dire, le Vatican, comme le Maroc, soigne son image ! Et dans cette relation, chacun y trouve son compte. Le Royaume peut afficher sa tolérance religieuse, utile dans ses relations avec l’Union européenne, les États-Unis, ou l’ONU. Le Vatican, de son côté, peut s’appuyer sur un partenaire musulman « raisonnable », capable d’ouvrir ses portes aux discussions interreligieuses.

Donc, l’Église, au Maroc, n’a pas de pouvoir réel. Par exemple, chaque prêtre étranger doit obtenir un visa spécifique, avec autorisation du ministère de l’Intérieur. Les églises ne peuvent pas faire de publicité, ni accueillir de Marocains convertis. La ligne rouge, ici, c’est la conversion. L’article 220 du Code pénal punit de prison « toute personne qui, par des moyens de séduction ou de pression, cherche à ébranler la foi d’un Musulman ». Mais, c’est ce même article qui précise que « toute tentative d’empêcher une ou plusieurs personnes d’exercer ses croyances religieuses ou d’assister à des services religieux est illégale et peut être punie d’une peine allant de 3 à 6 mois d’emprisonnement et d’une amende de 115 à 575 dirhams ». Cela va donc dans les deux sens.

Un conclave… pas du tout africain

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Les cardinaux dans la chapelle Sixtine, mercredi 7 mai 2025 © Vatican Media

Ah quel spectacle. Le conclave, c’est ce moment rare, solennel, presque théâtral, où les portes se referment sur la chapelle Sixtine et où les cardinaux du monde entier élisent un nouveau pape. C’est aussi, et on le dit moins, un moment d’influence, de stratégie et de lobbying très intense (d’ailleurs de nombreux films, séries, documentaires traitent de ces jeux stratégiques). Et dans cette machine bien huilée, l’Afrique, malgré son nombre grandissant de fidèles, pèse peu. Très peu.

Si le geste du cardinal Cristóbal López Romero, archevêque de Rabat, a été jugé comme un acte de courage personnel, il dénonçait l’absence de voix africaine forte dans les lieux de décision de l’Église catholique. Sans doute ne voudrait-il pas être complice d’une stratégie qui ne prend pas en considération son continent d’accueil.

À l’heure actuelle, moins de 15% des cardinaux électeurs sont africains, alors que le continent représente près de 20% des Catholiques dans le monde. Et cette proportion est en constante augmentation. Le Nigeria, la RDC, l’Ouganda, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso… dans tous ces pays, les églises sont pleines, les vocations religieuses nombreuses, les séminaires débordent. L’Afrique est LE NOUVEAU berceau du catholicisme contemporain. Mais dans les sphères vaticanes, elle reste un acteur périphérique. Quasiment décoratif.

Il reste bien quelques figures, comme le cardinal Dieudonné Nzapalainga en Centrafrique ou le ghanéen Peter Turkson, ex-président d’un dicastère stratégique au Vatican. Mais leur influence reste circonscrite. Il n’existe pas vraiment de bloc africain uni.

Et ce n’est pas un hasard, qu’on se le dise. Car au Vatican, la haute hiérarchie ecclésiale reste largement euro-centrée. L’Italie, la France, l’Espagne, l’Allemagne… Ce sont ces pays qui gardent la main. Même si le pape François, en 2013, est venu d’Argentine, sa nomination était d’ailleurs un geste symboliquement très fort, la machine reste dominée par les Européens. Ceux qui connaissent les rouages, ceux qui parlent la langue, ceux qui font carrière sur place. Et ce sont aussi eux qui décident quels profils méritent la barrette rouge cardinalice. Or très peu d’Africains sont intégrés à ces cercles.

Cette marginalisation diplomatique a des conséquences concrètes. Les préoccupations africaines n’arrivent pas jusqu’au sommet de l’Église. Les réalités locales (persécutions, pauvreté, essor des églises évangéliques concurrentes, cohabitation avec l’Islam, rôle social de l’Église…) sont rarement prises en compte dans les grands textes pontificaux. On parle climat, genre, gouvernance… mais très peu des enjeux africains. Et surtout, il n’y a pas de stratégie catholique forte pour le continent. L’Église laisse faire les évangéliques, recule doucement en zone francophone, survit en silence au Maghreb.

L’archevêque de Rabat ne voulait pas du poste, mais est-ce qu’il aurait eu du poids de toute façon ? Rien n’est moins sûr. Au Vatican, les profils comme le sien sont souvent vus comme symboliques, mais peu influents. On les invite, on les écoute poliment, mais on ne leur confie ni les leviers ni les orientations. C’est un peu la stratégie du Vatican depuis des décennies : afficher une Église universelle, mais maintenir un centre de gravité à Rome, entre Via della Conciliazione et la place Saint-Pierre.

L’universalité est dans les photos, le pouvoir reste entre les mains blanches.

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