Le chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, est arrivé ce jeudi à Rabataccompagnéde son ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares. Sanchez aété accueilli à sa descente d’avion par le chef du gouvernement marocain, Aziz Akhannouch. Cette visite historique intervient à la suite d’une invitation du roi Mohammed VI, après que Madrid a décidé de mettre fin à une crise diplomatique d’un an avec Rabat en soutenant le plan d’autonomie marocain pour le Sahara. Le Souverain va ainsi recevoir Sanchez en tant qu’invité d’honneur pour l’iftar de ce cinquième jour de Ramadan.
Pour le gouvernement espagnol, ce déplacement sera l’occasion d’ouvrir une «nouvelle étape» pour les relations avec le Maroc, fondées sur le «respect mutuel», mais aussi de discuter de la «retenue de toute action unilatérale» pour honorer l’importance des liens bilatéraux et pour éviter de futures crises. Rappelons que les relations entre les deux pays séparés par le détroit de Gibraltar se sont gravement détériorées en avril dernier, lorsque la diplomatie espagnole a usé de moyens illégaux pour faire rentrer Brahim Ghali, chef du front Polisario, sur le territoire ibérique.
En effet, ce dernier a été introduit, en secret, en Espagne avec de faux papiers d’identité, à la demande de l’Algérie, pour suivre un traitement contre la Covid-19. En réponse, le Maroc a diminué ses contrôles frontaliers autour du préside occupé de Sebta, provoquant un flux migratoire sans précédent. Près de 10.000 personnes, en majorité marocaines et Subsahariennes, ont réussipar la suite à atteindre les rives de Sebta.
Reprise des relations bilatérales, mais…
Les relations entre les deux pays ont ainsi été très tendues jusqu’au mois dernier, lorsque Perdro Sanchez a pris la décision inédite de modifier la position de longue date de l’Espagne sur le Sahara, qui estune ancienne colonie espagnole. Dans une lettre adressée au roi Mohammed VI, le chef du gouvernement ibérique a affirmé que son paysappuie l’initiative d’autonomie du Maroc pour le Sahara. Il a qualifié cette proposition d’initiative «la plus sérieuse, la plus réaliste et la plus crédible» pour résoudre ce conflit qui dure depuis des décennies.
Sanchez a d’ailleurs récemment souligné devant les différents groupes parlementaires représentés au Congrès des députés que son«gouvernement est fermement décidé à ouvrir une nouvelle étape dans les relations entre les deux pays, avec une feuille de route claire et ambitieuse». Pour l’Espagne, a-t-il ajouté, le Maroc est «un voisin et un partenaire stratégique indispensable»,et que«tout au long de l’histoire, les deux pays ont tissé des liens humains, des accords et des relations qui ont forgé des intérêts communs».
Cependant, malgré les explications de son chef du gouvernement quant à sa décision de soutenir la vision du Maroc, la Chambre des députés espagnols a ce jeudi, jour de la visite de Sanchez, dénoncél’abandon de la position «historique» de neutralité de l’Espagne sur le Sahara par le gouvernement actuel. Cette condamnation a été soulignée dans un texte qui a fait l’objet d’un vote de sanction. 168 députés ont voté en faveur de ce texte,118 députés ont voté contre tandis que 61 députés se sont abstenus.
De nouvelles opportunités pour le Maroc et l’Espagne
Le vote de sanction des députés espagnols ne fait que confirmer l’ampleur et la portée du changement de position décidé par le gouvernement Sanchez. Contacté par LeBrief.ma, le directeur du Groupe de recherche en géopolitique et géoéconomie de l’ESCA et membre du bureau politique du mouvement Maan, Nabil Adel, nous a expliqué que pour le Maroc, la nouvelle position de l’Espagne concernant le Sahara «est aujourd’hui encore plus importante que celle des États-Unis, de l’Allemagne et de la France». Ce changement de position est «un séisme pour cette question», car«l’Espagne s’est rendu compte que ce dossier est désormais plié et que ça ne servait à rien de tenir une carte perdante. En effet, Madrid a réalisé qu’en soutenant la cause algéro-polisarienne, elle cumulait les pertes tant au niveau économique, sécuritaire que du renseignement».
Selon l’expert, «cette volte-face espagnole vient confirmer qu’il y a un changement dans les rapports de force au Sud de la méditerranée, qui est en train de basculer en faveur du Maroc. La visite de Perdro Sanchez consacre d’ailleurs cette nouvelle position. Il y aura au menu une reprise, voire un renforcement, des relations entre Madrid et Rabat, mais c’est aussi un signal fort que désormais le véritable leader de la région est le Maroc. Le Royaume, rappelons-le, a quand même réussi à faire plier deux puissances européennes et ramener à sa cause la première puissance mondiale».
Sur le plan tactique, notre intervenant a souligné que «l’Espagne a mis beaucoup de temps à devancer la France en tant que premier partenaire économique du Maroc. Et ses dernières décisions ont failli lui faire perdre cet avantage. Aujourd’hui, après la reconnaissance et le soutien de l’initiative d’autonomie du Maroc, la visite de Sanchez et d’Albares vise à éviter que l’Espagne ne perde cette position, arrachée après plusieurs décennies de collaborations avec le Royaume».
Quid des questions prioritaires pour les deux pays
Pour Nabil Adel, le Maroc doit aborder certaines questions principales avec l’Espagne. La première concerne «l’officialisation de la nouvelle position de Madrid vis-à-vis du plan d’autonomie proposé par le Royaume, notamment à travers un communiqué gouvernemental, pour éliminer toute ambiguïté sur ce sujet».
Ensuite, les deux pays doivent se pencher sur le volet économique. «Le Maroc est un pays émergeant qui présente plusieurs opportunités en matière d’investissements», explique l’expert. Suite à la reprise des relations avec Madrid, «il faut désormais assurer une accélération des investissements espagnols au Maroc, un renforcement des échanges commerciaux et des exportations entre les deux pays, une consolidation des flux touristiques ainsi qu’une amélioration du développement conjoint de la zone du Nord du Royaume». Sur ce point, Larbi Jaidi, Senior Fellow au Policy Center for the New South (PCNS),a précisé que «les échanges commerciaux bilatéraux augmentent de 10% annuellement, de même que plus de 1.000 sociétés espagnoles opérant dans divers secteurs sont implantées au Maroc». Il a ainsi appeléà consolider les liens entre les économies des deux pays et à promouvoir les investissements conjoints, surtout «que le Royaume constitue la porte d’entrée de l’Espagne vers l’Afrique».
Par ailleurs, Nabil Adel a soutenu que le Maroc et l’Espagne doivent mettre en place un agenda sécuritaire pour reprendre leur collaboration judiciaire, notamment en matière de renseignement. Mais aussi, poursuit-il,«le dossier de la migration sera l’une des questions les plus importantes à aborder par les deux pays». Larbi Jaidi a noté en ce sens que les efforts déployés parle Royaume pour limiter la migration clandestine et «son engagement à respecter les conventions signées à ce sujet ont épargné à l’Espagne de grands problèmes». Il a évoqué de ce fait l’intégration socio-économique de plusieurs migrants africains ainsi que les développements importants et positifsqu’a connus la gestion de l’immigration clandestine depuis 2005-2006.
S’agissant de l’avenir des liens maroco-espagnols, Nabil Adel estime que «maintenant la relation entre les deux pays aura la teneur que le Roi a voulu lui donner. En changeant sa position, l’Espagne a ouvert un boulevard d’opportunité et de collaboration avec le Maroc, et ce,sur tous les sujets et domaines».
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