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Parc automobile de l’État : une gestion erratique

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152.956. C’est le nombre de véhicules appartenant aux administrations, collectivités territoriales et organismes publics recensés en 2019. En plus d’être très budgétivore avec près d’un milliard et demi de DH par an, ce parc automobile est anachronique et démesuré au vu des capacités financières de l’État marocain. Alors que le gouvernement préconise une rationalisation des dépenses publiques, il n’a rien fait jusque-là pour mettre de l’ordre dans le parc automobile étatique, ne serait-ce qu’en mettant en place des mesures pour plafonner les prix d’achat des véhicules, lutter contre le gaspillage et limiter les abus.

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Réduire le train de vie de l’État. Un vœu pieux exprimé par les gouvernements qui se sont succédés au Maroc.L’histoire retiendra tout de même que le gouvernement d’alternance dirigé par feu Abderrahmane El Youssoufi avait fait de la réduction du parc auto de l’État l’une de ses priorités. Entre 1998 et 2002, la flotte de véhicules est passée de 85.600 unités à 72.000. Pas énorme mais l’intention a été traduite en action pour maîtriser ce poste budgétaire. Durant la période 2010-2013, la politique d’austérité menée par les gouvernements El Fassi, puis Benkirane avait permis de réduire de 44% les acquisitions de véhicules. Mais juste après cette parenthèse, les anciennes pratiques ont repris de plus belle.

Chères voitures

En avril 2020, le Chef de l’exécutif adresse une lettre aux différents départements ministériels ainsi qu’aux institutions publiques soumises à leur tutelle. Saad Dine El Otmani demande la limitation des dépenses futures, en les orientant vers les priorités imposées par la gestion de la crise associée à la pandémie de la Covid-19. Il mentionne la réduction des dépenses en particulier celles liées à la gestion du parc automobile, à la mobilité et au transport.

otmani

Car oui, même avec un parc automobile aussi conséquent, des frais de transport continuent à être facturés par les différents organismes publics. Et puis il y a toutes les indemnités perçues par certains fonctionnaires qui utilisent leurs voitures personnelles suivant un barème déterminé par un décret. Le gouvernement se serre la ceinture et pense d’abord à réduire ses dépenses automobiles. C’est que l’exécutif est conscient que l’une des premières applications concrètes du plan de réduction du train de vie de l’État concerne son parc automobile. Avec ou sans chauffeur, ces véhicules coûtent cher. À cette flotte plus imposante que celle des pays industrialisés (cf. infographie), s’ajoute le coût des marchés passés avec des prestataires externes (accessoires, peinture, entretien, carburant…).

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La première chose à faire pour « dégraisser le mammouth » serait de plafonner les montants d’acquisition de véhicules et de stopper net l’achat de voitures de grand standing. Certains présidents de communes aux budgets modestes, n’hésitent pas à s’offrir une voiture premium ou un SUV dont le prix dépasse les 400.000 DH. Aussi, certaines voitures dédiées à des fonctionnaires sont inadaptées. En effet, il est anormal de voir une administration attribuer une citadine à un fonctionnaire censé se déplacer dans des zones reculées sur desroutes sinueuse. Auparavant, la Société nationale des transports de la logistique (SNTL) qui a remplacé l’ex-Office national des transports (ONT), était chargée d’assurer l’acquisition, l’immatriculation, la gestion, la réforme et la vente des véhicules de l’État avec une certaine cohérence et adaptation aux besoins du service public.

« M rouge », « J rouge » & co

Rouler aux frais du contribuable est un sport national. On ne parle pas ici des véhicules et engins utilisés pour le transport du personnel et du matériel pour le besoin du service public, qu’il soit militaire, sécuritaire, sanitaire ou autre, ni des véhicules utilitaires nécessaires pour le déplacement des fonctionnaires afin de mener à bien leur travail sur le terrain. Le sport national dans lequel les élus, fonctionnaires et commis de l’État excellent, c’est celui de l’utilisation devéhicules appartenant à l’État à des fins personnelles. Une voiture de fonction est mise à disposition en permanence et soumise à impôts et cotisations sociales au titre d’un avantageen nature accordé à un fonctionnaire. Une voiture de service est quant à elle non taxée et doit servir uniquement aux déplacements professionnels. Ces deux notions ne semblent pas être bien assimilées par ceux qui en bénéficient. Des centaines de cas d’utilisation frauduleuse de voitures immatriculées « M rouge » (pour les administrations) et « J rouge » (pour les communes) sont répertoriées sur les réseaux sociaux. Circulation le dimanche et les jours fériés, transport des enfants à l’école, déplacement au hammam, transport des courses et des bombonnes de gaz… Les anecdotes autour de l’utilisation illégale des véhicules de l’État ne manquent pas.

voitures officielles

Les rapports de la Cour des comptes concernant les administrations publiques et les collectivités locales font régulièrement état d’une gestion opaque des parcs automobiles sans parler du manque de transparence des marchés attribués aux concessionnaires et aux loueurs de voitures. Par ailleurs, il y a une absence de données concernant la sinistralité. En épluchant les factures de carburant de certaines communes, les magistrats de la Cour des comptes se sont aperçus que leurs bénéficiaires les utilisaient aussi à titre personnel. Sauf dérogation spéciale, les fonctionnaires ne sont normalement habilités à utiliser leur véhicule de service que dans le périmètre déterminé par un ordre de mission. Il est par ailleurs exigé aux gestionnaires de parcs la tenue d’un registre avec les relevés du kilométrage et les quantités de carburant consommé. De plus, chaque transaction doit être codée, pour spécifier l’utilisateur, le véhicule et le type de carburant.

Comment pour une même voiture, peut-on faire un plein d’essence et un autre de gasoil? Une simple remarque parmi les aberrations, pour ne pas dire fraudes constatées ici et là. Les parlementaires soulèvent cette question à chaque fois que le sujet de la bonne gouvernance est évoqué. Certains n’hésitent pas qualifier le parc automobile de l’État d’une autre forme de rente au Maroc.

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La fête à la pompe

En 2008, la Cour des comptes présidée à l’époque par Ahmed El Midaoui listait des exemples d’anomalies dans la gestion des parcs automobiles d’une dizaine de collectivités locales. «La commune s’approvisionne en carburant à travers les vignettes acquises auprès de la Société nationale du transport et de la logistique (SNTL). La Cour régionale des comptes a constaté que les carnets de bons relatifs à l’approvisionnement des véhicules communaux, ne reflètent pas les consommations réelles desdits véhicules», pouvait-on lire sur le rapport annuel de l’institution. Dans ce cas de figure, la commune recourt à cette pratique parce que la consommation des carburants pris en charge par elle, ne se limite pas aux véhicules relevant du parc auto communal. Elle octroie des dotations mensuelles pour les véhicules personnels des membres du conseil communal, des fonctionnaires communaux, ainsi qu’à des fonctionnaires de l’autorité locale.

Pour un autre conseil communal, la Cour régionale des comptes a noté: «distribution de carburant à des services et personnes ne relevant pas de la commune, double paiement de dépenses liées à l’entretien des véhicules de la Commune et exagération dans l’acquisition des pneus». Une autre remarque qui revient souvent concernant les flottes communales : les voitures de la commune ne disposent pas de carnets de bord pour faire le suivi des missions auxquelles sont affectées ces voitures, des kilomètres parcourus, des quantités de carburant consommées, et des réparations et entretiens subis. Ces données sont pourtant d’une grande importance pour une gestion rationnelle du parc automobile.

10 ans après, peu de choses ont changé. La Cour des comptes présidée par Driss Jettou fait état des mêmes anomalies et recommande fréquemment la nomination d’un responsable du parc pour la tenue de registres relatifs aux missions de déplacements et autres informations pour la bonne gestion du parc automobile et la limitation de la prise en charge des frais de consommation de carburants aux véhicules relevant du parc auto de la commune. Parmi les autres recommandations: l’utilisation des fiches techniques pour les véhicules et les engins afin de mieux les exploiter et donner la possibilité aux gestionnaires de la commune de suivre d’une façon permanente l’état technique du parc auto et l’arrêt de la distribution illégale du carburant en le réservant exclusivement au fonctionnement des services de la commune tout en veillant à rationaliser leur exploitation et leur gestion.

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La formule LLD

Coût du véhicule, assurance, carburant, entretien, réparation… Ces paramètres sont parfaitement maîtrisés par les entreprises de location longue durée (LLD). Afin de se débarrasser du fardeau de la gestion de la flotte, des organismes publics s’orientent de plus en plus vers cette formule qui à première vue permet de maîtriser le budget de la mobilité. Le principal avantage de la LLD réside dans le faitque le coût mensuel du véhicule, les risques liés à son utilisation (panne, sinistre, décote) sont transférés au loueur. Le locataire paye une mensualité en fonction du prix de la voiture, d’un kilométrage prédéfini, des services associés type entretien et assurance, voire gestion du parc entier de l’organisme. Cette formule clés en main permet de réaliser une économie moyenne d’environ 10 à 15 % par rapport à l’achat d’un véhicule. Grâce aux nouvelles technologies, une voiture exploitée en LLD peut être identifiée et géo-localisée. Une traçabilité qui peut servir à limiter les abus. Par ailleurs, il faut noter que cette formule contribue au rajeunissement du parc automobile de l’État. Ceci étant, la LLD a aussi ses inconvénients. Les frais de gestion de flottes sont parfois élevés. Aussi, le manque de transparence de certains contrats font que les organismes publics prennent des véhicules plus prestigieux que dans le cadre d’un achat simple.

Vers une nouvelle convention entre l’État et la SNTL

Afin de normaliser la gestion et l’exploitation du parc automobile de l’État, des collectivités territoriales et des établissements et entreprises publics (EEP), une réunion s’est tenue le 23 novembre 2020 au siège de la Chefferie du gouvernement. Suite à cette réunion avec les différents départements concernés, notamment le ministère de l’Economie, des Finances et de la Réforme de l’administration et celui de l’Equipement, du Transport, de la Logistique et de l’Eau, il a été décidé de conclure une nouvelle convention entre l’Etat et la SNTL et la publication d’une circulaire encadrant la gestion du parc auto public avant la fin du 1er trimestre 2021. Un système informatique pour la numérisation et le suivi de la gestion des flottes des différents organismes sera également élaboré. Il faut dire que la SNTL dispose des moyens matériels et humains pour une gestion optimale du parc étatique, même si l’entreprise a procédé à une réorientation stratégique de ses activités. À travers sa vision 2025, l’entreprise publique aspire à devenir un opérateur logistique incontournable sur toute la chaine logistique à savoir le transit de marchandises, la gestion des stocks, le transport, la manutention, la distribution et la messagerie, la gestion des retours, la traçabilité, l’ingénierie logistique, le pilotage des flux logistiques, la formation et le conseil. Ce sontd’ailleurs les camions de la SNTL qui ont assuré le transport des vaccins anti-Covid-19.

Vers un parc automobile étatique vert

Pour ceux qui s’interrogent légitimement sur l’empreinte écologique de notre administration, depuis 2019, le gouvernement s’est engagé à renouveler son parc automobile avec des véhicules électriques et hybrides pour réduire les émissions de CO2 et améliorer la qualité de l’air.

L’objectif fixé pour 2021 est d’avoir 30% de voitures propres. L’exécutif veut ainsi réduire de 15% la consommation de carburant en 2021 même si le coût élevé d’acquisition des véhicules hybrides ou électriques est assez élevé. Mais le Maroc peut compter sur de généreux donateurs comme le Japon qui a avait offert au Royaume 170 véhicules hybrides en 2014 (cf. vidéo).

Dans cette démarche écologique, l’État doit donner l’exemple. Dans la cadre de la stratégie de développement durable 2030, il faut s’éloigner le plus possible des véhicules thermiques. Les collectivités locales, même les plus petites, peuvent s’y mettre aussi. Pourquoi un Conseil communal d’une petite ville ne décréterait pas l’utilisation de véhicules propres surtout que les trajets sont assez courts, une dizaine de kilomètres parcourus quotidiennement tout au plus.

Le gouvernement sortant pourrait finir son mandat en beauté en prenant des mesures audacieuses pour mettre fin à la gestion anarchique du parc automobile public marocain. Pour ce faire, il faudrait déjà disposer d’une connaissance suffisamment précise de son parc de véhicules, de son état, de son utilisation et de son coût. La prochaine étape serait un verdissement du garage du gouvernement, mais ça ce n’est pas vraiment prioritaire. Le prochain exécutif s’en chargera. Peut-être…

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