L’Afrique et l’IA médicale : levier de progrès ou nouvelle dépendance ?

Alors que l’intelligence artificielle bouleverse les pratiques médicales à l’échelle mondiale, l’Afrique est appelée à se positionner. Peut-elle se permettre de manquer ce virage technologique, alors que ses systèmes de santé restent confrontés à des défis majeurs d’accès, de ressources humaines et de performance ?

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Tribune

Intissar Haddiya

Médecin et auteure marocaine.

Temps de lecture : Publié le 27/05/2025 à 9:45
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À première vue, l’IA apparaît comme une réponse séduisante : elle promet d’optimiser les diagnostics, de personnaliser les traitements, de combler le déficit en personnel médical. Mais derrière cette promesse se cache un dilemme plus profond : celui de la souveraineté technologique et de la dépendance numérique.

Au Maroc, l’intelligence artificielle commence déjà à s’intégrer dans le domaine médical. Les usages les plus courants concernent l’aide à la décision clinique et l’analyse d’images. Le Rwanda, pionnier du numérique en santé, explore la télémédecine appuyée par l’IA. Des start-ups africaines innovent, des hackathons s’organisent, et les discours politiques se font volontiers enthousiastes. Pourtant, un constat s’impose : la majorité des solutions utilisées sont conçues ailleurs, entraînées sur des données qui ne nous ressemblent pas, hébergées sur des serveurs hors de notre portée.

Le danger est là : celui d’un transfert passif de technologies, sans maîtrise réelle, sans capacité d’adaptation locale, sans réflexion éthique propre à nos réalités. L’IA n’est pas neutre. Elle reflète les biais de ceux qui la conçoivent, les priorités de ceux qui la financent, les asymétries de ceux qui la contrôlent. L’Afrique ne peut pas se contenter de consommer des algorithmes importés. Elle doit pouvoir en être productrice, ou du moins co-constructrice.

Cela suppose de relever trois défis majeurs. D’abord, celui de la formation : il nous faut une nouvelle génération de chercheurs, médecins, ingénieurs, juristes, capables de dialoguer avec l’IA, d’en comprendre les limites, d’en encadrer les usages. Ensuite, celui de la régulation : nos pays doivent se doter de cadres juridiques solides, garantissant la sécurité des données, la responsabilité en cas d’erreur, et l’accès équitable aux outils. Enfin, celui de la culture scientifique : promouvoir une approche critique, contextualisée, enracinée dans nos enjeux de santé publique, et sensible aux particularités linguistiques, culturels et sociaux de nos populations.

L’IA peut nous aider à mieux soigner. Mais elle ne peut remplacer ni le lien humain, ni la justice sociale, ni la volonté politique. Elle ne sera un levier de transformation que si elle s’inscrit dans une vision africaine de la santé, une vision qui ne confonde pas innovation et aliénation.

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