Santé mentale des jeunes : la génération Covid confrontée à une crise silencieuse

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Santé mentale des jeunes : la génération Covid face à une crise silencieuseImage d'illustration © DR

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Ils avaient entre 12 et 25 ans lorsque le monde s’est arrêté. Confinés, coupés de leurs amis et privés de rituels de passage essentiels, des millions de jeunes ont vu leur construction psychique brutalement interrompue. Cinq ans plus tard, les séquelles de la pandémie de la Covid-19 sont toujours bien présentes dans leur quotidien. Derrière une reprise apparente de la vie normale, une détresse silencieuse persiste, difficile à cerner et parfois minimisée.

Cinq ans après le début de la pandémie de la Covid-19, ses conséquences psychiques chez les jeunes demeurent profondes et souvent invisibles. Pour Dr Imane Kandili, psychiatre et spécialiste en addictologie, « une fracture durable s’est ouverte dans la trajectoire développementale de toute une génération ». Derrière les sourires affichés sur les réseaux sociaux, un malaise persiste, généralement tu et rarement compris.

Une onde de choc psychique et sociale

« Depuis la pandémie, nous assistons à une désorganisation brutale des repères personnels, scolaires et sociaux chez les jeunes », explique Dr Kandili. Les périodes de confinement ont suspendu les processus essentiels de socialisation et d’autonomisation, plongeant de nombreux adolescents dans une forme de stagnation affective. Le manque d’expériences structurantes — comme la rentrée scolaire, les premiers amours ou le passage d’examens — a laissé un vide difficile à combler.

Les troubles anxieux se sont multipliés, avec des jeunes devenus hypervigilants, repliés sur eux-mêmes, et craignant un avenir incertain. L’anxiété sociale, les épisodes dépressifs, les troubles du sommeil, l’anhédonie ou encore la perte de motivation témoignent d’une fatigue psychique persistante. « Beaucoup évoquent une lassitude existentielle, un sentiment d’inutilité malgré leur jeune âge », confie la psychiatre.

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Dr Kandili fait état d’une recrudescence inédite des troubles mentaux depuis la crise sanitaire. Les troubles anxieux généralisés (TAG), les épisodes dépressifs précoces, les troubles du comportement alimentaire (TCA), les troubles obsessionnels-compulsifs (TOC) ou encore l’automutilation sont autant de signaux d’alarme.

« L’anorexie restrictive, notamment chez certaines adolescentes, traduit un besoin de contrôle dans un environnement devenu imprévisible », souligne-t-elle. Les réseaux sociaux, en imposant des standards corporels inatteignables, aggravent ces troubles, renforçant la mésestime de soi et la comparaison défavorable.

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L’automutilation, quant à elle, est une réponse à un trop-plein émotionnel ou à un engourdissement affectif. Ces gestes, souvent mal compris, sont « une tentative de reprendre un certain contrôle sur un corps vécu comme étranger ».

Solitude subie, isolement choisi

Le paradoxe du lien social est au cœur du mal-être des jeunes post-pandémie. Si certains souffrent d’un isolement douloureux, d’autres choisissent consciemment de s’extraire du monde extérieur. « Le refus scolaire, le retrait dans la chambre ou le repli numérique ne sont pas toujours des caprices. Ce sont souvent des mécanismes de défense face à un monde devenu instable ou anxiogène », insiste notre interlocutrice.

La solitude survient à un âge où l’intégration sociale est cruciale pour la construction de l’identité. Or, les confinements ont laissé de nombreux jeunes avec l’impression d’avoir « raté une étape ». Le lien aux autres, transformé en interactions numériques souvent pauvres en retour affectif, n’a pas compensé la perte des échanges réels.

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L’estime de soi des jeunes a subi un choc durable. Hyperconnectés et surexposés à des vies parfaites sur Instagram ou TikTok, ils intériorisent un sentiment d’inadéquation. « Ce phénomène est insidieux, progressif, rarement verbalisé », prévient-elle. Les interruptions scolaires, les évaluations à distance, les difficultés à apprendre seuls ont renforcé un sentiment d’incompétence.

Cela se manifeste parfois par des comportements autodestructeurs, mais aussi par une quête effrénée de reconnaissance. Entre suractivité numérique, performance scolaire ou humour de façade, la souffrance se camoufle derrière une image maîtrisée.

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Des relations familiales sous tension

Le confinement a bouleversé la dynamique familiale. Si certaines familles ont resserré les liens, pour beaucoup, la cohabitation forcée a été source de tensions. « L’adolescent privé d’espaces extérieurs a vu ses processus naturels d’individuation entravés », note Dr Kandili. Les désaccords, la surveillance, les conflits latents ont ressurgi avec force.

Dans des foyers déjà fragiles, le stress économique, les violences verbales ou physiques ont exacerbé la vulnérabilité. « L’absence de figures adultes extérieures sécurisantes a laissé certains jeunes sans échappatoire, seuls face à des environnements nocifs ».

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Même dans les familles plus fonctionnelles, exprimer un malaise reste difficile. « Il y a une loyauté affective forte, et l’idée de demander de l’aide est parfois vécue comme une trahison ».

Le retour à une vie normale n’a pas été une libération pour tous. « Pour certains, cela a été vécu comme une violence symbolique : la société a repris son rythme sans tenir compte des fragilités accumulées », observe Dr Kandili.

Les exigences scolaires, sociales et familiales sont revenues brutalement. Face à cela, certains jeunes développent une anxiété de performance, un besoin de tout contrôler, une hypervigilance. « Ce n’est pas de la rigidité volontaire, mais la trace d’un psychisme encore en convalescence ».

La thérapie, une porte ouverte… avec des résistances

Les consultations psychologiques ont nettement augmenté. « De plus en plus de jeunes demandent à parler, pas pour se plaindre, mais pour comprendre ce qui leur est arrivé », affirme Dr Kandili. Les réseaux sociaux ont joué un rôle paradoxal : vecteurs de souffrance, ils ont aussi démocratisé la parole sur la santé mentale.

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Cependant, tous les jeunes ne sont pas soutenus. Certains parents restent réticents, car « la thérapie est parfois perçue comme un tabou, un aveu d’échec ». Cela peut freiner, voire empêcher la démarche. Or, un accompagnement efficace nécessite souvent l’implication du cadre familial.

Malgré tout, Dr Kandili observe l’émergence d’une forme particulière de résilience. « Cette génération ne nie pas ses blessures, elle les traverse avec lucidité ». Plus sensibles à leur santé mentale, plus critiques face aux normes sociales, ces jeunes développent une résilience ancrée dans la conscience. « Ce n’est pas une résilience héroïque. Elle ne se construit pas malgré les épreuves, mais à travers elles. Et c’est précisément cela qui lui donne sa force ».

Les signes silencieux du mal-être

  • Fatigue chronique
  • Irritabilité soudaine
  • Perte d’intérêt pour les activités habituelles
  • Troubles du sommeil ou de l’alimentation
  • Isolement progressif

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