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Ramadan : mois de paresse et de fainéantise ?

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«Doucement le matin et pas trop vite l’après-midi»… C’est en quelque sorte la définition que la plupart des gens se font du mois de jeûne. Le rythme est lent et le travail n’est absolument pas une priorité. En plus de journées raccourcies avec les horaires spéciaux Ramadan, les travailleurs lèvent le pied au grand dam des patrons qui affirment que la productivité des salariés marque le pas pendant ce mois sacré. Un sujet sensible que les gestionnaires de l’administration publique ignorent et que les chefs d’entreprises du privé préfèrent éviter…

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La baisse de la productivité pendant le Ramadan est un phénomène bien connu et documenté. Il peut avoir des conséquences économiques significatives, surtout sur les toutes petites et moyennes entreprises (TPME). Une étude d’un cabinet international menée il y a quelques années dans les pays musulmans a révélé que la baisse de productivité pendant le Ramadan peut atteindre jusqu’à 50% dans certains secteurs, tels que la construction et l’agriculture.

Il est vrai que les jeûneurs s’abstiennent de manger et de boire du lever au coucher du soleil, ce qui peut entraîner une fatigue accrue, une baisse d’énergie et une diminution de la concentration. Mais que dire de l’augmentation du nombre d’absences, de retards et de congés maladie pendant le mois sacré ? Sans parler de la difficulté à maintenir un niveau élevé de performance tout au long de la journée engendrant automatiquement une baisse de la qualité du travail…

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Sujet sensible

Sous couvert d’anonymat pour s’exprimer plus librement, le patron d’une unité industrielle installée à Berrechid nous confie que le fait de reprocher à ses collaborateurs une baisse de régime pendant le mois du Ramadan lui a valu une campagne de lynchage sur les réseaux sociaux il y a quelques années. «Le fait que je dise que le jeûne a affecté le niveau de rendement des équipes a été pris comme un manque de respect par rapport à une pratique religieuse et certains ont même interprété mes propos comme si je faisais allusion aux quelques minutes qu’ils prenaient pour accomplir la prière d’Addohr», regrette notre interlocuteur. Pour lui, il ne s’agit nullement de pointer du doigt le jeûne, ni l’accomplissement de la prière qui ne prend que 10 minutes tout au plus, contrairement à une pause-déjeuner d’une heure hors Ramadan. Mais il s’offusque plutôt de l’attitude des salariés qui prennent le Ramadan comme prétexte pour moins travailler.

Même son de cloche du côté de Tarik Souilem, manager d’un cabinet d’interprétariat basé à Tanger. «Malgré des horaires aménagés pour ce mois, les agents arrivent tout le temps en retard, mal réveillés et démotivés», nous explique-t-il. «Je dois tout le temps être derrière eux pour éviter les erreurs à cause du manque de concentration», ajoute Souilem.

Nous avons approché une dizaine de dirigeants de startups et de TPE. Ils sont quasiment tous d’accord pour dire que les salariés sont moins productifs pendant Ramadan sous prétexte de la pénibilité du jeûne et de la fatigue à cause des prières surérogatoires.

Dans l’administration publique, la situation est bien pire. Pour l’économiste Larabi Jaïdi, nos croyances religieuses ne nous exonèrent pas de l’effort. Dans une publication datée du 5 avril 2023 sur le site du Policy center for the new south (PCNS), l’auteur soutient que «les administrations publiques fonctionnent au ralenti, des décisions importantes sont reportées d’un mois. Autant dire que le jeûne ne renforce pas l’ardeur au travail chez le personnel administratif, bien au contraire». Jaïdi appelle en ce mois à l’effort, l’honnêteté et l’éthique du travail…

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Une enquête et une étude intéressantes

L’idée largement répandue selon laquelle le mois sacré du Ramadan est synonyme de baisse de productivité et de fatigue pour les travailleurs marocains est remise en cause par deux enquêtes de Rekrute réalisées en 2015 et 2019. Selon les résultats rendus publics par la plateforme de recrutement, 52% des salariés interrogés estiment que le Ramadan n’affecte pas leur vie professionnelle. En effet, ils se déclarent même plus patients et sereins au travail pendant ce mois sacré. Par contre, 43% des sondés reconnaissent que leur productivité diminue pendant ce mois.

L’enquête s’est intéressée à différents aspects, tels que la façon dont les salariés vivent le Ramadan au travail et son impact sur leur productivité. Les résultats indiquent que 29% des salariés estiment que ce mois a des effets positifs sur eux, tandis que 19% pensent qu’il a un impact négatif. Cependant, il est important de noter que près de la moitié des actifs qui se déplacent dans le cadre de leur travail ressentent une baisse de régime liée au jeûne, notamment à cause de la chaleur, de la soif et de la fatigue physique. Les répondants à l’enquête étaient principalement des employés (51%), des cadres (33%) et des managers (16%), majoritairement des hommes (71% contre 29% de femmes) âgés de 25 à 34 ans. L’enquête souligne également que les valeurs de partage et d’empathie, fortement associées au Ramadan, peuvent avoir un effet positif sur les comportements des employés au travail. Globalement, la majorité des salariés sondés se disent sereins et patients pendant le mois sacré.

Par ailleurs, une étude menée en 2012 par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a analysé les comportements des Marocains pendant le mois sacré du Ramadan. Il en ressort que les salariés ont consacré en moyenne 46 minutes de moins à leur travail professionnel, soit une réduction de 23 %, tandis que les femmes ont vu leur travail domestique rallongé de 46 minutes. Les hommes ont quant à eux réduit leur temps de travail de 1 heure et 12 minutes, et les femmes de 19 minutes. L’enquête révèle également que les tâches domestiques prennent plus de temps, en particulier les courses, qui occupent autant les femmes que les hommes dans les villes. Par ailleurs, le temps de sommeil a diminué en moyenne de 37 minutes.

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Conseils pratiques

Le jeûne pendant le mois béni de Ramadan est associé chez beaucoup de personnes à une baisse d’énergie corporelle et à de la fatigue en raison des perturbations que subit leur régime alimentaire et leurs heures de sommeil, ce qui se reflète sur leur rendement au travail. Ainsi, au cours de ce mois sacré, une baisse de la productivité est enregistrée avec un impact négatif sur l’économie nationale. Il est donc important de suivre un ensemble de conseils et de comportements qui permettent aux personnes qui jeûnent de passer leur journée normalement tout en préservant l’énergie de leur corps en se concentrant sur les priorités.

Selon l’expert en ressources humaines, Adil Boutarbouch, de nombreuses personnes se plaignent de leur travail pendant le mois de Ramadan. «C’est devenu une tendance, certaines personnes préfèrent prendre des congés pour ne pas subir de pression de la part des employeurs pendant le mois de jeûne», constate-t-il. Or, il suffit de gérer son temps et son énergie en se concentrant sur les priorités pour ne pas souffrir d’une baisse de rendement au travail.

En ce qui concerne la manière de préserver l’énergie et les capacités du corps pendant le Ramadan, les médecins recommandent de prendre régulièrement des pauses pour écouter, déstresser et ainsi récupérer de l’énergie et poursuivre le travail à un rythme satisfaisant. Aussi, conseillent-ils de faire la distinction entre la vie privée et la vie professionnelle et ne pas réfléchir en permanence aux contraintes de la vie quotidienne et celles liées aux courses et invitations ramadanesques pendant la journée de travail.

En définitive, les experts sont formels : sur le plan scientifique, le rendement, d’une manière générale, diminue à cause d’une baisse de glycémie. Le cerveau étant habitué à un taux précis de sucre, son manque va entrainer avec lui des problèmes de concentration. Aussi, les employés qui ont une addiction au tabac ou à la caféine vont voir automatiquement leur capacité de concentration diminuer. Cependant, le jeûne n’a pas d’effet négatif sur les performances au travail. Il est impensable qu’une personne soit plus active les autres mois de l’année. Au contraire, la préparation mentale pendant le mois de Ramadan conduit à la production de plus de cellules cérébrales et contribue à améliorer les fonctions cérébrales, ce qui devrait se refléter dans la qualité du travail. Si le corps a besoin de s’habituer au jeûne pendant les premiers jours de Ramadan en se privant de stimulants comme le café, il s’adapte progressivement à la nouvelle situation et retrouve rapidement son activité normale. Aussi, faut-il manger sain en consommant des aliments riches en eau pendant le f’tour et le s’hour. Le processus de digestion non régulé consomme de l’énergie corporelle et l’épuise. Ceux qui mangent trop auront des performances négatives physiques et mentales tout au long de la journée. Enfin, il est nécessaire de poursuivre la pratique d’une activité physique régulière et de dormir suffisamment pour pouvoir récupérer et avec du tonus au réveil.

C’est le cas chaque année et le Ramadan 1444 ne fait l’exception. La productivité au travail diminue grandement pendant les journées ramadaniennes. Même si on ne dispose pas de chiffres actualisés, les chefs d’entreprises que nous avons contactés estiment la baisse à 20% par salarié. Ce qui est énorme pour une TPME qui doit atteindre des objectifs selon un calendrier serré. Fort heureusement, certains travailleurs sont plus motivés et plus engagés pendant le Ramadan en raison de la signification religieuse de cette période. De plus, certains employeurs peuvent voir le Ramadan comme une opportunité de renforcer la cohésion et l’esprit d’équipe au sein de leur entreprise, en organisant des événements sociaux et des activités de charité. L’Islam prône les valeurs du travail bien fait, de l’effort au service de la communauté sans oublier les valeurs nobles de solidarité et d’entraide pendant ce mois béni. Il faudrait que nos concitoyens revoient leur conception du mois de Ramadan pour ne pas déformer les objectifs de ce mois exceptionnel à plus d’un titre.

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