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Rabat-Paris-Alger : le feuilleton qui ne finira jamais ?

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Ils s’appréciaient. Ils ne se supportent plus. Mais ils doivent trouver désormais un compromis. Car une chose est sûre, l’histoire qui les lie est tout aussi complexe que les intérêts qu’ils cherchent. Aujourd’hui, l’Hexagone, tiraillé entre deux pays voisins, deux pays frères, doit opérer une manœuvre décisive : choisir son camp. Le Maroc, lui, est clair : fini les doubles discours, «le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Royaume considère son environnement international, et l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit». Dernier maillon des prises de parole françaises, Emmanuel Macron est attendu de pied ferme sur la question. Optera-t-il pour la clarté sans confusion de Donald Trump (2020) ou ira-t-il sur une reconnaissance plus soft à l’espagnole (2022) ? Car, il n’y a pas de troisième scénario possible, ni acceptable pour le Royaume chérifien.

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Trois pays qu’une Histoire indéniable unit : le Maroc, la France et l’Algérie. Ils se font discrets parfois, mais l’heure est aujourd’hui aux grands revirements. Le Quai d’Orsay qui renoue avec Rabat a donné comme un goût de rancœur à la relation qui lie Alger à Rabat, à Paris aussi. Si l’on peut n’y voir à priori aucun lien apparent, les récentes réactions algériennes ne font aucun doute : le rapprochement franco-marocain dérange jusqu’au plus profond d’Alger. Car sous ses airs économiques, c’est bien le dossier du Sahara qui figure au cœur de la reprise de ce partenariat. En témoigne le feu vert donné par l’Hexagone aux investissements français dans les provinces du Sud, notamment dans la ville de Dakhla. La France a, en effet, donné l’autorisation à Proparco, filiale de l’Agence française de développement, pour éventuellement participer au financement d’un projet dans les provinces du Sud, une ligne à très haute tension devant relier Dakhla à Casablanca.

Une déclaration à demi-mot affirmant la souveraineté du Maroc sur son Sahara qui vient clore une série de visites que Stéphane Séjourné, alors fraîchement nommé chef de la diplomatie française, a minutieusement orchestrées. «C’est un enjeu existentiel pour le Maroc. Nous le savons (…). Il est désormais temps d’avancer. J’y veillerai personnellement», a déclaré le ministre français des Affaires étrangères, investi d’une mission spéciale par le président de la République pour œuvrer au rapprochement avec le Maroc. Au côté de son homologue marocain, Nasser Bourita, Séjourné a annoncé vouloir construire un partenariat pour les 30 ans à venir. Après lui, c’est au tour de Franck Riester (Commerce extérieur), Gérald Darmanin (Intérieur), Marc Fesneau (Agriculture) et Bruno Le Maire (Economie) de fouler le sol marocain pour tenter de réparer la relation française avec le Maroc.

Alger essaye de masquer ses échecs diplomatiques […] plus le Royaume marque des points sur la scène internationale, plus le régime d’Alger se radicalise sur la question du Sahara
Mustapha Tossa, analyste politique

Quelques jours plus tard, c’est dans l’arène sportive qu’Alger décide d’afficher son mécontentement. La Fédération algérienne de gymnastique a annoncé son retrait du Championnat d’Afrique de gymnastique artistique prévu à Marrakech du 30 avril au 7 mai 2024. Un rendez-vous crucial pour la qualification aux Jeux olympiques de Paris. Le voisin de l’Est avait également annoncé son retrait de la 6ᵉ édition du championnat arabe de handball des jeunes, que le Maroc organise jusqu’au 30 avril. Pour nombre d’observateurs politiques, les décisions algériennes sont devenues irrationnelles, sans logique aucune. «Les relations entre les deux pays sont entrées dans une logique absolument folle puisque le régime algérien veut faire feu de tout bois», commente Mustapha Tossa, analyste politique, contacté par nos soins. Et de poursuivre qu’«Alger essaye de masquer ses échecs diplomatiques parce qu’on a constaté que plus le Royaume marque des points sur la scène internationale, plus le régime d’Alger se radicalise sur la question du Sahara».

Lire aussi : Quand l’Algérie défie toute logique !

Le forfait de l’USM Alger lors des demi-finales aller et retour de la Coupe de la Confédération africaine de football, cet opium du peuple, a d’ailleurs été l’événement le plus remarqué. La carte du Maroc qui figure sur les maillots de l’équipe de Berkane, pourtant reconnus, approuvés et homologués par la Confédération africaine de football (CAF) a provoqué l’ire du régime algérien. «Le dernier épisode sportif avait choqué par sa fixation pathologique et morbide sur la carte du Maroc. On a l’impression que le régime algérien est en train de tirer ses dernières cartouches, une sorte de chant des cygnes. Mais il n’y a aucune chance que tout cela renverse la dynamique qui est actée aujourd’hui, à savoir en faveur de la position marocaine», précise notre interlocuteur. En réponse à Alger, tout un peuple est devenu ambassadeur du Royaume à clamer haut et fort l’intégrité territoriale. Ironiquement, les décideurs algériens se sont retrouvés à mêler politique et sport, cette même tactique qu’ils ont souvent reproché au Maroc.

Avant le coup d’envoi du match retour de la demi-finale de la Coupe de la CAF, opposant la Renaissance de Berkane à l’USM Alger, qui était prévu dimanche 28 avril 2024, sur la pelouse du stade Municipal de Berkane, les supporters de la RSB ont de nouveau déployé un magnifique tifo arborant la devise du Maroc, «Dieu, patrie et roi», accompagnée de la carte du Maroc et une illustration du zellige marocain. © Capture d’écran Al Oula

Renouer avec le Maroc, Paris n’avait pas d’autres choix

Décembre 2020. Emmanuel Macron, conseillé par son entourage, avait alors choisi de se rapprocher d’Alger, au détriment du Royaume. En février 2017 déjà, Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, déclarait que la colonisation de l’Algérie est «un crime contre l’humanité». «Cela fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes», avait-il dit. Pour les avertis, il était donc question d’opérer une réconciliation historique avec ce pays du Maghreb qui garde encore dans sa mémoire collective le traumatisme de 132 ans de colonisation française, malheureusement très violente. Ce pari était d’autant plus justifié lorsque la guerre en Ukraine avait éclaté. Les sanctions imposées à la Russie et les besoins en matières énergétiques, notamment le gaz, avaient rendu cette décision française nécessaire.

L’Algérie, devenu l’un des premiers fournisseurs de gaz de l’Europe en 2023, s’était alors sentie toute-puissante face à son ancien « oppresseur ». L’affaire de l’exfiltration de la militante algérienne, Amira Bouraoui, fera même réagir hystériquement l’Algérie qui a rappelé, le 8 février 2023, son ambassadeur et utilisé son agence de presse officielle pour émettre des menaces d’une prochaine rupture des liens avec la France.

Le président français Emmanuel Macron embrasse chaleureusement son homologue algérien en marge des travaux de la 27e Conférence des parties à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP 27) qui s’est déroulée à Charm el-Cheikh en 2022. © DR

C’est alors que le jeu double du régime algérien commence à déranger l’Élysée. La situation tendue au Sahel amène l’Algérie, du fait de sa proximité avec Moscou datant de la guerre de Libération de 1954, à naturellement se rapprocher du groupe Wagner. Elle se range également derrière une préférence chinoise, allemande et turque dans ses partenariats économiques et les efforts consentis par Emmanuel Macron sur la question mémorielle sont restés lettre morte et n’ont pas été payés en retour… Car, en définitive, le discours anti-français est, et restera, la source de légitimité du régime algérien. Malgré les «initiatives courageuses» d’Emmanuel Macron, il est «difficile de ne pas constater la permanence des blocages de la relation d’État à État», analysait en 2023 Frédéric Petit, membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française. Et ces pierres d’achoppement ne datent pas d’hier, comme si l’apaisement relevait du vœu pieux.

Il relevait donc de la logique pour la France de vouloir corriger l’erreur évidente faite par l’Élysée, et renouer avec le Royaume chérifien. «Il faut dire que la France n’avait pas d’autre choix que de s’aligner et de se rapprocher du Maroc pour le simple fait que le pari algérien d’Emmanuel Macron a échoué de manière spectaculaire», analyse pour LeBrief, Mustapha Tossa. «La France n’a pas eu ce qu’elle voulait du régime algérien, à savoir une réconciliation mémorielle, une ouverture politique, une transformation démocratique. Et tous les gens qui conseillaient le président français de miser sur le régime d’Alger se sont heurtés à un mur, d’autant plus que leurs relations se sont détériorées en particulier avec ce qui s’est passé au Sahel. Donc pendant un certain temps, tous ceux qui militaient pour que ce pari algérien domine la politique maghrébine de la France, se sont rétractés et ont conseillé au président Macron de changer», poursuit-il.

Renouer avec le Royaume, pas sans son Sahara

Paris le sait. Après cet épisode tumultueux avec le Royaume qui, entre-temps, a fait son petit bout de chemin et a noué des partenariats solides avec l’Amérique, l’Afrique et l’Asie, la France sait parfaitement que reprendre sa relation veut aussi, et avant tout, dire se prononcer sur la question du Sahara. Et le statut du pays aujourd’hui devenu interlocuteur privilégié et expérimenté sur les questions économiques, durables, sécuritaires, migratoires et bien d’autres ne laissent à l’Hexagone d’autre possibilité que de reconnaître la marocanité des provinces du Sud. «La France a changé de position parce qu’il faut dire que le Maroc a aussi montré une certaine détermination et une forte conviction qu’il ne bougera pas dans sa relation avec la France si Paris ne change pas de politique et ne sort pas de la zone grise dans laquelle elle maintient sa position sur le Sahara», nous éclaire l’analyste.

Mustapha Tossa poursuit en expliquant que «si d’une part l’échec du pari algérien d’Emmanuel Macron explique la volonté française de se rapprocher du Maroc, il y a un second facteur qui est la détermination marocaine avec tout ce que cela implique comme performances diplomatiques». En effet, nous confirme-t-il, le Royaume est devenu une incontestable puissance africaine. Il entretient d’excellentes relations avec les États-Unis, le monde arabe, l’Afrique… Ce sont autant d’éléments qui ont prouvé à l’Élysée que le pays avec lequel la France peut monter des projets économiques structurants et participer à stabiliser la région et la développer est bien évidemment le Maroc et non pas l’Algérie.

C’est ainsi que la série de visites, qui a démarré en février et s’est poursuivi jusqu’à la tenue du forum Maroc-France récemment, vient préparer la visite d’État d’Emmanuel Macron, reportée à plusieurs reprises en raison de la Covid puis de la glaciation des relations qui s’ensuivit. «Nous sommes à une étape où la France cherche à comprendre si ce qu’elle fait suffit aux yeux des Marocains ou si elle doit aller plus loin», décrypte pour le média français Les Echos Riccardo Fabiani, directeur du programme Afrique du Nord au sein de l’ONG International Crisis Group. «La diplomatie française a subi de tels revers dans la région, notamment au Sahel, que sa prudence est compréhensible.» Mais «les Marocains voient ces gestes comme une ‘entrée’ avant le plat principal», estime le chercheur.

Pour l’heure, les Français n’ont rien promis. Lors de son déplacement, Stéphane Séjourné avait simplement réitéré la position française, à savoir le soutien «clair et constant» de Paris au plan d’autonomie marocain du Sahara. Et d’ajouter : «la question du Sahara, c’est un enjeu existentiel pour le Maroc, nous le savons. […] Je le redis avec plus de force : il est aujourd’hui temps d’avancer, et j’y veillerai personnellement». Mais, la clef diplomatique se trouve entre les mains de l’Élysée et du Palais royal. Au micro de Radio France internationale (RFI), le chef de la diplomatie française l’avait précisé : «En ce qui concerne la question diplomatique, elle se réglera entre les deux chefs d’État [le roi du Maroc Mohammed VI et le président français Emmanuel Macron]».

«On pourrait s’attendre à un changement de la position française si Emmanuel Macron se rend à Rabat pour rencontrer le Roi», poursuit Riccardo Fabiani. En ce sens, notre interlocuteur explique : «Maintenant, c’est la phase la plus sensible pour la diplomatie française : comment se rapprocher du Maroc et reconnaître la marocanité du Sahara sans faire en sorte de braquer ou d’exciter le régime algérien ? Le voisin de l’Est a, en effet, fait de cette reconnaissance une ligne rouge».

Si la France a, par petites touches, déjà acté une forme de reconnaissance économique des provinces du Sud, «tout le monde attend désormais une déclaration officielle solennelle du président Emmanuel Macron». Car de manière irréversible, la France se dirige vers une reconnaissance de la marocanité du Sahara. Mais sous quelle forme : «claire et tranchante à l’image des États-Unis ou beaucoup plus souple comme l’a fait l’Espagne ? L’enjeu est là !», poursuit notre interlocuteur. Une chose est sûre, c’est qu’il n’y a clairement plus de marche arrière possible, nous confie le spécialiste.

«Déjà que la France s’apprête à dire que l’option proposée par le Maroc est la seule solution viable pour régler ce différend. Ce qui suppose que les Français tendront plutôt à suivre le modèle espagnol que le modèle américain. Car il faut garder à l’esprit que tous les pays qui déclarent soutenir la solution marocaine au plan d’autonomie du Sahara, sont en vrai en train de dire que le Sahara est marocain. Tout le reste n’est qu’une question de langage ou de posture diplomatique», conclut notre interlocuteur.

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