Beaucoup de personnes, à l’instar de Bob l’éponge, transforment leur passion en travail. C’est le métier passion. Mais cet amour pour une activité peut rapidement se transformer en une sorte de piège : heures de travail prolongées, renoncement, fatigue, frustration, burn-out ! Et au Maroc, où les emplois précaires accentuent les difficultés, ces carrières basées sur la passion sont encore victimes d’un équilibre délicat entre rêve et réalité. Sommes-nous tous voués à souffrir de notre passion ? Quand on aime, on ne compte apparemment pas ses heures.

C’est l’histoire de Bob l’éponge. Cette éponge carrée follement amoureuse de son travail, comme s’il s’agissait de son âme sœur. Nulle exagération de notre part, car c’est bien de cela dont nous allons parler. L’amour aveugle pour un job, au détriment de sa propre vie. La passion qui consume. Celle du métier passion.

En véritable satire de la société moderne, qu’elle soit marocaine, ou autre… peu importe ! Bob l’éponge, ou Sponge Bob Square Pants, comme le nomment nos amis anglophones, dépeint à merveille une caricature du monde actuel, dans lequel travailler, doit rimer avec vivre. Et n’allez surtout pas expliquer à votre patron que le premier est un verbe du premier groupe et l’autre pas. Il faudra rentrer dans ce carré qu’il a tout particulièrement préparé pour vous, ce carré dans lequel, seule une éponge émotionnelle peut se faire une place !

Avant de commencer, attardons-nous une minute sur l’épisode 9 de la saison 11 de la série Bob l’éponge. Dans cet épisode, comme dans beaucoup d’autres, le petit personnage rigolard, se fait virer ! Eh oui, ça lui arrivera quelques fois, malgré son titre d’employé du mois, qu’il fasse à manger, serve les clients, le ménage, lave la voiture du patron et garde même parfois sa fille ! Nous observerons, avec humour, une éponge au bord des larmes, suppliant son patron de le réengager… même gratuitement ! Eh oui ! (Nous reviendrons plus tard sur cet épisode).

Quand on aime, on ne compte pas ses heures

Tout travail mérite salaire, mais dans la passion, résonnent aussi les mots précarité, profit, abus, heures supplémentaires non payées, nuits de travail à rallonge, irrespect du Code du travail… et puis, burn-out ! Oui, quand on aime, on ne compte pas… ses heures, et pourtant on devrait. Le passionné ne verra pas la chose de telle manière. Il se dira même ravi d’exceller et de se dépasser dans son travail, qui ne lui rendra pas toujours bien. Car là où lui met sa vie entre parenthèse pour un employeur, ce dernier lui fait bien comprendre qu’à la première faille, il est… remplaçable !

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La quête de sens devient-elle plus importante qu’une vie personnelle ? qu’une famille ? qu’une sécurité ? qu’une santé ? Le rêve du métier passion n’est pas celui que les réseaux sociaux nous présentent. Loin de là. La réalité amère derrière le filtre apporte son lot de précarité, d’exploitation et de désillusions. « C’est souvent le cas, en particulier dans des secteurs comme l’art, la culture, le sport ou même certaines niches technologiques. Ces métiers, bien que valorisants sur le plan personnel, sont parfois mal rémunérés ou ne garantissent pas de stabilité financière, surtout pour les jeunes en début de carrière. Cependant, avec la montée de l’entrepreneuriat et l’évolution des technologies, certains métiers passion gagnent en reconnaissance et en opportunités, notamment dans les secteurs liés à la tech, au design, ou au contenu digital », détaille Amine Khayatei, fondateur de KWIKS, cabinet spécialisé en recrutement.

Il faut dire qu’il est des rêves qui nourrissent l’âme. Et celui de faire de sa passion un métier, d’associer désir et devoir, est sans doute le plus séduisant. Être artiste, journaliste, designer ou encore entrepreneur dans une cause qui nous tient à cœur. Pourtant, au Maroc, où les lignes entre ambitions personnelles et contraintes socio-économiques sont souvent floues, cette aspiration prend parfois des allures de mirage. Et s’éloigne petit à petit l’idéal de grand reporter de guerre, artiste mondialement connu ou entrepreneur à succès !

Dans un pays où le chômage reste élevé, surtout parmi les jeunes diplômés, et où la sécurité matérielle est un but incontournable pour bon nombre de familles, opter pour un métier passion peut passer pour un acte de courage, voir de défiance. Beaucoup choisissent leur vocation, même si celle-ci rime avec conditions de travail précaires, des salaires bas ou des contrats sans sécurité. La quête de sens remplace la compensation adéquate, créant ainsi un système où la passion sert souvent d’excuse pour exiger davantage tout en offrant moins !

Ce paradoxe est particulièrement courant dans des domaines comme le journalisme, la culture ou les professions créatives, où l’engagement est fort, mais les récompenses financières souvent jugées insuffisantes. Anne-Claire Genthialon, auteur du livre « Le piège du métier passion », le décrit avec précision dans son expérience au sein d’une grande rédaction française où elle travaillait en tant que journaliste (voir l’interview de l’autrice en fin de dossier). Si ces idées résonnent au niveau international, elles trouvent une résonance particulière dans le contexte marocain, où, malheureusement, travailleurs passionnés doivent naviguer entre pressions économiques et attentes sociales.

Il y a deux types de travailleurs au Maroc. Ceux qui suivent la notion traditionnelle de succès, à savoir le statut, la stabilité, le confort matériel… Et ceux qui décident de suivre de nouvelles ambitions, de nouveaux horizons. Ils investissent dans des domaines auparavant peu connus, comme les start-ups sociales, les métiers numériques ou l’artisanat modernisé, cherchant à trouver un équilibre entre sens, créativité et indépendance.

Mais cette recherche de sens n’est pas à la portée de tous. Par manque d’encadrement adéquat, certains abandonnent ou affrontent les réalités d’un marché du travail encore peu préparé à ces aspirations atypiques. Le métier passion, au Maroc et ailleurs, a une problématique indétrônable : celle de ne pas se laisser consumer par la passion qui motive.

Le concept du métier passion

À travers l’histoire, l’idée d’allier travail et passion a souvent fait face à des réalités économiques ardues. Dans les sociétés agricoles ou industrielles, le travail était davantage perçu comme une nécessité de survie qu’une quête de sens. Mais avec l’avènement de l’économie de la connaissance et des industries créatives, une évolution s’est produite : l’émergence du métier passion. « En réalité, je ne pense pas qu’il existe de métier passion. Ce sont plutôt des individus passionnés par certains métiers. Parfois, on peut ne pas être à l’aise dans un métier au départ, mais un bon encadrement, un environnement de respect et d’épanouissement peuvent transformer cette perception. À l’inverse, un métier qui nous passionnait peut devenir pesant si nous ne nous sentons pas valorisés ou reconnus. La passion se construit et évolue en fonction de multiples facteurs », explique Essaid Bellal, directeur du cabinet DIORH, spécialisé dans les métiers du conseil et du développement RH, à LeBrief.

Si cela a pu changer, c’est parce que la société évolue autrement. La solitude urbaine, ou encore les coutumes en perdition, ont aussi donné naissance à l’individualisme et donné de la valeur à l’épanouissement personnel. Les jeunes générations, qui ont grandi dans un monde où les réseaux sociaux célèbrent les parcours inspirants, sont de plus en plus attirées par l’idée que le travail devrait dépasser le simple emploi pour devenir un reflet de leur identité. Ainsi, l’artiste qui crée dans un studio lumineux, le journaliste passionné par son enquête, ou l’entrepreneur qui bâtit un projet aligné sur ses valeurs, deviennent des modèles à suivre.

Au Maroc, ce phénomène prend aussi du galon. Une graphiste freelance de Casablanca nous déclare : « J’ai toujours voulu vivre de ma créativité, même si beaucoup autour de moi disaient que ce n’était pas un vrai métier. Pour moi, c’était une façon de donner un sens à ma vie, mais aussi de prouver qu’il est possible de réussir autrement ». Cette recherche d’alignement entre passion et profession est encore plus forte lorsqu’elle symbolise une forme de libération des attentes sociales traditionnelles, qui ont longtemps promu des professions « respectables », entre gros guillemets, comme avocat, ingénieur ou médecin comme seuls modèles.

Des plateformes comme Instagram ou TikTok, en montrant des histoires de succès impressionnantes, servent de vitrines où la passion devient un produit. Cette commercialisation a des effets positifs comme négatifs : elle motive, mais elle donne aussi naissance à des attentes irréalisables. « On t’enseigne que si tu es passionné par ce que tu fais, tu ne travailleras jamais un jour de ta vie. Mais en vérité, c’est souvent le contraire, tu finis par travailler constamment, car ta passion devient ta source de revenus », explique la jeune graphiste.

Dans les pays occidentaux, où les classes moyennes ont gagné en confort, l’émergence des métiers basés sur la passion montre un changement de priorités. Le travail n’est plus juste un moyen de gagner sa vie, il devient un espace d’expression personnelle. L’écrivain Boris Vian affirmait dans L’Ecume des jours : « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le bonheur de tous les hommes, mais celui de chacun. » Les métiers basés sur la passion mettent en avant ce point de vue individualiste, où le bien-être personnel est essentiel. « Il y a 40 ans, la reconversion professionnelle était quasiment impensable. Avec l’ouverture à la mondialisation, les mentalités ont évolué et aujourd’hui, les reconversions sont plus courantes. Néanmoins, cela dépend encore beaucoup du bagage, des compétences et de l’expérience des individus », déclare Essaid Bellal.

Au Maroc, l’engouement pour ces métiers est plus récent mais grandissant. L’explosion des réseaux sociaux a ouvert de nouvelles opportunités à une jeunesse connectée, désireuse de réussite et de reconnaissance. Des personnalités locales comme des youtubeurs ou des artistes marocains, qui sont devenus des symboles de réussite rapide, motivent des milliers de jeunes. L’une d’elles a partagé qu’elle a débuté dans cette aventure pour rigoler, et la sauce a pris. A présent elle a une collection d’abonnés et de collaborations.

Cependant, l’idée du métier passion n’est pas accessible à tous. Quand l’urgence économique est pressante, cela reste un luxe.

T’auto exploiter, tu feras

Le phénomène du métier passion est fortement lié à la mondialisation, on l’aura compris. À travers les histoires de réussite partagées en ligne, une narration commune émerge : celle d’un travail idéal, où enthousiasme et créativité remplacent monotonie et contraintes. Cela représente une échappatoire symbolique à un marché de l’emploi souvent considéré comme rigide, peu gratifiant ou limité. L’on assiste à ce qu’on pourrait appeler le lendemain des 30 glorieuses. Des parents travailleurs et obéissants, dans les années 60, ont donné naissance à des enfants militants, allant à l’encontre des idéaux capitalistes de leurs parents.

Mais cette glorification peut s’avérer être un piège plus béant que la Taylorisme ! Par exemple, les jeunes Marocains qui souhaitent vivre de leur passion doivent souvent gérer les attentes familiales, pour qui la stabilité est primordiale. « Quand j’ai annoncé à mes parents que je voulais devenir réalisatrice, ils m’ont demandé comment j’allais subvenir à mes besoins », nous explique une étudiante en audiovisuel, à Marrakech.

Si les parents s’inquiètent pour l’avenir de leur enfant, ce n’est pas seulement pour des raisons pécuniaires. Ils sont conscients qu’en montrant trop d’affection pour son travail à un supérieur, celui-ci peut en abuser, au détriment de la santé du travailleur.

Mais, l’un des risques cachés de la popularité du métier passion est la tendance à s’auto-exploiter. Puisque le travail est perçu comme une extension de soi, il devient difficile de fixer des limites. Où s’arrête le professionnel et où commence l’individu ? La graphiste explique : « J’ai commencé par passion, mais très vite, j’ai compris que je devais accepter des heures de travail sans fin juste pour me faire connaître. Au final, j’étais épuisée, frustrée et mal payée. »

La passion sert souvent à justifier de mauvaises conditions de travail et elle est souvent perçue comme une excuse pour ne pas revendiquer une rémunération logique.

Psychologiquement atteint, tu seras

Au cœur des métiers basés sur la passion demeure une recherche d’un épanouissement authentique, une quête de sens. Différemment d’un emploi considéré comme une simple transaction économique, ces professions permettent à ceux qui les exercent de s’investir complètement, tant émotionnellement qu’intellectuellement. Par exemple, le journaliste qui traite des sujets qui le touchent, l’artiste qui cherche de nouvelles façons de s’exprimer ou l’entrepreneur social qui crée un projet, illustrent cette quête d’harmonie entre le soi et le travail. Pour beaucoup de Marocains, ce choix dépasse la simple satisfaction du travail : c’est une manière de redéfinir leur place dans la société. Un artisan renforce ses racines à travers son travail, un cinéaste exprime sa douleur dans une scène… Il existe donc là un lien entre le travail et l’identité personnelle.

Mais il est important de se rappeler qu’un métier passion est bien plus propice à l’innovation et au développement d’une entreprise. En s’éloignant des conventions, leurs praticiens découvrent de nouvelles idées et approches. Cela est particulièrement vrai dans les domaines de l’artisanat et du numérique au Maroc. Par exemple, des jeunes entrepreneurs marocains utilisent des matériaux locaux pour créer des produits écologiques, tandis que d’autres reconçoivent des métiers traditionnels avec des technologies modernes, comme nous avons pu le voir dans la reconstruction des maisons d’Al Haouz. Et pour l’entreprise, cet employé est la poule aux œufs d’or qui ne prendra ni pause-déjeuner ni repos.

Burn out 

Quand on a un travail par passion, on a tendance à s’y investir beaucoup trop, souvent plus que ce qui est demandé. Cet investissement peut causer une forte auto-pression pour bien faire, ce qui peut, sur le long terme, fatiguer mentalement et physiquement. Les personnes passionnées ont souvent du mal à faire la différence entre le travail et la vie personnelle. Le travail peut prendre le temps de repos, de loisir ou de famille, ce qui réduit le temps de récupération nécessaire pour éviter de s’épuiser.

Les métiers passion semblent souvent venir avec des attentes élevées. Quand il y a un écart entre ce qu’on attend et la réalité (stress, tâches répétitives, manque de reconnaissance), cela peut mener à de la frustration et à de la fatigue mentale. Aussi, aimer son métier peut amener à accepter beaucoup de travail, parfois sans compensation financière ou émotionnelle adéquate. L’auto-exploitation devient ainsi une cause fréquente de burn-out.

Malgré leur amour pour le travail, les passionnés peuvent éprouver un manque de reconnaissance de la part des collègues, des supérieurs ou du public, ce qui peut créer un sentiment de dévalorisation et aggraver l’épuisement. Dans un métier passion, il est difficile de se déconnecter, car la ligne entre travail et plaisir est floue. Le manque de pause ou de recul facilite l’épuisement progressif. Quand le travail devient une source de stress constant, cela peut réduire l’amour initial pour le métier. Cette désillusion est souvent compliquée à accepter et renforce le sentiment de détresse.

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Sous payé, tu seras

Vous connaissez ce mythe du rêve américain, où travail et passion permettent à chacun de progresser et d’augmenter son salaire ? Oui, cela se passe aux États-Unis, diriez-vous. Pourtant, toute une génération des années 80 à 2000 a cru, dur comme fer, en cet idéal, avec pour preuve inaliénable : l’élection du premier président noir à la Maison Blanche !

Mais au Maroc, c’est différent. Les secteurs où les métiers passion fleurissent souffrent souvent d’un manque de régulation et d’une instabilité financière. La précarité ne concerne pas seulement les finances, elle touche aussi la reconnaissance professionnelle. Dans un environnement où le travail est souvent vu à travers sa contribution économique directe, le métier passion manque de légitimité sociale. Les travailleurs dans le secteur culturel ou créatif doivent souvent affronter des jugements péjoratifs, considérés comme étant engagés dans des loisirs plutôt que dans de véritables carrières. Cela se voit encore plus lorsqu’un banquier hésite à donner un crédit, alors même que toutes les conditions requises sont rassemblées.

Et pour cause, ils ont beau aimer ce qu’ils font, pour le faire en toute liberté, ces employés sont prêts à accepter de bas salaires, ne serait-ce que pour ne pas donner raison à leur famille qui n’a pas cru en eux. « Les secteurs de la culture, de l’artisanat, des médias et de la communication sont souvent concernés. Beaucoup de jeunes passionnés acceptent des conditions de travail difficiles ou des rémunérations faibles simplement pour « faire ce qu’ils aiment ». Le secteur associatif, bien que gratifiant sur le plan humain, souffre également de ce phénomène. En parallèle, des domaines comme la tech ou le gaming, bien qu’émergents et porteurs, peuvent aussi exploiter cette dynamique dans des structures encore peu matures », explique Amine Khayatei à LeBrief.

Mais à quel coût ? Au prix de la santé, de la vie personnelle, du temps, de l’amour de soi, des finances…

Exploité, tu seras

La passion devrait être une force qui élève. Pourtant, dans le cadre du métier passion, elle peut aussi devenir… une tyrannie silencieuse. En voulant trop se consacrer à leur passion, les passionnés atteignent souvent les limites de la fatigue physique et mentale. Le travail, plutôt qu’un lieu d’épanouissement, se transforme en un champ de bataille où l’on s’épuise lentement.

Quand on aime, on ne compte pas… ses heures ! Au détriment de tout le reste.

Cette tendance est renforcée par un discours qui glorifie le sacrifice au nom de la passion. On admire le jeune qui travaille jusqu’à l’aube, le startupper qui ne dort que quatre heures par nuit et les méthodes épuisantes d’Elon Musk, menant inlassablement au burn-out.

Cette exploitation est souvent intériorisée, nourrie par la peur de l’échec ou de l’oubli. Pour bon nombre de Marocains impliqués dans un métier passion, chaque opportunité est vue comme vitale, chaque contrat comme une chance à saisir. Mais ce rythme a un prix. L’épuisement professionnel, ou burnout, touche de plus en plus les travailleurs passionnés, menant à un véritable problème de santé mentale. Ces personnes se retrouvent souvent isolées, incapables de prendre du recul et gênées de dire que leur passion devient nuisible, alors qu’elles ont tant lutté pour en faire leur carrière !

 

Tu es viré !

« Tu sais que je t’aime comme un fils, mais tu ne fais pas le poids contre 5 centimes ».

L’épisode 11 de la saison 9 de Bob l’éponge, intitulé « Bob, tu es viré », présente un aperçu de la critique sociale liée à la recherche d’un emploi qui passionne.

Cet épisode est très intéressant pour sa satire concernant la relation entre travail, passion et reconnaissance dans un système capitaliste. L’intrigue met en avant le parcours de Bob au Crabe Croustillant, montrant son enthousiasme pour son travail, tout en faisant face à des questions de pouvoir et de profit.

L’épisode montre le combat de Bob, qui, malgré son amour pour son travail, est entravé par la réalité économique. Bob, symbolisant la passion, est utilisé par monsieur Krabs, qui cherche uniquement à augmenter ses profits. Ce rapport crée une tension entre la satisfaction personnelle de Bob et les impératifs du monde capitaliste. Bien que Bob soit l’exemple de l’employé dévoué, son travail ne lui permet pas d’atteindre ses rêves, critiquant ainsi l’idéalisme autour de l’emploi passion dans la société.

Monsieur Krabs dans cet épisode représente parfaitement l’exploitation capitaliste. Il voit le talent de Bob, mais au lieu de l’encourager à explorer des idées créatives, il utilise cette passion pour vendre davantage et gagner de l’argent. Ce contrôle est critiqué : Krabs est l’entrepreneur dont la priorité est d’augmenter la productivité sans se soucier du bien-être de Bob. Par ce personnage, l’épisode amène à réfléchir sur le travail dans une société où la passion est souvent utilisée comme un simple moyen de profit.

Une autre dimension intéressante de cet épisode est la perception de la passion de Bob par les autres. Quand il devient une célébrité, que tous les employeurs se battent pour l’avoir, la reconnaissance qu’il reçoit ne compense pas l’exploitation qu’il endure. Cela nous mène à nous poser des questions sur la vraie reconnaissance d’un individu dans un système qui évalue le succès par la productivité plutôt que par l’épanouissement personnel.

Cet épisode aborde également des dilemmes éthiques sur la relation entre l’individu et le travail. Comment Bob se laisse influencer par les attentes de monsieur Krabs interroge sur la fidélité à soi-même dans une carrière qui passionne. Cela représente une réflexion sur l’intégrité au travail et sur comment un système économique peut affecter, voire détruire, cette intégrité.

Il existe des options. Apprendre à établir des limites, à dire non, à apprécier son travail à sa juste valeur : ces démarches sont importantes pour s’échapper de ce cercle vicieux. Mais dans un monde où chacun peut facilement être remplacé, comme le signifient parfaitement les patrons, il est difficile de s’exprimer aisément. Ces efforts se font en vain dans une société qui privilégie l’exploit au détriment du bien-être.

« Pour ne pas tomber dans le piège du métier passion, il faudrait :
-Développer des compétences polyvalentes : combinez votre passion avec des compétences techniques recherchées sur le marché pour accroître votre valeur ;
-Identifier des niches rentables : cherchez des opportunités où votre passion rencontre une demande spécifique et rémunératrice ;
-Investir dans un réseau professionnel : tissez des liens avec des acteurs influents dans votre domaine pour maximiser les opportunités ;
-Diversifier vos sources de revenus : envisagez des projets annexes ou freelances pour compléter vos revenus tout en restant dans votre domaine de prédilection ;
-S’informer sur les conditions du marché : avant de s’engager pleinement, étudiez les réalités économiques du secteur pour éviter les désillusions », explique le fondateur de KWIKS.

L’éducation est la base de la destinée des individus et, par conséquent, du métier passion choisi. Si l’école a longtemps été considérée comme un moyen de stabilité, visant à préparer à des professions traditionnelles, elle peut aussi être le terreau fertile où les passions se développent.

Dans un système éducatif souvent centré sur la transmission des connaissances et la préparation à des métiers jugés « utiles », les talents créatifs sont souvent négligés. L’art, la musique, l’artisanat ou l’écriture sont souvent considérés comme des disciplines secondaires. Combien d’élèves aiment les cours d’art qui leur permettent de s’exprimer mais n’oseront jamais dire à leurs parents qu’ils veulent en faire leur gagne-pain ?

Il s’agit donc de changer la vision des choses : voir ces activités comme des occasions d’exprimer une identité, de développer une créativité, mais aussi d’apprendre des compétences utiles comme la persévérance ou la gestion de projet. « Il est essentiel de continuer à apprendre et à se former. La maîtrise des langues, par exemple, est importante dans un pays comme le nôtre. Par ailleurs, se familiariser avec les nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle et les systèmes d’information devient indispensable. Tous les secteurs évoluent ou se réinventent grâce à ces nouvelles connaissances. Il est impératif d’être à l’affût des innovations pour rester pertinent dans son domaine », nous explique Essaid Bellal.

L’éducation doit aussi aider les élèves à construire leur confiance en eux, point important pour poursuivre ses rêves. Trop souvent, les jeunes marocains sont freinés par des jugements sociaux type : « Ce n’est pas pour toi », « Tu ne réussiras pas », « Ce n’est pas un vrai métier » … Grâce à des activités de coaching ou des espaces de dialogue, l’école peut devenir un lieu où chaque élève est encouragé à explorer ses désirs, sans jugement ni peur.

Anne-Claire Genthialon, auteur du livre « Le piège du métier passion »

Anne-Claire Genthialon, auteur du livre « Le piège du métier passion »-Le Brief : Pourquoi vous avez choisi d’être journaliste ? Était-ce une passion pour vous depuis le début ?

Anne-Claire Genthialon : Dans mon cas, j’ai l’impression qu’aussi loin que mes souvenirs puissent remonter, le journalisme a toujours été un métier envisagé.
J’étais abonnée à Astrapi et à tout un tas de publications jeunesse. J’ai le souvenir que dans un numéro, un dossier racontait les coulisses de sa fabrication.

J’étais très bavarde et curieuse. Donc un métier qui permettait de parler à tout le monde, l’opportunité de voyager, de découvrir différents univers, différentes personnalités me fascinait.
Moi j’ai grandi à la campagne. Et les médias, la télévision, les journaux, ont été des fenêtres sur le monde et ont contribué à m’ouvrir l’esprit, à développer de l’empathie pour les autres. Et j’ai voulu exercer ce métier pour cela: donner à voir aux autres d’autres réalités que les leurs pour contribuer à la compréhension et à plus d’acceptation. Utopique, n’est-ce pas?
Mais si j’avais de grands idéaux, j’ai rapidement été confrontée à la réalité. J’ai fait de nombreux stages avant même d’intégrer une école de journalisme. Pendant ma formation, la précarité et les difficultés du métier n’ont jamais été occultées. Et nous étions préparés à vivre des débuts difficiles.

-Le Brief : Quand avez-vous compris que le rêve initial ne collait pas à la réalité ?

Anne-Claire Genthialon : La désillusion a été lente et progressive. Je m’attendais à une insertion professionnelle chaotique. Les places sont tellement chères qu’on sait qu’on ne sera pas embauché ou alors après un long chemin de croix! Mais en tant que jeunes journalistes, on est tellement convaincu que notre amour, notre passion pour ce métier sont forts qu’il n’y a pas d’autres solutions que d’y arriver. Et on considère qu’on a tellement de chance d’exercer ce métier qui nous a tant fait rêver qu’on accepte des conditions très précaires.

Donc, je n’ai pas découvert encore une fois les difficultés ou la précarité du métier. C’est à l’usure, que le vernis se décolle. J’ai travaillé pendant longtemps au sein d’une rédaction. Durant six années, cette entreprise pour laquelle je travaillais en CDD ou en tant que pigiste traversait des difficultés et embauchait au compte goutte. Mais le jour où le poste que j’occupais a fait l’objet de deux offres d’emploi en CDI, cela m’a anéantie.

J’en ai eu le cœur brisé. Je vivais un chagrin d’amour avec mon travail.

-Le Brief : Faisiez-vous la distinction entre Anne-Claire et la journaliste ou était-ce le même rôle ?

Anne-Claire Genthialon : C’est ce qui était perturbant: j’ai traversé une crise d’identité. Car mes deux identités, personelles et professionnelle, étaient complétement emmelées. Je me demandais “est-ce que je suis curieuse parce que je suis journaliste ou est-ce que je suis journaliste parce que je suis curieuse ?”. Les anglo-saxons ont un terme pour désigner cet enchevêtrement d’identités, ils parlent d’entanglement et c’est bien vu.

Pourquoi, selon vous, les métiers liés à la passion sont souvent synonymes de précarité ?

Car par amour d’un métier, d’un travail qui nous définit, qui nous offre finalement un sens à notre vie, nous sommes prêts à accepter des conditions de travail très précaires. Ce serait un prix à payer. On oppose souvent “métier-passion” et “métier-raison”. Au début de l’écriture de mon livre, je pensais que les métiers passion étaient l’ensemble de professions qui font rêver et où les places sont limitées. Comme les métiers artistiques ou qui comportent une forte part de créativité.

Mais avec les crises financières et le chômage, de plus en plus de secteurs, de champs professionnels comptent des passionnés de leurs métiers. Vont aller chercher un investissement affectif à leur profession. Je pense très sincèrement qu’il n’existe pas un métier où on ne vous demande pas de mettre un petit supplément d’âme. C’est un leurre de penser qu’on se cantonne à sa fiche de poste. Un ingénieur aéronautique m’a dit un jour qu’un employeur lui avait proposé une rémunération ridicule et l’avait justifié en tant que “salaire de la passion”!

Le métier passion, c’est celui qui contient une promesse personnelle, celle d’une réalisation de soi. C’est parce qu’il comporte cette promesse d’accomplissement, de donner un sens que l’on accepte de telles conditions.

-Le Brief : Qu’est-ce qui a déclenché votre décision de quitter le journalisme ?

Anne-Claire Genthialon : Je n’ai pas quitté le journalisme, mais la presse écrite. Cet épisode douloureux avec cet employeur m’a dégoûtée de la presse écrite. Je ne pouvais plus écrire, je n’y parvenais plus. Et je n’arrivais plus à vivre de mes piges.
J’avais plus de 30 ans et des envies d’avancer plus concrètement dans ma vie sans dépendre d’un travail.

-Le Brief : Votre livre critique le système qui exploite la passion des travailleurs. Quels changements souhaitez-vous voir ?

Anne-Claire Genthialon : C’est une vaste question ! Comme on dit: le diable se cache dans les détails. Peut-être faut-il commencer par la manière dont on parle. Est-ce pertinent dans des annonces d’emploi de chercher des gens “passionnés” ? On cherche surtout des gens corvéables à merci ! Quand on parle de “talent” au lieu de travailleurs, on entretient cette mystique autour d’un métier/destinée !

-Le Brief : Comment les jeunes entrant sur le marché du travail peuvent-ils se méfier de ce piège de la passion ?

Anne-Claire Genthialon : En se disant que le but premier d’une entreprise ne sera jamais leur épanouissement, mais la recherche de profit. Ce qui n’est pas mal ou bien, mais qu’importe combien ils aiment leur métier, ils risquent de ne pas avoir de prise sur leurs conditions d’exercice. Et cela peut être violent. Le travail ne vous aimera jamais en retour!

Il est important d’avoir de l’intérêt pour ce que l’on fait, sinon c’est un peu tragique étant donné le temps passé au travail. Mais tout est une question d’équilibre à trouver.

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