Entre principes et politique, la justice internationale peine à concilier les deux
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Dans une prise de parole accordée au Policy Center, sur l’un des thèmes les plus sensibles de la gouvernance mondiale — le système judiciaire international — Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, met en lumière les paradoxes qui entourent ce domaine. Dans son essai percutant intitulé « La justice internationale : entre risques, défis et deux poids, deux mesures », il s’interroge sur l’écart entre les idéaux nobles de l’ordre juridique international et « une réalité marquée par l’application sélective, la politisation et un déficit criant de légitimité ».
Les manipulations géopolitiques ont contribué à l’échec de la CIJ
Pour faire le tour de cette question, Ferid Belhaj explique, dans un premier temps, les raisons historiques qui ont conduit la justice internationale à l’échec. En effet, il rappelle que la justice internationale a été façonnée à la fois par le droit et la réalité politique. « Même si, actuellement, ces institutions sont souvent présentées comme des innovations de l’après-seconde guerre mondiale, leurs racines remontent à des tentatives antérieures de régulation des relations internationales par le biais de mécanismes juridiques, notamment par la signature de la convention de Haye qui a mis en place les premières lois de la guerre », affirme-t-il.
Dans ce sens, il déplore que la CIJ relevant des Nations unies reste « limitée par les dynamiques de pouvoir géopolitique », tout comme son prédécesseur, la Cour permanente de justice internationale, et ce malgré son aspiration à la neutralité. À cet égard, Ferid Belhaj cite l’avis consultatif de 2004 sur le mur de séparation israélien, ainsi que l’affaire opposant Israel à l’Afrique du Sud en 2024. Il souligne aussi que « les procédures de poursuites de la CIJ révèlent des incohérences, comme le montrent ses affaires contre des dirigeants africains, des responsables russes et, désormais, des personnalités israéliennes et du Hamas ».
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D’autre part, lors de la présentation de ses verdicts, la CIJ se heurte à l’opposition de certains de ses menbres dont les intérêts sont directement mis en cause. C’est le cas des États-Unis, qui se sont retirés de la compétence obligatoire de la Cour en 1986, après avoir été reconnus coupables dans l’affaire les opposant au Nicaragua. De même, la Chine a rejeté l’autorité de la Cour à la suite de décisions défavorbales dans des différends maritimes en mer de Chine méridionale.
Outre l’influence géopolitique, la CIJ manque, selon le directeur régional de la Banque mondiale, de pouvoir coercitif. « Puisqu’elle s’appuie sur le conseil de sécurité des nations unies pour prendre ses décisions ». Or, ce dernier dispose d’une organisation particulière, notamment le droit de veto de ses membres permanents, « qui rend les décisions de celle-ci inapplicable ».
Ferid Belhaj ajoute que « les lacunes dans l’application révèlent une faille critique : si la CIJ prétend défendre l’État de droit, son autorité dépend de la volonté politique des États les plus puissants, renforçant ainsi le système juridique du deux poids, deux mesures ». Il illustre, dans ce contexte, son point de vue par le jugement de la Cour en 2004, lorsqu’il s’agit de la construction d’un mûr de séparation en Cisjordanie. Résultat : cette décision a été ignorée en raison de l’opposition des États-Unis. Il en va de même pour la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine.
La CPI est limitée par son statut et par ses membres
Contrairement à la CIJ, la Cour pénale internationale (CPI) se concentre sur la responsabilité pénale individuelle, en tenant les auteurs de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes d’agression responsables, souligne l’expert de la Banque mondiale. Créée en vertu du Statut de Rome en 2002, la CPI a été conçue comme un tribunal permanent doté d’une compétence universelle pour juger les crimes graves, cherchant à mettre fin à l’impunité des acteurs étatiques et non étatiques.
Cependant, sa compétence est fondamentalement limitée par son cadre juridique. En effet, Ferid Belhaj explique que la CPI ne peut poursuivre que les citoyens des États ayant ratifié le Statut de Rome pour les crimes commis sur leur territoire, à moins que le Conseil de sécurité des nations unies (CSNU) ne lui renvoie une affaire, ce qui autorise les poursuites même contre les non-signataires.
D’ailleurs, cette situation a entraîné d’importantes lacunes en matière de responsabilité, étant donné que les États membres du Conseil de securité rejettent la compétence de la CPI pour protéger leurs ressortissants des poursuites, et ce, tout en utilisant la Cour comme un outil politique contre leurs adversaires, révèle la même source. Elle ajoute que la portée limitée de la CPI et sa dépendance à la coopération des États exposent sa vulnérabilité à une justice sélective et à l’influence géopolitique, ce qui compromet considérablement sa crédibilité en tant qu’organe judiciaire véritablement impartial.
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L’absence de compétence universelle de la Cour a constitué une faiblesse majeure, puisque plusieurs États, dont les États-Unis, la Chine, la Russie et Israël, ont refusé de ratifier le statut de Rome, « arguant que la CPI menaçait leur souveraineté nationale et pourrait être utilisée comme une arme contre eux ».
Dans ce sens, les États-Unis, en particulier, ont adopté une position hostile à l’égard de la CPI, en adoptant l’American Service Members’ Protection, souvent appelé Hague Invasion Act, qui autorise le recours à la force militaire pour libérer le personnel américain détenu par la Cour, déclare l’expert cité par Policy Center. Les administrations américaines successives ont, d’ailleurs, cherché à saper l’autorité de la CPI, en appliquant des sanctions aux fonctionnaires de la CPI qui ont enquêté sur d’éventuels crimes de guerre américains en Afghanistan, poursuit-il.
De même, la Russie s’est retirée du Statut de Rome en 2016 après que le rapport de la CPI a qualifié son annexion de la Crimée d’occupation, tandis que la Chine a systématiquement rejeté le contrôle judiciaire international, maintenant sa souveraineté comme non négociable. Par ailleurs, Israël, confronté à d’éventuelles enquêtes de la CPI sur son traitement des Palestiniens, a rejeté catégoriquement la compétence de la Cour, arguant que la Palestine ne répond pas aux critères juridiques d’un État en vertu du droit international.
Ces rejets très médiatisés de la CPI par les grandes puissances mondiales révèlent ses limites structurelles, renforçant l’application asymétrique de la justice pénale internationale, dans laquelle « les États les plus faibles sont poursuivis tandis que les nations puissantes opèrent dans une impunité quasi totale ».
Face à «l’injustice» de la justice internationale, l’hémisphère Sud prend les devants
La CPI a longtemps été perçue avec scepticisme par les pays du sud, notamment en Afrique, en Asie et en Amérique latine, et ce, en raison de son application sélective de la justice et de son apparente partialité à l’encontre des dirigeants du Sud, rapporte le document. L’impression que la CPI cible de « manière disproportionnée les dirigeants africains sans tenir les responsables occidentaux responsables de leurs actes a suscité une méfiance et un ressentiment croissants ». Face à cette situation, certains États africains menaçent même de se retirer totalement du Statut de Rome.
De même, en 2010, l’affaire du président kenyan, Uhuru Kenyatta, a renforcé encore plus la perception des États africains selon laquelle la CPI est incapable d’appliquer la justice de manière impartiale. Uhuru Kenyatta a été accusé de crimes contre l’humanité liés aux violences postélectorales au Kenya, mais l’affaire a finalement échoué en raison du manque de preuves essentielles de la part des gouvernements occidentaux.
Les observateurs africains ont noté que si la CPI a mené des poursuites agressives contre des dirigeants non occidentaux, elle s’est appuyée sur les États occidentaux pour les renseignements, le financement et le soutien politique, « créant un déséquilibre structurel qui a limité sa capacité à agir de manière indépendante ». L’incapacité à obtenir la coopération dans cette affaire a révélé la dépendance de la CPI à la volonté politique occidentale, qui, lorsqu’elle était absente, l’a rendue incapable de poursuivre même des cibles de premier plan.
Ces échecs ont alimenté les appels en faveur d’alternatives régionales à la CPI, certains pays africains plaidant pour un rôle plus important de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et le développement de mécanismes judiciaires localisés.
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L’incapacité de la CPI à poursuivre les dirigeants occidentaux pour crimes de guerre en Irak, en Afghanistan et en Libye a porté l’un des coups les plus dévastateurs à sa légitimité dans les pays du Sud. L’invasion de l’Irak par les États-Unis en 2003, qui a fait des centaines de milliers de morts parmi les civils, a été menée sans l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU, ce qui en fait une violation flagrante du droit international, conclu Ferid Belhaj.
Pourtant, aucun responsable américain ou britannique n’a jamais été inculpé de crimes de guerre présumés, notamment de torture à Abou Ghraib ou de frappes de drones contre des populations civiles. De même, l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011, qui a conduit au renversement et à l’assassinat de Mouammar Kadhafi, initialement justifiée par des raisons humanitaires, a pourtant entraîné une instabilité généralisée, des pertes civiles et la montée de groupes extrémistes.
Malgré des preuves évidentes de crimes de guerre commis par les forces occidentales dans ces conflits, la CPI n’a pas mené d’enquêtes significatives. En réponse à ces incohérences, de nombreux pays du Sud global ont de plus en plus insisté pour la création de mécanismes de justice régionale alternatifs, arguant que « le droit international ne devrait pas être monopolisé par des institutions contrôlées par les États occidentaux ». L’Union africaine a mené des discussions sur l’élargissement du mandat de la CADHP pour inclure la compétence pénale, permettant aux États africains de poursuivre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité sans recourir à la CPI.
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En Amérique latine, des efforts renouvelés ont été déployés pour renforcer la Cour interaméricaine des droits de l’homme, tandis qu’en Asie, certains pays ont appelé à la création d’un tribunal indépendant pour juger les crimes commis par les grandes puissances mondiales.
Ces efforts reflètent un abandon plus large des institutions juridiques occidentales au profit d’un ordre juridique plus multipolaire, dans lequel les organismes régionaux joueraient un rôle plus important dans la définition et l’application du droit international. À moins que la CPI ne subisse des réformes importantes pour garantir une compétence véritablement universelle et supprimer l’ingérence politique, elle risque d’être davantage marginalisée alors que le Sud global cherche à reconquérir sa souveraineté juridique et politique.
La CIJ comme la CPI ont joué un rôle crucial dans l’élaboration des normes juridiques mondiales, rendant des arrêts historiques sur les conflits territoriaux, les crimes de guerre et le génocide. Cependant, leur impact reste fondamentalement compromis par une application sélective et des manipulations géopolitiques. L’incapacité à appliquer le droit international de manière cohérente, quelle que soit la position géopolitique d’un pays, a suscité un scepticisme croissant dans les pays du Sud, où la CPI, en particulier, est perçue comme un outil d’influence occidentale plutôt que comme une institution judiciaire impartiale. Si ces tribunaux doivent servir de véritables piliers de la justice mondiale plutôt que d’instruments de politique de puissance, des réformes significatives doivent être mises en œuvre pour restaurer leur crédibilité.
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