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Pour une fusion du Code de la route et celui du travail

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Portrait baroque de Karim Ikce. © Dalle-e

Karim Ikce, 30 ans, j’ai été embauché pour vous raconter la vraie vie, c’est-à-dire à travers mon regard et ses travers …

J’ai un job. Ok, mais faut pas faire n’importe quoi, sous prétexte que…

J’ai toujours été fasciné par les panneaux indicateurs, qui remplacent les rhumbs de nos anciens portulans. Beaucoup plus simples, en apparence, certainement tout aussi efficaces, mais cependant moins poétiques.

Nous ne nous soucions plus du vent, de sa direction, ni de sa force et nous contentons de jeter un œil discret à ce cône qui, de temps à autre, nous informe de la présence d’un vent latéral plus ou moins affirmé, selon la convention sur la signalisation routière conçue à Vienne le 8 novembre 1968.

Quant aux directions, aux distances, tout est présenté de la manière la plus claire et directe possible aux conducteurs, dans une harmonisation mondiale quasi parfaite.

La taille, la couleur et l’espacement des caractères, tout a été étudié pour que le message soit analysé en une fraction de seconde sans remettre en cause la sécurité du chauffeur et de ses passagers.

Malgré cet effort de rationalisation extrême, il demeure en chacun de nous un petit être qui refuse de se soumettre complètement aux codes, aux normes, aux lois et à toutes ces injonctions qui peuplent nos journées.

On s’arrange, on se reconstruit une logique à l’intérieur de la grande logique, des arrangements qui ne font de mal à personne.

C’est ainsi que pour tout conducteur, certains panneaux sont plus parlants que d’autres.

Pour ma part, depuis mon nouveau bureau avec vue sur la photocopieuse, j’ai porté mon dévolu sur trois messages précis.

Sur le premier, il est écrit « La vitesse tue ».

J’approuve en freinant des quatre fers. La vitesse, si elle grise, est insoutenable en tant qu’effort permanent. Sans parler de l’impact de l’envolée du prix du carburant qui est, à mon sens, le meilleur allié de la Prévention routière.

Donc, si la vitesse tue, rouler moins vite, devrait nous permettre de vivre plus longtemps. Je signe.

Cette sommation pose tout de même quelques questions à occuper un honnête homme pendant les longues soirées hivernales. Est-ce que c’est le fait, en roulant vite, d’arriver plus rapidement à un point donné, qu’on nommera le point de la mort, qui est létal, ou bien est-ce que la mort serait stimulée par la vitesse qui la rendrait plus offensive ?

Tout un programme, que je me promets d’adresser un jour prochain, lorsque le temps me le permettra.

L’autre panneau qui retient mon attention ressemble à l’attitude d’une maman qui fait pour la énième fois la même recommandation à son fils lorsqu’il s’apprête à sortir de chez elle. « Reposez-vous toutes les deux heures ».

J’aime bien cette implication de la sécurité routière dans notre bien-être. J’ai l’impression qu’elle exprime un intérêt social pour les usagers des autoroutes du Royaume et je ne serais pas surpris d’apprendre que cette initiative est celle d’une femme. C’est-à-dire de la raison, par rapport aux testostérones.

Le troisième est un panneau que l’on pourrait qualifier de circonstance en cette période de pandémie pas si réglée que ça. Il dit simplement « Maintenez la distance de sécurité », qui est devenu notre motto depuis 3 ans à défaut d’être notre mantra.

J’ai donc eu l’idée de reproduire ces panneaux dans mon bureau dans une tentative individuelle et non sollicitée de fusionner les codes du travail et celui de la route.

Par ce geste hautement symbolique, je préviens mes collègues que dorénavant je m’appliquerai davantage dans les tâches qui me sont confiées, et nonobstant les jérémiades de certains, cela devrait me prendre un peu plus de temps. Mais comme nous devrions vivre plus longtemps, je leur conseille de ne pas déclarer de guerre trop hâtive

Ensuite, afin de ne pas m’abîmer la santé, je prendrai une pause toutes les 120 minutes. J’irai faire un tour du côté de la machine à café, derrière le bâtiment où se retrouvent les fumeurs ; ou tout simplement marcher, un dossier volumineux à la main, dans un couloir en me donnant la contenance de celui qui va vers un rendez-vous de la plus haute importance.

Me vient tout de même une question, s’il faut se reposer toutes les deux heures, quelle est la durée optimale ou acceptable du repos associé ?

Enfin, et pour ne pas contrecarrer mes plans de longévité, je leur demanderai de se tenir, eux, leurs microbes et leurs virus à bonne distance.

J’ose espérer que cette proposition sera validée par le service du Capital humain, comme on dit dans la novlangue du moment et que cela n’abrègera pas mon séjour dans cet écosystème, autre nom pour l’entreprise. Sinon je risque d’écrire mes prochaines chroniques de la mahlaba du coin.

Et si mon plan fonctionne, Je proposerai la création d’une commission mixte entre les rédacteurs du code de la route et ceux du code du travail pour une harmonisation des concepts et pourquoi pas, pour une mise en commun des préceptes.

Pour la sécurité et le bien-être au travail. Ça sonne bien, non ?

Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.

Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète