29 ou 30 ?
Il est revenu, il est là. Et les camps, que dis-je, les blocs, se forment. Ceux qui l’attendent et ceux qui attendent qu’il s’en aille.
Dans ceux qui l’attendent, il y a ceux qui l’attendent parce qu’ils n’ont pas le choix et les autres qui en attendent quelque chose. Dans les autres, il y a ceux qui le subissent et ceux qui s’en plaignent à tout va.
Pendant quelques jours, le pays va glisser dans une organisation assez surréaliste. Les administrations vont fermer en début d’après-midi, mais elles ne commenceront dans les faits qu’en fin de matinée. Il faudra viser juste pour se faire tamponner le moindre document. Les rendez-vous seront décalés au soir et beaucoup feront bombance toute la nuit, comme si c’était leur dernier repas. Pourtant, tout continue de fonctionner et je défie quiconque de mesurer une perte significative de productivité. C’est à croire que le temps de travail est optimisé pendant cette période, posant la question de savoir pourquoi ce n’est pas le cas durant le reste de l’année. Nous pourrions profiter davantage de temps libre pour le gaspiller au café ou en tirer quelque chose de positif. À chacun son choix.
Tonton Ramadan est de retour. Dans les rues, des pâtisseries improvisées exhalent la douce odeur des gâteaux au miel, présentés en monticules cellophanés. Les professionnels, qu’ils appartiennent à un camp ou à l’autre, se frottent les mains en prévision des chiffres d’affaires colossaux qui se profilent, augmentations de prix généralisées en renfort. Alors que sous d’autres cieux la bataille du 49.3 fait rage, ici, la question qui taraude la majorité est de savoir s’il durera 29 ou 30 jours. Un peu comme si le trentième était l’effort surhumain de trop que le Ciel nous demanderait. Comme si ce jour était aussi long que tout le mois.
Pour le bloc des supporters, c’est une période de douceur, de paix, et de recueillement. Une sorte de parenthèse dans la folle course du quotidien.
Pour l’autre bloc, c’est le mois des complaintes. Tout y passe. La mauvaise humeur de ceux qui le font et de ceux qui ne le font pas ; la paralysie du pays, le sentiment d’être piégé, de ne pas pouvoir faire ce que l’on veut au nom d’une morale hypocrite, la fermeture des bars et l’ouverture tardive des cafés. Chacun en prend pour son grade.
Les rues deviennent parfois un lieu de confrontation, en particulier le matin, l’après-midi et juste avant le coup de canon salvateur. Oui, c’est bien cela, toute la journée. Ceux qui fument, ceux qui sont en manque de café, ceux qui n’ont pas bien dormi, ceux qui ont trop mangé, ceux qui n’ont pas assez mangé, ceux qui n’ont pas de raison et ceux qui ont toutes les raisons du monde ; tout se mélange et l’on assiste de temps à autre à des échauffourées dignes des plus grandes comédies égyptiennes. C’est à celui qui criera le plus fort, celui qui gesticulera en brassant le plus d’air et enfin à ceux qui interviendront en intercesseurs pour empêcher l’irréparable de se produire. Véritables prodiges, ils calment les protagonistes qui ne demandent qu’à être calmés, mais lentement, pour ne pas mettre un terme trop rapide à cette comedia dell’arte où personne n’envisage de réellement exterminer son adversaire improvisé. Il arrive toutefois qu’un comédien peu expérimenté, se prenne au jeu et aille trop loin. Rarement fort heureusement. Sinon, chacun reprend sa route en maugréant et en mettant sur le compte de l’esprit de Ramadan sa mansuétude, car il aurait autrement donné une sacrée leçon à son partenaire de quelques minutes.
Que l’on fasse partie d’un bloc ou de l’autre, la qualité qui se développe à travers tout le pays est la ponctualité. Tout le monde est devant le poste avant la rupture du jeûne. On a l’impression d’une foule de supporters qui encouragent leur équipe, en l’occurrence le muezzin, pour qu’il ne faillisse pas à sa mission.
L’an dernier, Diana qui vient juste de se marier, a cru bon de nous inviter le premier jour de Ramadan. Jil, alias Jilali, dans une sortie digne de lalla Fakhita lui demanda «À quelle heure vous faites le ftour ?». L’essentiel est effectivement de ne pas arriver en retard.
Il paraît que dans son bureau, il a l’habitude de tirer un trait chaque jour sur son calendrier mural, comme un bagnard qui attend la délivrance en lorgnant vers les 2 derniers jours dans une sorte de supplique visuelle, pour que sa punition soit levée le 29e jour.
Si personnellement, j’aime ce mois béni, je pense que chacun devrait être libre, en son âme et conscience, de le vivre comme il le souhaite, dans un respect mutuel, plutôt que de forcer une partie de la population à jouer un rôle qu’elle ne souhaite pas endosser. Parce qu’en définitive, ce n’est pas parce qu’on (se) prive de nourriture que l’on rend justice à la religion ou à la société.
Ceci dit, ce sera 29 ou 30 ?
Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.
Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète
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