Ce que propose le CNDH pour garantir la liberté et l’indépendance de la presse

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Ce que propose le CNDH pour garantir la liberté et l’indépendance de la presseLe Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) © DR

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Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a livré, le 16 septembre 2025, une note détaillée sur le projet de loi relatif à la réorganisation du Conseil national de la presse (CNP). Inscrite dans le cadre constitutionnel et des engagements internationaux du Maroc, cette réflexion vise à renforcer les garanties d’indépendance, de pluralisme et de transparence dans la régulation du secteur médiatique.

La liberté de la presse constitue l’un des piliers essentiels de toute société démocratique. Au Maroc, son encadrement juridique et institutionnel a connu d’importantes évolutions, notamment avec la création en 2018 du Conseil national de la presse (CNP), chargé de veiller au respect de la déontologie et d’organiser la profession. Sept ans plus tard, une réforme est en cours à travers le projet de loi 26.25, transmis par la Chambre des représentants au Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) pour avis consultatif.

Dans une note rendue publique le 16 septembre 2025, le CNDH analyse le texte en détail et formule une série de recommandations. Ces propositions s’appuient sur la Constitution, les normes internationales, ainsi que sur les meilleures pratiques comparées. Elles traduisent la volonté de concilier régulation efficace et respect de la liberté d’expression, tout en dotant la presse marocaine des outils nécessaires pour s’adapter aux mutations rapides du secteur médiatique.

Un cadre constitutionnel et international de référence

Le CNDH rappelle que la réforme du CNP s’inscrit dans la continuité des dispositions constitutionnelles garantissant la liberté d’opinion et d’expression (articles 25, 27 et 28). Le droit à l’information, reconnu comme condition essentielle à l’exercice effectif de la liberté de la presse, y figure également comme droit fondamental.

Lire aussi : Réforme du CNP : mandats prolongés, missions clarifiées et contrôle renforcé

Au-delà du cadre national, la note convoque plusieurs instruments internationaux ratifiés par le Maroc, notamment l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention européenne des droits de l’Homme ou encore la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples. Le CNDH insiste sur l’importance d’harmoniser la législation nationale avec ces standards, afin de garantir que la régulation du secteur ne se traduise pas par des restrictions injustifiées à la liberté de la presse.

La méthodologie adoptée repose sur un double socle : une lecture critique du projet de loi et une mise en perspective à partir des recommandations des organisations internationales (ONU, Conseil de l’Europe, UNESCO) ainsi que des expériences comparées (France, Danemark, Afrique du Sud, etc.).

Les principes directeurs : liberté, indépendance et pluralisme

Dans son analyse, le CNDH met en avant cinq principes structurants que doit respecter toute réorganisation du CNP : la liberté d’expression, l’indépendance, la pluralité, la représentativité et la transparence.

La liberté d’expression est rappelée comme une condition fondamentale à l’existence d’un espace public démocratique. Elle ne peut être limitée que par la loi, dans le respect des critères de légalité, de nécessité et de proportionnalité.

L’indépendance du Conseil est identifiée comme un enjeu majeur. Le CNDH souligne que toute dépendance du CNP vis-à-vis du pouvoir exécutif, d’intérêts économiques ou de groupes d’influence compromettrait sa légitimité. Le modèle recherché doit s’appuyer sur une gouvernance autonome, dotée de mécanismes de contrôle internes garantissant neutralité et impartialité.

Chambre des représentants : adoption du projet de loi sur la réorganisation du CNP

Le pluralisme, qu’il soit politique, culturel ou social, doit être au cœur de la composition du Conseil. La représentativité ne peut se limiter à une catégorie de professionnels, mais doit refléter la diversité du paysage médiatique et de la société marocaine.

La transparence constitue enfin un impératif démocratique : publication des décisions, justification des sanctions, accessibilité des rapports et traçabilité des financements. Ces mécanismes renforcent la crédibilité de l’institution et la confiance du public.

Observations spécifiques sur le projet de loi

Le CNDH formule plusieurs remarques sur le texte transmis par la Chambre des représentants. Sur la forme, il plaide pour une rédaction plus claire et plus accessible, afin d’éviter les imprécisions juridiques qui pourraient fragiliser l’action du CNP.

Sur le fond, l’avis met en avant plusieurs points :

• La nécessité de limiter l’intervention du législateur au profit d’une plus grande autorégulation. Pour le CNDH, la régulation professionnelle doit primer sur l’encadrement politique.

• La question des sanctions doit être harmonisée. Le Conseil estime qu’il faut clarifier les bases légales applicables en matière de diffamation, d’injure ou de discours de haine, en privilégiant des mécanismes disciplinaires internes plutôt que le recours systématique au droit pénal.

Bensaïd détaille la réforme du Conseil national de la presse

• Le financement et l’indépendance économique des entreprises de presse sont également évoqués. Le CNDH souligne que la viabilité économique du secteur constitue une condition préalable à l’exercice effectif de la liberté éditoriale.

• La lutte contre les discours de haine doit s’inscrire dans le respect des standards internationaux, en distinguant clairement entre incitation à la violence et expression d’opinions critiques, afin d’éviter toute censure abusive.

• La prise en compte des nouveaux acteurs médiatiques, notamment les plateformes numériques et les créateurs de contenus, apparaît indispensable pour adapter le dispositif de régulation à l’évolution du paysage informationnel.

Vers un modèle renforcé d’autorégulation

Un des points centraux de la note réside dans la promotion de l’autorégulation comme mode privilégié d’encadrement de la presse. Le CNDH rappelle que, dans les démocraties avancées, les conseils de presse jouent un rôle central en matière de déontologie, sans intervention directe de l’État.

Cette orientation suppose la mise en place d’instances disciplinaires internes, composées de journalistes, d’éditeurs, mais aussi de représentants de la société civile et du public. Une telle ouverture permet d’éviter le corporatisme et d’ancrer le Conseil dans une logique de responsabilité partagée.

Le CNDH insiste également sur la nécessité d’adopter un code d’éthique actualisé, élaboré de manière participative, et de renforcer les mécanismes de médiation pour régler les litiges entre journalistes, médias et citoyens.

Recommandations générales

La note conclut par une série de recommandations destinées à améliorer le projet de loi et, plus largement, à consolider l’écosystème médiatique :

1. Adopter une loi sur l’accès à l’information plus efficace, garantissant la disponibilité des données publiques dans des délais raisonnables.

2. Réduire l’ingérence du législateur en matière de régulation et privilégier des mécanismes d’autorégulation.
3. Élargir la conception de la liberté d’expression au-delà de la presse écrite, afin d’inclure toutes les formes de communication publique.

4. Réviser le recours au droit pénal dans le traitement des délits de presse, en privilégiant des sanctions proportionnées et spécifiques.

5. Repenser le modèle économique de la presse, notamment en matière de publicité et de financement, pour assurer une plus grande indépendance éditoriale.

Réforme du CNP : regard juridique sur un texte contesté

6. Intégrer la lutte contre les discours de haine dans une approche fondée sur les droits humains, évitant les restrictions excessives.

7. Clarifier les dispositions relatives à la diffamation et au droit de réponse, pour éviter les interprétations contradictoires.

8. Renforcer l’indépendance économique des médias, afin de réduire la vulnérabilité du secteur face aux pressions politiques ou commerciales.

9. Encourager la responsabilité des annonceurs publicitaires, en instaurant un cadre éthique de la communication commerciale.

10. Ouvrir davantage la composition du CNP à la société civile, aux universitaires et aux représentants du public.

À travers cette note, le CNDH propose une vision renouvelée de la régulation de la presse au Maroc, conciliant exigences démocratiques et réalités professionnelles. La réforme du Conseil national de la presse ne se limite pas à une réorganisation institutionnelle, elle engage l’avenir du secteur médiatique dans son ensemble.

Garantir la liberté d’expression, protéger les journalistes, assurer l’indépendance économique des médias et instaurer une régulation transparente constituent autant de défis majeurs. Dans un contexte de mutations technologiques et de recomposition du paysage de l’information, le Maroc est appelé à se doter d’un cadre moderne, crédible et conforme aux standards internationaux. Le débat parlementaire autour du projet de loi 26.25 sera, à ce titre, un moment déterminant pour l’avenir du journalisme et de la démocratie au Royaume.

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