Pas d’attestation, pas de chantier. C’est simple, non ? Pas de couverture décennale, pas de livraison. Depuis le 30 décembre 2024, deux mots se sont invités dans le quotidien des professionnels du BTP : TRC et RCD. Ces acronymes ressemblant de près ou de loin à des troubles génétiques ont le pouvoir de paralyser un projet avant même qu’il ne voie le jour… Kezako ?

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Depuis qu’un arrêté du ministère des Finances, appuyé par l’ACAPS et la Fédération marocaine de l’assurance (FMA), est venu noircir le Bulletin officiel, les règles du jeu ont changé. Désormais, tout chantier dépassant trois étages ou 800 mètres carrés (et dès 400 mètres carrés pour un usage autre que résidentiel) est soumis à deux assurances obligatoires. La première, la Tous risques chantier (TRC), à fournir avant le premier coup de pelle. La seconde, la Responsabilité civile décennale (RCD), sans laquelle aucune remise de clefs ne sera possible. « Tout maître d’ouvrage qui veut lancer un chantier de construction, de montage, ou de quoi que ce soit, doit souscrire une assurance Tous Risques Chantier », explique Rachid Olkome, agent général d’assurance et président de la section de Casablanca-Settat de la FNACAM, à LeBrief. C’est carré, c’est verrouillé et… non négociable ! Alors attention aux arnaques.

Pas de lecture entre les lignes possible, ce n’est pas de la prose. Le chantier non assuré est un chantier illégal. Point. Et les institutions ont visiblement décidé d’arrêter de jouer aux pompiers. Place aux extincteurs automatiques.

En clair, si l’entreprise ou le maître d’ouvrage n’est pas en mesure de produire l’attestation TRC au démarrage, le chantier est à l’arrêt. Si elle oublie de souscrire la RCD à la fin, le permis d’habiter ne sortira jamais. L’administration ne veut plus de zones floues, les assurances non plus. Et les banques ? Elles aussi s’alignent et commencent à exiger la conformité assurantielle dans les dossiers de crédit.

Plus personne ne veut s’engager sur une opération bancale. « Il n’y a aucune différence : que ce soit une école, un commerce, une maison privée ou un stade, tous les projets dépassant les seuils doivent être assurés. Seuls les marchés de l’État sont exclus », nous détaille Olkome, professeur vacataire et chercheur à la faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales, Aïn Chock, Université Hassan II de Casablanca.

L’éveil du monstre casablancais

Ce qui, hier encore, relevait du conseil ou de la formalité devient donc aujourd’hui une obligation pure et dure. Il était temps et ce n’est pas un hasard. Car dans un pays où les effondrements, malfaçons et responsabilités mal partagées ont souvent viré au drame ou au scandale, cette réforme est une tentative claire de remettre de l’ordre dans les fondations du secteur.

Pour Rachid Olkome, il n’y a pas de demi-mesure « S’il n’y a pas l’attestation TRC avant le coup de pelle, le chantier est fermé. Pas de papiers, pas de chantier. Et après, si je ne fournis pas la RCD pour obtenir le permis d’habiter, je ne livre pas ». Le message est limpide. Le flou qui régnait est terminé. Et avec lui, celle des constructions à risque. Le Maroc bétonne son cadre réglementaire et là, ce n’est pas que pour décorer les façades.

Le secteur mis au pas

La TRC, obligation de l’instant chantier, couvre tout ce qui peut tourner au cauchemar avant même que le toit ne soit posé, comme un incendie, un vol, une grue qui s’effondre, un mur mitoyen qui cède… On y trouve deux principaux volets, à savoir les dommages aux matériaux et à l’ouvrage et la responsabilité civile pour les dégâts causés aux tiers pendant le chantier. Les textes parus au Bulletin fixent un plafond minimal à la hauteur du coût des travaux ou à 500 millions de dirhams, assorti d’un plafond global de 1 milliard si plusieurs ouvrages sont couverts simultanément. On limite les franchises à 7% des dommages ou à 20.000 dirhams selon le cas, sans jamais obliger la victime à absorber ces frais.

La RCD prend le relais après la réception et court pendant dix ans. Elle prend en charge les défauts graves qui compromettent la solidité de l’ouvrage comme les infiltrations structurelles, effondrements, vice de sol, conception déficiente. Les professionnels, architectes, ingénieurs, entrepreneurs, sont désormais individuellement responsables. « L’assureur protège tout l’écosystème des intervenants, dans les limites de responsabilité de chacun. Le maître d’ouvrage assure le chantier, l’architecte a sa propre couverture, l’entreprise aussi », explique largement le communiqué officiel de l’ACAPS. Sans attestation RCD, point de permis d’habiter, point de livraison possible. Le contrat impose un plancher de garantie équivalent au coût des travaux ou 500 millions de dirhams, plafonné à 1 milliard en cas de couverture multiple, avec des franchises variables selon le montant du projet (50.000 dirhams pour les petits, 100.000 dirhams au-delà de 500 millions de dirhams, toujours dans le respect d’un plafond de 7% maximum).

Ce dispositif, loin d’être purement théorique, a un impact financier clair. Pour un chantier estimé à 50 millions de dirhams, la TRC revient entre 0,1 et 0,2% du montant, la RCD entre 0,3 et 0,5%. Soit un total d’environ 200.000 à 350.000 dirhams répartis sur dix ans. « Cette réforme vise à sauvegarder les intérêts des citoyens et des acheteurs. On ne peut plus livrer un bâtiment sans s’engager sur sa fiabilité pendant dix ans » détaille Olkome. Ce n’est pas une charge insurmontable, certains parlent même d’un coût « raisonnable » par rapport au risque.

Ce n’est pas cher, vu ce que ça protège.

Rachid Olkome

« On prend le bordereau du maître d’ouvrage, on évalue sur les gros œuvres et on applique un tarif qui reste très raisonnable au vu de ce que ça couvre ».

Un tel calcul devient payant si l’on considère les conséquences potentielles d’un sinistre important sur les coûts de reconstruction, les poursuites judiciaires, les litiges vis-à-vis des acquéreurs.

Derrière ce nouveau cadre, les banques se positionnent en vigies. Un dossier de financement sans TRC valide est simplement rejeté. De même, sans RCD, impossible de garantir la liquidation du prêt via le bien livré. Un projet conforme est désormais plus crédible. Certaines institutions de crédit proposent même des conditions légèrement plus avantageuses aux dossiers bien assurés, affichant une logique simple : moins de risques, plus d’attractivité.

Les courtiers en assurance, entendu les critiques, ont réagi en proposant des packs combinant TRC et RCD, avec des franchises ajustées et des formules adaptées aux profils de chantier, livraison rapide, budget limité, usage mixte. Là encore, pas de place pour l’improvisation, mais l’offre s’est structurée. Les exigences réglementaires ont fonctionné comme un catalyseur, car elles obligent à structurer, budgétiser, normer les dossiers.

Le maillon faible là, c’est l’ancien chantier né avant le 30 décembre. Pour eux aussi, la RCD rétroactive devient un besoin urgent. Faute de certificateur, d’attestation, on bloque les permis d’habiter, on suspend les certifications, on déclenche les amendes de 6 dirhams/m² jusqu’à 100.000 dirhams selon la situation. Pas de passe-droit, même pas pour ceux qui pensent être « hors délai ». Le changement est total. Les chantiers vieux comme le monde doivent se mettre à jour. L’ombre du refus de permis plane désormais sur chaque dossier incomplet.

On ne badine plus avec l’assurance

Selon la taille ou la gravité de l’infraction. L’administration transmet un procès-verbal au procureur du Roi, la machine est huilée. Cette chasse aux non-conformités ne cible pas que le chantier du jour. Un projet engendré avant le 30 décembre 2024, mais dépourvu de RCD, est désormais lui aussi sous surveillance.

Logiquement, certains pourraient objecter en arguant que cela ralentit le secteur, que ça impose de nouveaux coûts… Mais la réponse vient du secteur même vu que les assureurs sont désormais contraints de couvrir les opérateurs. Si une compagnie refuse un dossier conforme, elle peut se voir assigner un taux obligatoire par la direction des assurances du ministère des Finances à travers un bureau central de tarification (qui sera opérationnel selon les textes). Donc, logiquement, impossible de se retrouver sans couverture faute d’assureur. L’obligation devient systématique, contestable uniquement juridiquement, mais plus évitable.

Donc les effets de cette transformation ne se mesurent pas qu’en termes de sanctions, mais en termes de structuration. Les chantiers se budgétisent sur cette base. Les projets sont calibrés dès le plan de financement en incluant les coûts TRC/RCD. Il n’y a plus de marge de manœuvre pour les omissions « volontaires » ou les négociations à l’amiable sur les délais. L’ordonnance est claire.

Ce que les pouvoirs publics, via l’ACAPS et la FMA, ont voulu, c’est un secteur où le chantier ne commence plus dans l’incertitude, mais dans la rigueur. Un chantier qui finit ne le fait pas dans le doute, mais dans la certification. Et si vous croyez encore que l’on peut improviser sans assurance, sachez que l’on vous attend avec une amende, un refus de permis, un blocage de dossier.

L’effet sécurité

Du côté des prix, l’influence est tangible vu que les promoteurs alignent désormais leurs offres sur un marché à deux vitesses, entre les programmes « bricolés » (qu’on ne finance plus) et les programmes totalement assurés. Le second segment permet des marges plus confortables, car l’acheteur paye pour une tranquillité assumée. Parfois jusqu’à 200 à 400 dirhams supplémentaires par mètre carré pour un bien couvert dix ans contre vices graves. Sur un logement de 100 m², cela fait 20.000 à 40.000 dirhams de plus, une somme visible dans le résultat global de la transaction, assumée comme une valeur ajoutée, pas comme un coût supplémentaire.

Le consommateur peut désormais dormir sur ses deux oreilles et les arguments de vente ne sont plus les mêmes. Nul besoin de vendre une vue sur mer, mais de parier sur une bonne assurance.

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