Aux origines de l’Islam marocain
Sous les voûtes paisibles de Dar El Hadith El Hassania, à Rabat, les murs ont résonné de réflexions sur un passé lointain, mais ô combien actuel. Le temps d’une journée d’étude, chercheurs, enseignants et responsables institutionnels ont convoqué les mémoires oubliées des premiers siècles de l’Islam au Maroc. Un moment de dialogue entre foi, savoir et Histoire, orchestré autour d’un thème ambitieux : Les débuts de l’Islam à Al Maghrib Al Aqsa : contexte historique, spécificités et ramifications.
Pour Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des Affaires islamiques, l’Histoire n’est pas une simple chronique du passé. Elle s’impose comme une science à part entière de la charia, au même titre que le fiqh ou le hadith. Une science indispensable, dit-il, pour saisir les strates profondes de la foi, comprendre l’Islam non pas comme une abstraction venue d’ailleurs, mais comme un phénomène ancré, incarné dans le temps et dans l’espace marocain.
Loin des raccourcis ou des récits simplifiés, Toufiq plaide pour une lecture critique, contextuelle et enracinée de l’Histoire islamique au Maroc. Une histoire à réhabiliter, car trop longtemps négligée, notamment dans sa période préislamique.
L’Islam marocain
À rebours des idées reçues sur des conquêtes brutales, l’arrivée de l’Islam à Al Maghrib Al Aqsa s’est souvent opérée, selon les intervenants, dans un esprit d’ouverture et de paix. Les premiers contacts entre prédicateurs musulmans et populations amazighes auraient été marqués par l’échange, la curiosité mutuelle et une certaine hospitalité intellectuelle.
Cette rencontre originale entre deux mondes, chacun porteur d’une mémoire et d’une langue, aurait permis l’émergence d’un Islam proprement marocain, nourri des spécificités culturelles locales. Ce processus lent, fait d’appropriations, de tensions parfois, mais aussi de synthèses heureuses, a permis à la religion musulmane de s’enraciner dans les sols marocains sans jamais effacer totalement les héritages antérieurs.
La relation avec le pouvoir central omeyyade, alors basé en Orient, fut, elle aussi, une page décisive. Loin d’être de simples exécutants, les Musulmans du Maghreb occidental ont rapidement exprimé leur volonté d’autonomie religieuse et politique. Une forme de rupture assumée, motivée par le désir d’incarner une pratique de l’Islam plus équitable, plus proche du vécu local.
Ce refus de la domination orientale ne fut pas une rébellion stérile, mais l’amorce d’une construction : celle d’un Islam marocain, façonné par des dynasties locales, porté par des savants enracinés, et fondé sur un équilibre subtil entre tradition et innovation. Un modèle dont l’ossature reste encore aujourd’hui visible dans le rite sunnite malikite, qui perdure comme référent au cœur du paysage religieux marocain.
Mais reconstituer cette Histoire reste une entreprise complexe. Le directeur de Dar El Hadith El Hassania, Abdelhamid Achaq, évoque les nombreuses problématiques posées aux historiens. Les sources manquent, les archives sont rares et les témoignages se perdent dans le brouillard des siècles. Cette rareté alimente les spéculations, mais aussi les efforts passionnés des chercheurs.
C’est justement pour combler ces lacunes que cette journée d’étude a été pensée comme un commencement dans un projet plus vaste de recherche. Il s’agit là d’offrir une compréhension plus fine des mutations religieuses, sociales et culturelles qui ont accompagné les premiers siècles de l’Islam dans la région. Et, à travers cette quête scientifique, mieux comprendre qui nous sommes aujourd’hui.
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Pour Ahmed Al Khateb, professeur à l’institution, l’Histoire ne doit pas être enseignée en vase clos. Elle doit s’articuler aux autres sciences, religieuses comme sociales, et dialoguer avec les langues et les disciplines du monde contemporain. Car former des esprits enracinés dans leur histoire ne signifie pas les enfermer. Bien au contraire, c’est leur donner les clefs pour comprendre le monde, avec lucidité et ouverture.
Cette journée n’a pas livré de certitudes définitives. Mais elle a ouvert des pistes.