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Suicide : le fléau silencieux

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Deux nouveaux suicides dans la province de Chefchaouen. Ces derniers jours, un quadragénaire, divorcé et père de cinq enfants et une adolescente de 17 ans ont mis un terme à leur existence. Le suicide, un sujet qu’on aborde difficilement dans notre société. Un tabou parmi tant d’autres, alors qu’il est primordial d’en discuter et de communiquer ne serait-ce qu’au sein de la famille nucléaire pour éviter que les membres les plus faibles psychologiquement ne commettent l’irréparable. Au Maroc, même si l’évolution des cas est importante, le suicide n’atteint pas des proportions alarmantes. Les tentatives, elles, sont beaucoup plus nombreuses. Et parce que chaque vie compte, il nous faut cerner les raisons des actes suicidaires.

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Toutes les 40 secondes, une personne met fin à ses jours dans le monde. Plus de 800.000 personnes meurent chaque année en se suicidant et le nombre des tentatives est encore beaucoup plus élevé. Le suicide est la troisième cause de mortalité chez les 15-19 ans. 79% des suicides surviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Ce constat est celui de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon cet organisme onusien, le suicide est un grave problème de santé publique. Selon la Banque mondiale, la Lituanie domine le triste classement des pays enregistrant le piretaux de mortalité par suicide pour 100.000 habitants. Avec 31,9 suicides pour 100.000 habitants, elleest suivie parla Russie, dont le taux s’élève à31. Pour ce qui est de nos voisins, ce taux est de8,7 en Espagne, 4,4 en Mauritanie et 3,2 en Algérie. Chez nous, ce taux est inférieur puisqu’il se situe à 2,9. Ceci étant, la situation est très sensible et risque d’évoluer dans le mauvais sens à vitesse grand V.

Statistiques suicides pays

Au mois d’avril 2020, en moins de 24 heures, quatre de nos concitoyens se sont donnés la mort dans différentes régions du Maroc. Une mère au foyer a été retrouvée pendue à un arbre dans la périphérie de Chefchaouen. À Tanger, un ex-détenu qui venait de bénéficier d’une grâce après quatre annéess’est jeté du toit de sa maison. Le défunt était âgé de 28 ans. Dans les environs d’Inezeguane Aït Melloul, un père de famille dans laquarantaine a quitté ce bas monde en se pendant dans sa chambre. Il était dépressif après avoir été amputée d’une jambe à cause du diabète. À Chtouka Aït Baha, la crise financière engendrée par la pandémie de la Covid-19 a poussé un quinquagénaire, père de quatre enfants, à mettre fin à ses jours en se pendant à un arbre. On se souvient aussi qu’en plein confinement, quatre cas de suicide ont été enregistrés parmi les loueurs de véhicules, dont deux à Casablanca, les deux autres à Marrakech et Agadir, devant des dettes qui s’accumulaient et n’ayant pas trouvé de quoi nourrir leurs familles, ils ont commis l’irréparable.

Des raisons multiples

«Les causes peuvent varier, mais la mort est la même», disait le poète arabe Ibn Nabata Assaâdi. Sauf que pour un cas de suicide, la faucheuse n’avait pas le nom de la victime sur sa liste. C’est l’invitée surprise d’une véritable tragédie, laissant derrière elle souffrance et désolation. L’isolement social accru, le déclin économique et les problèmes de santé mentale et de consommation de produits illicites sontautant de facteurs qui sont susceptibles d’exacerber les « décès de désespoir », y compris le suicide. Dans une société moins accueillante et moins inclusive, certains de nos concitoyens souffrent en silence surtout parmi la catégorie des jeunes.

Certains comportements peuvent pousser une personne à se suicider. Même si le Code pénal réprime l’incitation au suicide par un à cinq ans de prison (cf. encadré), il n’en demeure pas moins que notre société est très peu à même de permettre aux personnes en détresse psychologique de retrouver la joie de vivre.

1.014 personnes se sont données la mort en 2016. Comme partout dans le monde, la majorité des cas de suicide au Maroc concernent des personnes jeunes. Le suicide est la 2e cause de décès, après les accidents de la route, chez les jeunes âgés de 15 à 29 ans.

La délicate phase de l’adolescence

L’adolescence est une phase de changements importants, accompagnée de nouvelles expériences, mais aussi de nouvelles responsabilités. La pression des études et la découverte d’un nouveau corps provoquent des problématiques qui sont difficilesà négocier pour les adolescents.

Ces derniers sont plus vulnérables quand ils sont atteints de troubles mentaux (dépression, bipolarité, schizophrénie) ou qu’ils vivent mal une situation en raison d’un stress extrême, une maladie grave ou le décès d’un proche. Les tentatives de suicide du côté des jeunes filles sont plus motivées par une grossesse non désirée ou un viol. On se souvient de l’affaire d’Amina Filali et qui avait poussé le législateur à amender l’article 475 du Code pénal. Tous les spécialistes s’accordent à dire que chez les jeunes, le taux de récidive est important : une personne sur quatre fera une seconde tentative de suicide. Autre remarque importante: les tentatives ont souvent lieu l’après-midi ou le soir, et à domicile. L’univers cybernétique peut aussi avoir une mauvaise influence sur les adolescents, mais cela reste marginal. Le Blue Whale Challenge, « jeu »suicidairené sur un réseau social russe, consiste à relever cinquante défis des plus sordides, a entraîné l’hospitalisation de plusieurs adolescents marocains.

Des signes avant-coureurs

Un suicide est rarement une décision instantanée et habituellement, une personne montre de nombreux signes avant-coureurs. D’après l’OMS, un adolescent qui s’isole, qui commence à se renfermer, à perdre du plaisir même dans ce qui lui plaît habituellement, ce sont des signes qui doivent alerter les parents. Il y a aussi la diminution ou l’augmentation de l’appétit, l’automutilation, la consommation accrue d’alcool ou de stupéfiants, le fait de parler de la mort ou de vouloir mourir. “Rien n’a plus d’importance”, “Tu vivras mieux sans moi”, “Je ne peux plus continuer”, ou même “Je pense à mettre fin à tout ça” sont des exemples de remarques verbales qui doivent toujours être prises au sérieux. Enfin, des signaux qui ne trompent pas, à savoir l’imprudence chez quelqu’un qui est généralement prudent, le fait que la personne donnedes objets précieux à des amis et à des membres de la famille, la rédaction d’un testament ou la souscription d’une assurance sont des signes qui ne trompent pas.

L’effet Covid-19

La pandémie de la Covid-19 n’a fait qu’empirer les choses, avec des exemples tragiques évoqués précédemment. Selon l’association « Sourire de Reda », sa helpline Stop Silence a enregistré78% d’appel en plus entre janvier et juin 2020, par rapport à la même période de l’année 2019, avec un pic de 92% entre mars et juin, qui correspond à la période du confinement au Maroc. Cela veut dire que le confinement a eu raison d’un grand nombre de jeunes sur le plan émotionnel. «Les « chats » de la helpline ont permis de relever un mal-être dû notamment à un manque d’intimité et au confinement avec des personnes maltraitantes, à un manque de visibilité sur l’avenir, à l’arrêt brusque de suivi psychologique ou de traitement médicamenteux, à un manque d’activités exutoires sportives ou artistiques se déroulant en extérieur, au décès d’un membre de la famille avec impossibilité de respecter les rituels de deuil, mais aussi à une recrudescence des situations de cyberharcèlement avec l’augmentation du temps passé par les jeunes sur le web», peut-on lire sur le dossier de la presse de l’association.

Le mystère de Chefchaouen

La province de Chefchaouen demeure la plus touchée par le suicide. Deux cas de suicide ont été enregistrés il y a quelques jours. Et en septembre dernier, trois personnes ont mis fin à leurs jours en moins d’une semaine sans raison apparente: un quadragénaire, un élève de première année du baccalauréat et une jeune femme de 25 ans. La Perle bleue est pourtant le chef-lieu d’une province où il fait bon vivre. Petite ville jonchée au creux des montages du Rif, Chefchaouen accueille des milliers de touristes nationaux et étrangers, venus chercher le dépaysement et la quiétude dans ce havre de paix. Selon un psychanalyste interrogé sur la vingtaine de suicides enregistrés en 2019 à Chefchaouen, c’est justement la géographie qui serait la cause de cette tendance suicidaire. Il explique dans ce sens que la montagne a un lien direct avec le nombre croissant de suicides, observé ces deux dernières années à Chefchaouen. Une situation appelée « stress biologique neuronal ». Le manque d’oxygène dans les hauteurs chez des personnes déprimées ou prédisposées à déprimer entraîne une hypoxie (relative) qui provoquerait un stress neuronal, diminuant alors la capacité de résistance aux pulsions suicidaires. Mais il n’y a pas que ça. La pauvreté et le manque d’infrastructures et d’activités de loisirs sont aussi des facteurs à prendre en considération. Sans oublier la dépendance au cannabis qui peut favoriser le passage à l’acte suicidaire suite à une forte consommation ou à un manque accru.

L’Islam interdit le suicide

Allah dit dans Son Saint Coran : «Et ne vous tuez pas vous-mêmes. Allah, en vérité, est Miséricordieux envers vous. Et quiconque commet cela, par excès et par iniquité, Nous le jetterons au Feu, voilà qui est facile pour Allah.» (Sourate Annissaa, versets 29-30).

Un hadith du prophète (p.s.l.) donne des exemples du châtiment qui attend toute personne qui s’ôte la vie: «Quiconque se précipite du haut d’une montagne et se tue sera jeté dans la Géhenne (enfer) où il ne cessera de dégringoler éternellement. Quiconque se tue à l’aide d’un poison gardera ce poison éternellement en enfer. Quiconque se tue à l’aide d’une lame, celle-ci restera dans sa main et plongée dans son ventre en enfer où il restera éternellement.» (Rapporté par Al-Boukhari).

La foi. C’est selon les sociologues un élément majeur expliquant la limitation des cas de suicide dans certains pays. En terre musulmane, quelles que soient les pressions psychologiques, quelle que soit la gravité des problèmes auxquels le croyant est confronté, il ne peut pas se résoudre à commettre le péché capital pour échapper aux douleurs de ce bas monde. Et pourtant, les idées suicidaires continuent à hanter les esprits. On se rappelle de ce communiqué adressé le 26 février 2019 aux parlementaires, membres du gouvernement ainsi qu’aux médias et dans lequel la coordination des diplômés chômeurs malvoyants et non voyants a annoncé sa volonté de procéder à un suicide collectif comme dernier recours devant la passivité du gouvernement. C’est dire que face à un horizon sombre, on ne pense qu’à partir sans se retourner.

«Ana M3ak»

Au Maroc, le 5 février de chaque année, c’est la Journée nationale de prévention du suicide des jeunes. C’est aussi le rendez-vous de la campagne annuelle de sensibilisation dans les médias menée par l’association « Sourire de Reda ». Avec l’aide de stars, la campagne «Ana M3ak» (je suis avec toi) est un hymne à la vie. Un message d’espoir et de solidarité avec ceux qui ont besoin de réconfort et de savoir qu’ils ne sont pas seuls.

L’association invite tous les citoyens à être solidaires pour prévenir le suicide, à tendre la main à l’autre et à resserrer notre filet social. Depuis plus de dix ans, cette ONG vient en aide aux jeunes en souffrance et essaie de prévenir le suicide. Dans ce sens, elle a lancé un service de ‘ch@técoute’ anonyme, confidentiel et gratuit « Stop Silence », elle intervient sur le terrain, notamment en milieu scolaire pour prévenir l’isolement et elle sensibilisela société à la réalité de la souffrance silencieuse des jeunes.

Infographie 2

Le ministère de la Santé a lancé il y a plus de deux ans, une stratégie nationale de prévention du suicide. Cette stratégie dont les travaux de la deuxième phase doivent démarrer incessamment sous peu, fait l’objet de discussions et de consultations avec la société civile. Mais le temps presse, et au-delà de la sensibilisation par rapport à ce fléau, il faut agir et vite à travers des actions préventives en contrôlant et réglementant notamment la distribution de certains produits nocifs et dangereux.

Article 407 du Code pénal Quiconque sciemment aide une personne dans les faits qui préparent ou facilitent son suicide, ou fournit les armes, poison ou instruments destinés au suicide, sachant qu’ils doivent y servir, est puni, si le suicide est réalisé, de l’emprisonnement d’un à cinq ans.

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