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M20F : le printemps marocain ?

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Fin janvier 2011. Les rédactions des médias nationaux s’activent pour traiter ce qui se passe dans le Monde arabe avec un regard marocain. La révolution du Jasmin en Tunisie a déclenché une vague de contestations sans précédent dans les différents pays de la région. Les peuples égyptien, libyen et algérien manifestent quotidiennement. Jusque-là, les Marocains n’ont pas suivi le mouvement, ils observent… Le 27 janvier, un appel à manifester le 27 février n’est pas pris au sérieux, cette date coïncidant avec celle de l’auto-proclamation d’une «république» par les séparatistes. Une erreur de jeunesse que certains confrères ne pardonneront pas, allant jusqu’à accuser ceux qui ont lancé cet appel sur Facebook d’être des agents du Polisario. Le 30 janvier, le tir est rectifié et la date de la manifestation est avancée au 20 février 2011. Le Mouvement du 20 février est né, la presse francophone adoptera à partir de ce jour l’acronyme « M20F ».

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L’appel lancé sur le réseau social Facebook attisera la curiosité des Marocains. Quelques jours avant la date annoncée du 20 février, une vidéo postée suscite l’attention. De jeunes citoyens s’expriment devant la caméra en arabe et en amazigh et formulentleurs vœux pour «le changement et la dignité». Ils expliquent également pourquoi ils descendront dans la rue le 20 février. «Nous voulons une Constitution démocratique, la fin de l’impunité des responsables qui commettent des abus de pouvoir et qui profitent des richesses de ce pays. Nous voulons un gouvernement qui sert nos intérêts et un Parlement qui nous représente», affirment les membres du M20F balayant au passage les rumeurs d’annulation des manifestations pacifiques du 20 février. Les auteurs de la vidéo sont formels: «aucune organisation politique ne se cache derrière nous, notre unique souci c’est le changement et les revendications du peuple marocain». À la fin de cettevidéo d’1 minute et43 secondes, ils assurent n’avoir «plus peur des coups de matraque et des arrestations illégales».

Les premières réactions

«Les ondes qui venaient de Tunisie et d’Égypte ont favorisé l’émergence d’une envie de créer le changement et de renouveler le système politique. La réaction populaire était positive. Les gens étaient soit encourageants, soit neutres, soit sceptiques, mais personne n’a diabolisé le mouvement», se souvient Aimane Cherragui, expert jeunesse et société civile et analyste politique. De l’autre côté de la Méditerranée, le journaliste et politologue Mustapha Tossa suit de près ce qui se passe dans son pays d’origine. «Vu de Paris, ce mouvement du 20 février se voulait d’incarnation marocaine et l’écho des frustrations économiques et politiques d’une jeunesse marocaine qui aspireau changement et à la libération des énergies», affirme Mustapha Tossa.

L’appel à manifester est appuyé par des ONG et des journalistes indépendants, mais les grands partis politiques, dont l’Istiqlal (du Premier ministre Abbas El Fassi), se prononcent contre. Sur la page Facebook du ministre de la Jeunesse et des Sports, le message est tranchant : «Mobilisons-nous pour que nos ennemis (sic) ne créent pas la zizanie dans notre cher pays !».

Un mouvement sans leader

Rachid Antid, Amina Boughalbi, Younes Derraz, Ghizlaine Benaamar, Nizar Bennamate, Ouidade Milhaf, Najib Chaouki, Halima Lakhdim, Rachid Belghiti ou encore Hamza Mahfoud. Le M20F compte une longue liste de membres, mais aucun «zaïm» (leader) à sa tête. «L’une des forces du mouvement du 20 février, c’est cet aspect d’anonymat. L’atomicité et la diversité des profils et des courants politiques qui y adhéraient étaient l’une des forces du mouvement», explique Aimane Cherragui. Le mouvement bénéficie du franc soutien de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), du Parti socialiste unifié (PSU), du Congrès national ittihadi (CNI), du Parti de l’avant-garde démocratique et socialiste (PADS) et d’Annahj addimocrati (la voie démocratique). Des hommes d’affaires, des universitaires et des acteurs culturels apporteront également leur appui au M20F. Le mouvement restera ouvert à toutes les fanges de la sociétépour mobiliser le plus de monde possible.

Le jour J

Début de journée agité à Casablanca pour un dimanche. Dès le petit matin, les journalistes sont sur le pied de guerre pour couvrir les manifestations. Y aura-t-il un nombre important de participants? Quels seront les slogans scandés? Comment vont réagir les autorités? Autant de questions qui taraudent les esprits en cette journée hivernale. Les manifestants commencent à affluer sur la Place Mohammed V (place des pigeons, NDLR) sous une pluie fine vers 9heures. À la mi-journée, c’est l’euphorie. Ils sont des milliers demanifestants àmarcher et à arborerdes banderoles et pancartes réclamant la lutte contre la corruption, l’opportunisme et la prévarication, le refus du cumul de la richesse et du pouvoir, l’indépendance de la justice, le respect des droits de l’Homme et le départ de hautes personnalités du sérail.Même photographie à Bab El Had àRabat et dans les autres villes du Royaume. À Tanger, la place historique est rebaptisée « Sahat attaghyir » (place du changement), la référence égyptienne est évidente.

Si la plupart des manifestations réclamant des réformes sociales et politiques au Maroc se sont déroulées pacifiquement, quelques incidents ont éclaté à Marrakech, Larache, Tétouan et Al Hoceima après la fin des marches. Selon les autorités, le bilan des troubles qui ont suivi les manifestations s’établit à cinq morts. Cinq corps calcinés ont été découverts dans une agence bancaire qui a brûlé lors de troubles ayant suivi les manifestations. Au total, les autorités déplorent 128 blessés, dont 115 dans les rangs des forces de l’ordre. 33 édifices publics, 24 agences bancaires, 50 commerces et édifices privés et 66 véhiculesincendiés ou endommagés.

Le lendemain, la première réaction officielle après les manifestations tombe par la voix du ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement. Le Maroc entend passer à la «vitesse supérieure» dans les réformes, soutient Khalid Naciri. «Le Maroc apparaît comme une démocratie qui est en train de mûrir (…) Au moment où les manifestants sont accueillis dans les autres pays arabes avec de la violence, au Maroc ils sont accueillis par la sérénité institutionnelle et politique», a ajouté le ministre, en assurant que le message des manifestants «avait été saisi».

Le discours du règne

Mercredi 9 mars 2011. À 10 heures du matin, un communiqué du ministère de la Maison royale, du Protocole et de la Chancellerie prend tout le monde de court. Il annonce que le roi Mohammed VI adressera le soir un discours à la Nation. Difficile de ne pas faire le lien avec les manifestations du M20F. Que va annoncer le Roi? À 20 heures, le Maroc tout entier est à l’écoute du Souverain qui entame son discours en s’arrêtant sur le chantier de la régionalisation avancée. Au fil des minutes, le chef de l’État aborde la réforme institutionnelle globale et décline les grandes lignes d’une réforme constitutionnelle, la première de son règne. Une commission ad hoc pour la révision de la Constitution sera créée et présidée par le juriste Abdeltif Mennouni.

Menouni

La commission devra être à l’écoute des partis politiques, syndicats, organisations de jeunes et acteurs associatifs, culturels et scientifiques. Le soir même, les quotidiens nationaux ayant retardé leur bouclage pour l’occasion consacrent leurs Unes du jeudi au discours royal. Le journal économique Les Inspirations Éco osera même un «Merci Majesté!».

La mobilisation se poursuit

Chaque dimanche, le M20F rassemble des manifestants dans toutes les grandes villes pour réclamer des réformes politiques, sociales et économiques.Les rassemblements sont pacifiques et civilisés, sous une présence policière discrète. Suite au discours du Roi, les manifestations du 20 mars et du 24 avril 2011 ont été les plus importantes. Elles ont réussi à mobiliser selon les organisateurs, plus de 300.000 participants répartis dans plus de 80 lieux situés dans les différentes régions du Royaume. Dans la métropole casablancaise, près de 4.500 acteurs de la société civile et des militants politiques et des droits de l’Homme ont répondu à l’appel du M20F lors de la marche du 24 avril. Partie de la Place de la Victoire à Derb Omar, la marche a emprunté les boulevards Driss Lahrizi et Hassan II pour arriver à la place « Nevada » près de la Wilaya. Les manifestants insistent sur la nécessité de doter le pays d’une loi suprême devant consacrer l’État des institutions et garantissant une réelle séparation des pouvoirs.

Mais à partir de cette date, la mobilisation des manifestants se réduira progressivement. Le M20F connaîtra aussi quelques dissensions internes. Certains rejettent l’invitation de la commission Mennouni alors que d’autres souhaitent prendre part à la réunion de concertation. Le mouvement qui était jusque-là soutenu principalement par l’AMDH et le PSU voit ses rangs grossir avec la mobilisation en force des membres d’Al Adl Wal Ihssane (justice et bienfaisance), donnantle sentiment à de nombreux militants du M20F d’avoir été dépossédés de leur mouvement qui voit arriver sur le terrain un curieux rival. « Le mouvement des jeunes du 9 mars » essaie de perturber les actions du M20F, en vain…

Entretemps, la commission Mennouni rendsa copie. La nouvelle loi suprême accorde plus de prérogatives au Chef de l’exécutif, reconnaît la langue amazighe comme idiome officiel au côté de langue arabe et institue des instances de concertation et de bonne gouvernance en plus d’un bloc d’une vingtaine d’articles dans le préambule sur les droits et libertés. Après le discours royal du 17 juin annonçant la tenue d’un référendum sur la nouvelle Constitution, les forces de l’ordre seront plus répressives contre les manifestants du M20F qui appellent au boycott du référendum constitutionnel, estimant que les réformes annoncées sont insuffisantes. À l’opposé, les principales formations politiques saluent les avancées réalisées. À l’étranger, nombre de dirigeants et d’institutions se félicitent de la réforme constitutionnelle proposée.

L’après 1er juillet

Les Marocains votent à une écrasante majorité pour le « oui » au référendum sur le projet de révision constitutionnelle le 1er juillet, avec un peu plus de 98% des voix et un taux de participation de près de 73%.

La loi suprême sera promulguée le 29 juillet, la veille de la fête du Trône. Des élections anticipées sont annoncées dans la foulée. Le Premier ministre Abbas El Fassi devient Chef du gouvernement en vertu de la nouvelle Constitution. Il devra rester aux affaires jusqu’à la tenue des législatives anticipées le 25 novembre 2011. Pour les militants du M20F, cet épisode électoral est une « mascarade » à laquelle il ne faut surtout pas prendre part.

boycott

De ces législatives, le Parti de la justice et du développement (PJD) sortira vainqueur en remportant plus du quart des sièges de la Chambre des représentants. Le parti de la lampe accède pour la première fois au pouvoir. Conformément à l’article 47 de la Constitution (cf. encadré), le Roi nomme le secrétaire général du PJD Abdelilah Benkirane, Chef du gouvernement, et lui demande de former son cabinet. À partir de là, le M20F voit ses militants se disperser. La mobilisation n’est plus ce qu’elle était. Le jour du1er anniversaire du mouvement à Casablanca, on pouvait voir quelques manifestants répéter des chants révolutionnaires, nostalgiques des intenses moments vécus en 2011, une parenthèse unique, une sorte de balade champêtre sur le chemin des libertés au Maroc.

chrono

Voir aussi : Chronologie des évènements du 20 février au Maroc(Frise interactive)

Peut-on parler de printemps marocain?

Pour notre confrère Mustapha Tossa, «on peut parler de printemps marocain dans la mesure où le pays a initié une séquence politique dans son histoire à partir des revendications portées par une partie de sa jeunesse. Une nouvelle prise de conscience, de nouvelles pratiques ont été pensées justement pour répondre à ces doléances portées par ces formes de contestation». Cependant, aux yeux d’Aimane Cherragui, analyste politique, «c’était totalement différent de ce qui se passait en Égypte ou en Libye. Ce n’était pas un cri contre le système, mais contre l’injustice et la corruption. Ça rappelle d’ailleurs ce qui s’est passé quelques années après dans le hirak du Rif. L’idée était de créer un changement et de protester contre une réalité et non de modifier un système en profondeur».

Nos deux interlocuteurs sont en phase pour dire que les évènements qui se sont produits au Maroc en 2011 se sont distingués par leur caractère pacifique. Mustapha Tossa souligne aussi «une intelligence de situation originale avec une réponse rapide là où d’autres régimes ont péri à cause de leur rigidité et de leur autisme politique». Aimane Cherragui abonde dans le même sens: «Organisationnellement, il ne reste rien du mouvement du 20 février. Ceci étant, le mouvement continue à vivre dans l’esprit, dans les projets et chantiers. Àchaque fois quej’ouvre la Constitution, je vois le 20 février. De ce fait, le 20 février ne mourrajamais».

C’est tout ce qui reste du M20F ? Installé dans son fauteuil de Chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane dira en 2013 que leMouvement du 20 février va alimenterles différents partis politiques. C’est ce qui se confirmera avec plusieurs militants qui ont rejoint le Parti authenticité et modernité (PAM), l’Union socialiste des forces populaires (USFP) et même le PJD. Mais Abdelilah Benkirane a oublié de dire merci aux vingt-févriéristes. Sans eux, son parti n’aurait sans doute pas accéder au pouvoir.

Il va sans dire que le M20F a contribué à la dynamique du changement au Maroc. La dernière décennie sera marquée par d’autres évènements comme ceux d’Al Hoceima et Jerada ou encore la campagne de boycott des produits de trois entreprises. En dix ans, le Maroc n’est certes pas lemême. Aujourd’hui, une nouvelle génération de réformes est plus qu’urgente pour répondre aux aspirations légitimes des citoyens en termes de justice sociale, de vie digne et de liberté. Cela passe inéluctablement par la nécessaire réhabilitation de la confiance des citoyens dans les institutions publiques.

Article 47 de la Constitution Le Roi nomme le Chef du Gouvernement au sein du parti politique arrivé en tête des élections des membres de la Chambre des représentants, et au vu de leurs résultats. Sur proposition du Chef du Gouvernement, Il nomme les membres du gouvernement. Le Roi peut, à Son initiative, et après consultation du Chef du Gouvernement, mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement. Le Chef du Gouvernement peut demander au Roi de mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement. Le Chef du Gouvernement peut demander au Roi de mettre fin aux fonctions d’un ou de plusieurs membres du gouvernement du fait de leur démission individuelle ou collective. À la suite de la démission du Chef du Gouvernement, le Roi met fin aux fonctions de l’ensemble du gouvernement. Le gouvernement démissionnaire expédie les affaires courantes jusqu’à la constitution du nouveau gouvernement.

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