Pourquoi les frais de scolarité augmentent au Maroc ?

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Pourquoi les frais de scolarité augmentent au Maroc ?Image d'illustration © Depositphotos

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À chaque rentrée scolaire, la question des frais de scolarité dans l’enseignement privé suscite débats et crispations au Maroc. Entre inflation, masse salariale, services annexes et qualité pédagogique, les prix évoluent régulièrement. LeBrief a interrogé un directeur d’un grand groupe scolaire privé pour comprendre ce qui se cache derrière ces augmentations.

La rentrée scolaire, moment attendu par les élèves, reste une période redoutée pour de nombreux parents marocains. Fournitures, inscriptions, cantine, transport : la facture s’alourdit chaque année. Mais c’est surtout le coût de la scolarité privée qui attire l’attention. De Casablanca à Rabat en passant par Marrakech, des familles dénoncent des hausses jugées excessives, parfois incompréhensibles.

Pour éclairer ce débat, LeBrief a contacté un directeur d’un grand groupe scolaire privé au Maroc. Son témoignage, riche en exemples concrets, permet de comprendre les mécanismes qui structurent le secteur et les raisons qui expliquent l’évolution régulière des frais.

Une hausse dictée par l’inflation et la masse salariale

Selon ce directeur, les hausses sont d’abord la conséquence de facteurs économiques. « Le prix des tables, du papier, des consommables… tout augmente, et cela impacte automatiquement le consommateur », affirme-t-il. Mais le cœur du problème reste la masse salariale.

« Il y’a l’augmentation légale de l’ancienneté, qui est un droit du salarié au sein de l’entreprise. Et nous devons aussi ajouter nos propres hausses de salaires pour garder nos enseignants. Sinon, ils partent chez la concurrence », explique-t-il.

Lire aussi : Rentrée scolaire : comment mieux s’organiser et équilibrer sa vie ?

Contrairement aux idées reçues, les grands groupes ne modifient pas leurs tarifs chaque année. « Très peu d’écoles le font. Ce sont surtout les petites structures, qui ajoutent 50 dirhams par an pour que cela passe inaperçu. Les grands groupes augmentent tous les deux ans, et jamais au-delà de 5% ».

Les hausses plus significatives interviennent lors d’un changement de programme. « Si une école bilingue passe en mission ou intègre un programme international, elle change de standing. Forcément, les frais suivent ».

Ainsi, un enseignant de mathématiques en français dans la filière sciences-maths au lycée touche entre 250 et 300 dirhams l’heure, contre 350 à 400 dirhams pour le même cours en anglais.

Des tarifs qui varient selon les cycles scolaires

Les frais diffèrent aussi en fonction des cycles. La maternelle est généralement plus chère, car chaque classe compte deux enseignants. « Forcément, cela coûte plus cher qu’une classe de primaire où il n’y a qu’un seul enseignant », précise le directeur.

Au primaire, les enseignants gagnent entre 6.000 et 10.000 dirhams par mois. Au collège, les salaires démarrent à 10.000 dirhams, ce qui fait mécaniquement grimper les tarifs.

Le lycée représente un cas particulier. « Le tronc commun reste proche du collège, mais pour les deux dernières années, il faut recruter les meilleurs enseignants. Ils demandent les prix qu’ils veulent. J’ai un professeur de mathématiques à El Jadida qui touche 28.000 dirhams par mois pour 16 heures de cours », confie-t-il.

Et d’ajouter une comparaison parlante : « Les deux dernières années de lycée, c’est comme viser le championnat. Vous alignez vos meilleurs joueurs pour décrocher la victoire, c’est-à-dire la réussite au bac ».

Cantine scolaire : le prix de la santé des enfants

Parents entre incompréhension et pouvoir d’achat fragilisé

La communication sur les hausses reste un sujet sensible. « Vers mars, nous envoyons un règlement financier avec les frais de l’année suivante. Mais nous n’expliquons pas les raisons, car cela ouvre un débat sans fin », reconnaît le directeur.

Les familles, elles, veulent des contreparties visibles. « Un parent dit : si j’accepte de payer plus, il doit y avoir un plus pour mon enfant. Mais ce n’est pas toujours possible ».

Pour lui, la vraie difficulté est le pouvoir d’achat. « Une hausse de 5%, c’est 100 à 150 dirhams. Ce n’est pas énorme, mais pour certains, c’est insurmontable ».

L’exemple qu’il donne est marquant : « Une femme de ménage qui paie 600 dirhams pour l’école de son fils. Si ça passe à 610, tout son équilibre s’effondre. Dix dirhams suffisent à chambouler son mois ».

Le directeur rappelle que d’autres secteurs connaissent des hausses plus fortes. « La viande a pris 50 dirhams le kilo. Si une famille mange 5kg par mois, c’est 250 dirhams de plus. L’école, elle, n’a augmenté que de 50 dirhams ». Mais contrairement au marché de la viande, l’école a un interlocuteur identifiable : le directeur, qui devient la cible des critiques.

Quand le « bas de gamme » rime avec qualité sacrifiée

Là où le directeur se montre le plus tranchant, c’est sur la question des écoles « bas de gamme ». « Une école primaire à moins de 1.500 dirhams par mois, ce n’est pas viable », affirme-t-il sans détour.

Il explique que rien que pour couvrir correctement les salaires de deux enseignants par classe, chaque élève devrait payer plus de 1.000 dirhams par mois. Et cela, avant même de prendre en compte les charges sociales, l’entretien des locaux, les salaires du personnel administratif ou les factures d’électricité.

« En dessous de 1.500 dirhams, l’école est obligée de rogner sur la qualité. Cela veut dire engager des enseignants mal formés, parfois payés 3.500 dirhams. Ce sont souvent des profils qui n’ont pas réussi ailleurs, et que même un centre d’appel n’accepterait pas », insiste-t-il.

Son constat est sans appel : « À ces tarifs, les parents croient offrir une alternative au public, mais en réalité, ils investissent dans un système éducatif de très bas niveau ».

Transport scolaire : la sécurité des enfants à quel prix ?

Cantine et transport : la facture cachée des services annexes

Les frais de scolarité ne sont pas la seule dépense. Transport et cantine, souvent gérés par des prestataires, représentent un coût supplémentaire significatif.

« Si un parent trouve un transporteur moins cher avec les mêmes standards, nous travaillons avec lui. Mais il faut comparer ce qui est comparable », souligne le directeur.

Il donne un exemple concret : « Dans notre école à Lissasfa, le transport coûte 650 dirhams. Dans les écoles autour, c’est 300. Mais nous exigeons que nos bus de 28 places transportent 28 élèves, pas 60 comme le font certains ».

La sécurité est au cœur du problème. « Si un accident survient, c’est l’école qui est pointée du doigt. Mais en réalité, c’est le parent qui a accepté de payer 300 dirhams pour un service risqué. »

Même logique pour la cantine. « Un repas équilibré, varié et chaud, tous les jours de la semaine, ne peut pas coûter 15 dirhams. Il faut payer un cuisinier, des surveillants, et le prestataire doit aussi avoir sa marge. Sinon, c’est la santé de l’enfant qui est compromise ».

Qualité et investissements pédagogiques : ce qui justifie vraiment les hausses

Le directeur distingue deux types de hausses. Les augmentations modérées (5% maximum) servent à couvrir l’inflation et les charges. Les fortes hausses, elles, doivent rester liées à des changements pédagogiques.

Il cite un cas précis : « Nous avions une école bilingue à 2.500 dirhams. En quatre ans, elle est passée à 5.000 dirhams, parce qu’elle est devenue une école mission. Nous avons remplacé la majorité des enseignants marocains payés 8.000 dirhams par des Français, payés 18.000 dirhams ».

À l’inverse, il dénonce les hausses liées aux infrastructures. « Ajouter une piscine ou un amphithéâtre ne doit pas impacter les frais. Le parent peut dire : vous ne nous avez pas consultés. Les augmentations énormes doivent être exclusivement pédagogiques ».

Fournitures scolaires : prix stables pour certains articles, hausse pour d’autres

Privé ou public : une question de choix et de moyens

Enfin, le directeur tranche sur un dilemme fréquent. « Si vous n’avez pas les moyens, inscrivez vos enfants dans le public. Avec l’argent que vous auriez mis dans une école privée bas de gamme, payez plutôt des cours de langues, du sport, de l’art ».

Son avis est net : « Une école privée à 1.000 dirhams, c’est l’équivalent du public, avec juste un peu plus d’encadrement ». Son constat illustre une vérité dure à entendre : la qualité a un coût incompressible. Les sacrifices financiers des parents ne se traduisent pas toujours en bénéfices concrets lorsque le prix est trop bas.

À travers ce témoignage, un constat clair se dessine : les hausses des frais de scolarité ne sont pas arbitraires, elles répondent à des logiques économiques et pédagogiques. Inflation, masse salariale, qualité des enseignants, sécurité des services annexes : chaque facteur contribue à façonner la facture finale.

Mais derrière les chiffres, c’est la question de l’accessibilité qui domine. La classe moyenne, longtemps pilier du privé, peine désormais à suivre. Certaines familles acceptent des sacrifices considérables, d’autres renoncent.

Dans un Maroc où l’école publique peine encore à regagner la confiance de tous, le privé reste attractif. Mais son coût, et les inégalités qu’il accentue, rappellent que l’éducation est devenue un terrain où se joue l’avenir social du pays.

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