ONU : vers une représentation africaine au Conseil de sécurité ?

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Gaza : les Etats-Unis s’opposent à un cessez-le-feuLes membres du Conseil de sécurité de l’ONU, réunis au siège des Nations unies à New York, le 22 décembre 2023. © David Lee Delgado / Reuters

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À la croisée des chemins, l’Afrique cherche à sécuriser une place équitable au Conseil de sécurité de l’ONU. Face aux défis de consensus interne et de complexités juridiques, le continent doit manœuvrer avec habileté pour transformer ses aspirations en réalité concrète.

Près de 80 ans après sa création, l’Organisation des Nations unies fait face à une pression croissante pour réformer son Conseil de sécurité, critiqué pour l’exclusion persistante de l’Afrique comme membre permanent. Cette situation, souvent perçue comme une «discrimination institutionnelle», est devenue insoutenable sur les plans juridique et politique, particulièrement alors que le monde occidental cherche à légitimer son influence dans une géopolitique en pleine mutation.

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L’Afrique réclame sa place

Récemment, des appels influents ont mis en lumière l’urgence de cette réforme. En août 2024, Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, a plaidé pour l’octroi d’un siège permanent à l’Afrique. Une demande soutenue peu après par l’ambassadrice américaine Linda Thomas Greenfield qui a proposé l’attribution de deux sièges permanents à l’Afrique.

Ces propositions coïncident avec le Sommet de l’Avenir, destiné à débattre des réformes de l’ONU, promettant potentiellement une avancée pour la représentation africaine. Les questions demeurent quant à la trajectoire de cette initiative et les stratégies que les pays africains devraient adopter pour maximiser leur influence.

L’enjeu est de taille : il s’agit pour l’Afrique de revendiquer une représentation juste et moderne à l’ONU. Ce qui pourrait non seulement remodeler l’architecture de l’institution, mais aussi influencer l’avenir des relations internationales. Ce sommet représente une occasion pour l’Afrique de marquer un tournant décisif dans l’histoire de la gouvernance mondiale.

La domination historique de l’Occident sur la structure mondiale des pouvoirs présente aujourd’hui ses failles, notamment à l’ONU où l’exclusion de l’Afrique du Conseil de sécurité devient insoutenable. Avec 54 pays et plus d’un milliard de personnes, l’Afrique est marginalisée dans les décisions globales, une «discrimination institutionnelle» qui contredit les principes d’égalité souveraine du droit international.

Ce déséquilibre menace de pousser l’Afrique vers des positions anti-occidentales, exacerbé par des incidents comme la crise en Ukraine. Face à l’émergence de nouveaux acteurs mondiaux, l’Afrique cherche à affirmer son autonomie et à revoir ses interactions avec les puissances traditionnelles.

Une opportunité à saisir

La quête de l’Afrique pour obtenir des sièges permanents au Conseil de sécurité offre une occasion historique de rééquilibrer la représentation mondiale vers plus de justice. Pour réaliser cet objectif, les pays africains doivent naviguer à travers des défis tels que les rivalités internes, les obstacles juridiques et les insuffisances opérationnelles.

Les divergences internes, similaires à celles rencontrées par d’autres régions aspirant à une représentation, doivent être surmontées. Des nations comme l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Maroc et l’Algérie doivent parvenir à un consensus qui permettrait à l’Afrique de présenter un front uni. Cela renforcerait leur position pour obtenir le soutien international nécessaire à cette réforme.

Juridiquement, modifier la Charte de l’ONU est complexe. Elle nécessite soit un vote des deux tiers à l’Assemblée générale incluant les cinq membres permanents avec droit de veto, soit une conférence internationale. Cette méthode est peu probable étant donné la complexité et la rareté historique des réformes de l’ONU. La dernière réforme du Conseil de sécurité remonte à 1963, ce qui souligne la difficulté de telles entreprises.

Sur le plan opérationnel, l’Afrique doit aligner ses capacités administratives et décisionnelles avec les exigences de réactivité et de technicité du Conseil. Les institutions africaines, qu’elles soient continentales ou régionales, doivent être prêtes à fonctionner efficacement dans leur éventuel nouveau rôle.

Pour l’inclusion de l’Afrique, trois scénarios sont envisageables : une représentation collective via l’Union africaine ou les communautés régionales ; une représentation directe des États membres ; ou un modèle hybride combinant les deux approches. Chacun de ces scénarios présente des avantages et des défis, et leur succès dépendra d’une préparation minutieuse et d’une diplomatie efficace.

Lire aussi : Sommet de l’Avenir : le Maroc prône un nouveau multilatéralisme inclusif

Sièges sans veto à l’ONU

La proposition américaine d’octroyer deux sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations unies à l’Afrique, mais sans droit de veto, a soulevé des débats sur l’équité et la souveraineté africaine. Bien que cela puisse paraître comme une limitation, il existe des raisons stratégiques pour lesquelles l’Afrique pourrait voir cela comme une avancée vers une plus grande influence mondiale.

  1. Promotion de la suppression du veto : Accepter des sièges sans droit de veto pourrait symboliser un engagement africain pour une structure onusienne plus démocratique, où les décisions se fondent sur le consensus plutôt que sur le pouvoir de blocage. Cette position pourrait inciter les membres actuels à reconsidérer l’utilisation du veto, alignant l’ONU sur des principes plus égalitaires.
  2. Stratégie d’accumulation progressive : Adopter une approche en deux phases, acceptant d’abord un siège sans droit de veto pour ensuite viser à obtenir ce droit, pourrait s’avérer pragmatique. Historiquement, l’attente d’un consensus complet a exclu l’Afrique de l’influence sur plusieurs décisions ; cette stratégie permettrait une présence progressive au sein du conseil.
  3. Redéfinition du rôle du veto : Il est essentiel de revoir la perception du droit de veto, traditionnellement vu comme un outil offensif, alors qu’il sert plutôt à bloquer des résolutions. Les membres permanents sans veto peuvent influencer les décisions, comme démontré lors des délibérations précédant l’invasion de l’Irak en 2003.

En acceptant ces sièges, l’Afrique pourrait défendre plus efficacement ses intérêts et ceux du Sud global, contribuant à une représentation plus juste et équilibrée dans les affaires mondiales. Cela pourrait également catalyser une réforme plus large des structures internationales, en challengeant les dynamiques de pouvoir traditionnelles et en promouvant une gouvernance mondiale plus inclusive.

Cette proposition, bien qu’imparfaite, offre une opportunité pour un changement dans la gestion des relations internationales et pourrait marquer le début d’une transformation profonde dans la prise de décisions au niveau mondial.

Vers une inclusion historique et nécessaire

Alors que l’Afrique, avec ses 54 pays membres de l’ONU et un rôle important dans les opérations de maintien de la paix, a souvent été reléguée au rang d’objet plutôt qu’acteur dans les délibérations du Conseil de sécurité, il est essentiel qu’elle revendique une place plus importante dans la gouvernance mondiale. Cette inclusion rectifierait une injustice historique et une aberration juridico-politique qui compromettent la crédibilité et l’efficacité de l’ONU.

Pour réaliser cette inclusion, l’Afrique doit exploiter le contexte géopolitique actuel, qui offre une opportunité sans précédent de réclamer des avantages institutionnels mérités. Les nations africaines doivent pousser vigoureusement pour la réforme du Conseil en plaçant leurs enjeux au cœur des priorités internationales.

Il est également essentiel que l’Afrique développe une proposition consensuelle et équilibrée pour sa représentation au Conseil, émergeant de débats entre chefs d’État et de gouvernement pour garantir que la vision soit unifiée et reflète les aspirations continentales.

Enfin, l’établissement d’une charte de bonne conduite assurerait que les représentants africains agissent dans l’intérêt collectif du continent, favorisant ainsi une gouvernance plus transparente et responsable.

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