Médicaments : une réforme des prix qui divise

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Médicaments : une réforme des prix qui diviseDes médicaments © depositphotos

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Une réforme inédite des prix des médicaments est sur le point d’être adoptée. Si elle vise la soutenabilité financière du système de santé, elle suscite la colère d’une partie du secteur officinal. Les détails.

Le ministère de la Santé s’apprête à finaliser une réforme structurelle du système de fixation des prix des médicaments. Cette réforme, présentée comme une rupture totale avec le dispositif en vigueur depuis 2014, introduit de nouvelles logiques économiques et réglementaires. Elle vise à maîtriser l’explosion attendue des dépenses en médicaments dans un contexte de généralisation de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO), mais elle suscite aussi de vives critiques chez certains pharmaciens, inquiets pour l’avenir de leur profession.

Médicaments : une réforme motivée par les limites du système actuel

Avec l’intégration de près de deux tiers des Marocains dans l’AMO, les besoins en soins et en médicaments vont tripler dans les années à venir. Cette nouvelle donne impose un contrôle rigoureux des dépenses de santé. Un diagnostic mené par le ministère a révélé qu’environ 150 à 157 médicaments, soit 4% de l’offre globale, représentent à eux seuls entre 54 et 57% des remboursements effectués par les caisses d’assurance maladie. Ces médicaments, dits «budgétivores», concernent en majorité la quatrième tranche tarifaire, à savoir ceux dont le prix varie entre 2.000 et 130.000 DH la boîte.

Face à cette situation, la réforme s’attaque en priorité à cette catégorie de produits. Plutôt que de négocier frontalement une baisse des prix avec les laboratoires, une option rejetée par ces derniers, soucieux de ne pas affecter les références internationales de leurs tarifs, le ministère a opté pour une stratégie plus souple : celle du double prix.

Lire aussi : Prix des médicaments : vers une accessibilité améliorée ? 

Prix facial et prix négocié : un mécanisme inspiré de l’Europe

Ce nouveau système prévoit l’instauration de deux niveaux de prix pour les médicaments coûteux. Le prix facial correspond au tarif officiel, affiché sur les boîtes et dans les bases de données. Le prix remisé, négocié et non divulgué, quant à lui, sera le tarif réel appliqué grâce à un mécanisme de reversement annuel.

À la fin de chaque exercice, les laboratoires devront reverser à l’État une remise calculée sur le chiffre d’affaires réalisé pour chaque médicament concerné. Ainsi, un médicament vendu à 40.000 DH pourra être considéré, après remise, comme cédé à 20.000 DH. Cette méthode permet à la fois d’éviter un impact sur les référencements internationaux et de garantir une économie substantielle pour l’AMO.

Contacté par nos soins, Abdelmadjid Belaïche, analyste et expert des marchés pharmaceutiques, souligne que ce système, déjà en usage dans plusieurs pays européens, contribuera à soulager le budget de l’assurance maladie tout en assurant la disponibilité des traitements dans les établissements hospitaliers, les CHU et les cliniques. Toutefois, pour les patients isolés, l’efficacité du dispositif dépendra de la mise en place d’un tiers payant leur permettant d’accéder aux médicaments sans avancer de frais, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui.

Une dynamique de substitution et de baisse du reste à charge

Autre innovation majeure : pour la première fois, la possibilité de substitution est officiellement évoquée. Les pharmaciens pourront ainsi proposer des génériques ou des biosimilaires en remplacement des spécialités de marque. Une mesure qui vise à encourager la consommation de médicaments moins chers, renforçant ainsi les économies réalisées par le système de santé.

La réforme vise également à réduire le reste à charge, c’est-à-dire la part que le patient doit payer de sa poche après remboursement. Aujourd’hui encore, ce reste à charge reste élevé, ce qui pousse un grand nombre de Marocains à renoncer à leurs traitements. Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) mentionne d’ailleurs que 60% des citoyens y renoncent faute de moyens, une situation que le gouvernement entend corriger par la réforme.

Colère d’une partie des pharmaciens : un secteur mis à l’écart

Malgré les assurances du ministère, la réforme ne fait pas l’unanimité dans le secteur officinal. Certains pharmaciens expriment leur colère, estimant ne pas avoir été consultés de manière adéquate durant l’élaboration du projet. Une source syndicale évoque un processus mené sans concertation réelle avec l’ensemble des acteurs, dénonçant une réforme qui pourrait, selon elle, fragiliser davantage un secteur déjà en difficulté.

Ces pharmaciens redoutent notamment une baisse généralisée des prix, y compris pour les médicaments à bas coût. Or, ces produits, bien que ne représentant que 5% des remboursements effectués par les caisses, constituent une part essentielle de l’offre thérapeutique quotidienne. Leur retrait du marché, faute de rentabilité, pourrait entraîner des ruptures de stock avec des conséquences lourdes : interruptions de traitement, aggravation de l’état de santé des patients, voire hospitalisations, ce qui risquerait d’alourdir les charges de la CNSS au lieu de les alléger.

La même source syndicale plaide pour une baisse ciblée et intelligente, concentrée sur les médicaments véritablement budgétivores, afin de concilier l’accessibilité pour les patients, la viabilité des caisses de prévoyance et la survie économique des pharmacies d’officine.

Lire aussi : Baisse des prix des médicaments : les pharmaciens menacent de faire grève

Des marges préservées pour les tranches vitales

Abdelmadjid Belaïche tient à nuancer ces critiques. Il rappelle que la première tranche des prix (médicaments à moins de 300 DH) représente 80% du marché privé pharmaceutique et donc des revenus des pharmaciens. Cette tranche ne sera pas concernée par les réductions. La deuxième tranche (entre 300 et 600 DH), qui représente 10% du marché, ne sera touchée que pour une petite partie des produits budgétivores. Ce sont surtout les médicaments les plus chers, vendus rarement en officine, qui verront leurs marges revues à la baisse.

Par ailleurs, Belaïche souligne qu’en facilitant l’accès aux traitements grâce à l’AMO, la réforme pourrait booster la consommation médicamenteuse, générant ainsi un accroissement du chiffre d’affaires global du secteur pharmaceutique, y compris pour les officines. «Ces médicaments auxquels les patients ne peuvent pas accéder aujourd’hui seront demain à leur portée», résume-t-il.

Concernant les médicaments très coûteux, souvent réservés au circuit hospitalier (laboratoire–CHU, laboratoire–clinique), Belaïche estime que leur baisse de prix n’aura aucun impact direct sur les pharmacies.

Enfin, au-delà des médicaments, la réforme pose la question plus large de l’équité dans l’accès aux soins. Belaïche dénonce la non-revalorisation des tarifs de référence pour les actes médicaux depuis 2006. Aujourd’hui, un généraliste est censé être remboursé sur la base de 80 DH par consultation, alors que les tarifs pratiqués tournent autour de 150 à 200 DH. Pour les spécialistes, l’écart est encore plus important.

Ce différentiel, non pris en charge par les caisses, est payé directement par le patient, contribuant à maintenir un niveau de reste à charge élevé. Pour rendre le système plus juste, il devient donc nécessaire de réviser les tarifs de référence, afin que les remboursements reflètent mieux la réalité des coûts.

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