Education : pourquoi les Marocains délaissent les filières littéraires au profit des sciences ?

Mbaye Gueye
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Education : al-Madrassa al-Jadida suffira-t-elle pour relancer l'école marocaine ?Illustration © DR

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Le nombre de candidats dans les filières scientifiques au baccalauréat 2024 démontre une tendance qui dure depuis plusieurs décennies dans le Royaume. Dans la conscience collective marocaine, les filières scientifiques riment avec réussite professionnelle. Ce qui pousse certains parents à demander à leurs enfants d’opter pour les sciences au détriment des branches littéraires. Le professeur d’enseignement supérieur, Khalid Mgharfaoui nous explique tout.

Depuis quelques années, le nombre de candidats dans les filières scientifiques au baccalauréat ne cessent d’augmenter et cette année n’a pas fait exception à la règle. En effet, les élèves optent de plus en plus pour les séries scientifiques dans leur cursus au détriment des branches littéraires. Pour la session 2024, le nombre de candidats au baccalauréat a atteint 493.651 dont 64% dans les filières scientifiques et techniques contre 35% dans les filières littéraires.

Selon le professeur de l’enseignement supérieur, Khalid Mgharfaoui, la tendance à préférer les filières scientifiques n’est pas récente. En réalité, cette préférence existe depuis les années 70 et même avant. Ce choix est motivé par le pragmatisme et le fait que les filières scientifiques ouvrent plus facilement les portes du monde professionnel. Après les années 80, en raison de la crise économique, le marché de l’emploi est devenu très sélectif.

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Avant cette période, il y avait une forte demande dans l’administration et l’enseignement, permettant même aux diplômés des sciences humaines de trouver facilement un emploi. Cependant, avec la réduction des recrutements dans l’administration après les années 80, les filières scientifiques sont devenues les principales voies vers une réussite professionnelle.

Plusieurs décennies après, cette tendance est toujours d’actualité. Pour notre interlocuteur, cela s’explique par le fait que dans les filières scientifiques, «on trouve des écoles d’ingénieurs, des facultés de médecine et de médecine dentaire, qui sont toutes très sélectives, avec des concours d’accès et des places limitées. Cette sélection rigoureuse signifie que seuls les meilleurs élèves, ceux qui ont le potentiel de réussir et d’aller loin, sont admis». En plus, la qualité de l’enseignement dans ces établissements est également «supérieure», ce qui se traduit par la formation de profils très compétitifs sur le marché du travail.

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En revanche, les formations littéraires et en sciences humaines, ou dans les facultés de sciences, souvent à accès libre, recrutent les étudiants qui n’ont pas réussi à intégrer les écoles et universités sélectives. Ces formations accueillent donc habituellement des étudiants ayant des bases académiques plus faibles, ce qui impacte la qualité globale de ces filières. «Très peu de bacheliers se dirigent vers les sciences humaines, la littérature ou les sciences sociales par véritable conviction. Rares sont les cas de ceux qui choisissent pleinement et librement ces formations», a souligné l’expert.

Filières scientifiques ne riment pas toujours avec réussite professionnelle

Ce constat est presque unanime chez les Marocains. Ces derniers n’hésitent pas à mettre la pression sur leurs enfants pour embrasser les branches scientifiques. L’universitaire note que le fait que les parents poussent leurs enfants à opter pour les filières scientifiques peut avoir un impact non seulement sur les filières littéraires, mais également sur l’avenir des enfants eux-mêmes. «Si les parents encouragent leurs enfants à choisir des formations scientifiques, c’est souvent par pragmatisme et par souci de réussite professionnelle, au détriment de l’épanouissement personnel des jeunes dans un domaine qui leur plaît et où ils pourraient véritablement exceller».

Cependant, les filières scientifiques ne riment pas toujours avec une réussite professionnelle. Ils sont nombreux les étudiants inscrits dans des filières scientifiques, en particulier dans des facultés à accès libre, qui échouent parce qu’ils n’ont pas le profil nécessaire pour réussir ou les choix sont souvent imposés par leurs parents, ce qui se traduit par une démotivation.

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Pour améliorer la situation et rendre la politique d’orientation plus efficace, Khalid Mgharfaoui estime qu’il est essentiel que les critères de prédisposition et de motivation de l’apprenant soient prioritaires.  «Si un étudiant a une véritable passion pour les sciences et aspire à devenir ingénieur ou médecin, il est crucial de l’accompagner vers une formation dans ce domaine. De même, si un étudiant est attiré par le droit et souhaite devenir avocat, juge, politicien, ou s’il est passionné par les langues ou la géographie, il faut l’encourager et le soutenir dans cette voie».

Par ailleurs, il milite pour que le monde du travail offre des opportunités variées permettant à des personnes aux qualifications diverses de s’insérer dans tous les domaines. Cela implique de valoriser les formations littéraires, les sciences humaines et sociales, et de développer ces secteurs au sein de la société. Notre interlocuteur invite les gens à dépasser le mythe qui associe le progrès uniquement au développement scientifique, en considérant à tort que le développement littéraire est un indicateur de sous-développement.

«En réalité, aucune société n’a jamais atteint un haut niveau de développement scientifique tout en restant littérairement sous-développée. Les meilleurs films, romans, pièces de théâtre, et œuvres d’art proviennent souvent de pays qui produisent également les meilleurs ingénieurs, économistes, et médecins. Le progrès et l’évolution d’une société sont donc globaux et interdépendants», conclut-il.

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