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Crise climatique : point sur la récente vague de chaleur ayant frappé le Maroc

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Crise climatique : le point sur la récente vague de chaleur qui s'est abattue sur le MarocPhoto illustration © DR

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Depuis une semaine, une soudaine vague de chaleur s’est abattue sur le Maroc, faisant grimper le mercure jusqu’à 13 °C au-dessus de la moyenne pour une fin mai. La sonnette d’alarme est donc tirée : le réchauffement climatique n’est plus une menace lointaine, il est désormais une réalité tangible, mesurable, et surtout vécue. L’année 2024 a été marquée par des bouleversements sans précédent, tant à l’échelle mondiale que locale : records de chaleur planétaire, vagues de chaleur meurtrières, pression croissante sur les systèmes de santé, et populations de plus en plus exposées.

Trois sources d’expertise nous permettent d’éclairer ce phénomène aux multiples facettes : le rapport 2024 de l’Organisation météorologique mondiale (OMM), l’analyse d’Abdellatif Khattabi, expert en environnement et changement climatique, ainsi que les recommandations sanitaires du Dr Tayeb Hamdi. Ensemble, elles dressent un tableau inquiétant, mais essentiel pour comprendre l’urgence climatique et la nécessité d’y répondre de manière coordonnée, scientifique et humaine.

2024, l’année de tous les records climatiques selon l’OMM

Le dernier rapport 2024 de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) est sans équivoque : la terre entre dans une phase critique de son histoire climatique. L’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne de surface dépassant de 1,55 °C celle de la période préindustrielle (1850-1900). Un chiffre inquiétant, car il franchit symboliquement le seuil fixé par l’Accord de Paris, même si une seule année ne suffit pas à valider un dépassement structurel.

La hausse des températures ne vient pas seule. Le rapport signale une accumulation sans précédent de gaz à effet de serre dans l’atmosphère : le CO₂ a atteint 420 ppm en 2023, soit 151% du niveau préindustriel, tandis que le méthane (CH₄) et le protoxyde d’azote (N₂O) ont également atteint des niveaux records. En parallèle, les océans ont absorbé 90% de l’excès d’énergie, établissant un nouveau record de chaleur océanique, un indicateur irréversible sur des échelles de plusieurs siècles.

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Les conséquences sont multiples : fonte accélérée des glaciers, élévation du niveau de la mer, acidification des océans, perte de biodiversité et multiplication des événements météorologiques extrêmes, notamment les canicules, les sécheresses, les cyclones, les inondations, entraînant des crises humanitaires aggravées. En 2024, ces phénomènes ont provoqué le plus grand nombre de déplacements internes enregistrés depuis 2008, selon l’OMM.

Face à cette accélération, l’OMM appelle à renforcer les systèmes d’alerte précoce, encore absents dans la moitié des pays du monde. Le message est clair : «nous progressons, mais il faut aller plus loin, plus vite», affirme le rapport.

Maroc : un climat qui change

À l’échelle locale, le Maroc est le théâtre visible de cette évolution climatique. Pour Abdellatif Khattabi, expert en environnement et changement climatique, «la vague de chaleur qui frappe le Maroc ces deux derniers jours n’a rien d’ordinaire. Même si la direction générale de la météorologie (DGM) du Maroc l’avait prévue, mais personne n’aurait pu imaginer de tels écarts».

En effet, il explique que dans plusieurs régions, les températures ont grimpé jusqu’à 13°C au-dessus des moyennes habituelles pour une fin du mois de mai. «Ce que nous vivons ces derniers jours au Maroc n’est plus seulement une canicule isolée, c’est un climat qui change». Dans certaines villes du pays, le thermomètre a dépassé 42°C, et plusieurs régions ont également connu des nuits exceptionnellement chaudes, précise l’expert.

Selon lui, la fréquence accrue des vagues de chaleur — comme celle d’août 2023 à Agadir, où la température a atteint un record national de 50,4 °C — n’est plus une simple anomalie météorologique. Il ajoute : «Le Maroc, comme beaucoup d’autres pays, voit se multiplier des vagues de chaleur qui bousculent le quotidien. Ces aléas ne s’expliquent pas seulement par la variabilité du climat, mais par un réchauffement climatique désormais établi, rendant ces épisodes de plus en plus fréquents et surtout plus intenses». Il souligne également que le phénomène du chergui, ce vent chaud venu du désert, agit désormais sur un climat déjà fragilisé par le réchauffement global.

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D’autre part, l’expert met en lumière le rôle central des activités humaines dans l’aggravation du phénomène. Les émissions de gaz à effet de serre issues de l’industrie, des transports, de l’agriculture intensive et de la déforestation dépassent désormais la capacité des écosystèmes à absorber le carbone. «Même si ces actions prennent naissance au niveau local, leurs conséquences ne restent pas confinées à cette échelle», insiste-t-il.

Face à cela, Abdellatif Khattabi distingue deux réponses nécessaires : l’atténuation, qui vise à réduire les émissions (énergies renouvelables, sobriété énergétique, reforestation), et l’adaptation, qui consiste à ajuster nos modes de vie. Il plaide pour des gestes individuels simples, mais efficaces (réduction des déplacements motorisés, alimentation durable, recyclage), sans négliger l’importance des politiques publiques structurantes.

Enfin, l’adaptation locale est cruciale : la végétalisation des villes, l’adaptation des horaires de travail, le renforcement des infrastructures résilientes et les campagnes de sensibilisation communautaires peuvent faire la différence, surtout pour les populations vulnérables.

Santé publique et chaleur extrême, quelles précautions ?

La montée des températures est aussi une question de santé publique. Dr Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, rappelle que «la chaleur tue essentiellement par la déshydratation et l’hyperthermie». Si tout le monde est concerné, les personnes âgées, les nourrissons et les malades chroniques sont les plus vulnérables.

Pour prévenir les complications, Dr Hamdi recommande une série de mesures préventives simples : s’hydrater sans attendre la soif, se rafraîchir régulièrement le corps avec des douches, des serviettes humides ou des ventilateurs, manger léger et souvent, et rester à l’abri des heures les plus chaudes, soit entre 11h et 21h. Il déconseille formellement les boissons déshydratantes comme le café, le thé ou les sodas.

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Il appelle aussi à une vigilance accrue dans les transports : «ne jamais laisser d’enfants ou de personnes âgées seules dans une voiture», insiste-t-il. Concernant les établissements médicaux et sociaux, Dr Hamdi préconise la mise à disposition de salles climatisées dédiées aux personnes à risque, même à usage rotatif.

Ces gestes peuvent sauver des vies. Mais ils doivent s’accompagner d’une culture du risque à construire dans la population, en lien avec les autorités sanitaires et météorologiques. Le médecin regrette un manque de préparation structurelle dans certains établissements : «Il faut anticiper les vagues de chaleur comme on anticipe une épidémie».

Dans un contexte où les températures ne cessent de grimper, la prévention sanitaire devient donc un pilier essentiel de l’adaptation climatique. Le changement est déjà là. Il appartient désormais à chacun de s’y préparer, collectivement et solidairement.

 

Les constats du rapport 2024 de l’OMM, l’analyse de l’expert climatique Abdellatif Khattabi et les conseils de santé publique du Dr Tayeb Hamdi convergent vers une même urgence : le climat bascule, et nous devons agir maintenant. Car au-delà des chiffres et des rapports, ce sont des vies humaines, des économies locales et des écosystèmes entiers qui sont menacés.

Interview avec Houcine Youaabed, le chef du service de communication à la direction générale de la météorologie

Le Brief : Quelle est la différence entre une canicule ponctuelle et une tendance liée au réchauffement climatique?

Une canicule ponctuelle est un phénomène météorologique extrême, limité dans le temps et l’espace. Elle peut survenir naturellement, comme au Maroc, où la saison estivale (de mai à septembre) est souvent marquée par des remontées d’air chaud et sec en provenance du Sahara. Ce phénomène, connu sous le nom de «Chergui», provoque régulièrement des hausses importantes de température, avec des valeurs atteignant, voire dépassant les 40 °C dans plusieurs régions du pays. Ces épisodes font partie de la variabilité climatique normale.

En revanche, lorsque ces vagues de chaleur deviennent plus fréquentes, plus longues et plus intenses, elles traduisent une tendance liée au réchauffement climatique. Celui-ci se manifeste par une augmentation progressive et durable de la température moyenne, qui est due principalement à l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, issus des activités humaines. Ainsi, si une canicule ponctuelle n’est pas nécessairement un signe direct du changement climatique, l’évolution de leur fréquence et de leur intensité en est.

Le Brief : Les canicules que nous observons aujourd’hui sont-elles plus intenses ou plus fréquentes qu’auparavant?

Selon les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et de l’OMM (Organisation météorologique mondiale), les canicules sont aujourd’hui à la fois plus fréquentes, plus intenses et plus durables qu’auparavant.

Au Maroc, cette tendance se confirme : les vagues de chaleur sont devenues plus récurrentes, avec une intensité et une durée en nette augmentation. Les records de température sont de plus en plus souvent battus, témoignant d’un réchauffement accéléré.

Un exemple marquant est la vague de chaleur survenue entre le 7 et le 14 août 2023, considérée comme la plus intense jamais enregistrée dans le pays. Elle a enregistré un record absolu de 50,4 °C relevé à Agadir le 11 août — une température jamais atteinte auparavant au Maroc.

Mais il n’y a pas que les canicules et les vagues de chaleur observées pendant la période estivale. L’hiver marocain lui-même tend à se réchauffer. Des épisodes de chaleur inhabituelle ont été observés en plein cœur de l’hiver, notamment en janvier et novembre 2024, qui ont connu des températures exceptionnellement élevées pour la saison.
Ces évolutions confirment que le réchauffement climatique en cours accentue significativement les phénomènes extrêmes.

Le Brief : Quelles sont les régions du monde les plus touchées par cette intensification des vagues de chaleur? Le Maroc sera-t-il de plus en plus concerné dans les années à venir?

Le Maroc est déjà fortement concerné et le sera encore davantage dans les années à venir. Le pays a enregistré ses trois années les plus chaudes jamais observées de manière consécutive : 2022, 2023 et 2024. Chaque année, de nouveaux records de température sont battus, confirmant une tendance inquiétante et persistante au réchauffement.

À l’échelle mondiale, les régions les plus touchées par l’intensification des vagues de chaleur sont celles où la température moyenne augmente le plus rapidement, en particulier dans les zones déjà chaudes. Il s’agit notamment de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient ainsi que d’autre région au monde avec un climat similaire;

Le Brief : Quel rôle joue l’activité humaine dans la multiplication des événements extrêmes comme les vagues de chaleur? Y a-t-il une solution?

L’activité humaine joue un rôle central dans l’intensification des événements climatiques extrêmes, notamment les vagues de chaleur. Par le rejet d’importantes quantités de dioxyde de carbone (CO₂) et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ces gaz piègent une part croissante de la chaleur émise par la Terre, renforçant l’effet de serre naturel et contribuant au réchauffement global.

Ce réchauffement entraîne une atmosphère plus chaude et plus instable, propice à des phénomènes extrêmes plus fréquent, plus longues et plus intenses.

Des solutions existent, mais elles exigent une action rapide et coordonnée à l’échelle mondiale :

  • Réduire les émissions de gaz à effet de serre : cela passe par une transition vers des énergies renouvelables (solaire, éolien, hydraulique…), une amélioration de l’efficacité énergétique, une réduction de la dépendance aux énergies fossiles, et des changements dans nos modes de production et de consommation.
  • S’adapter localement aux nouvelles réalités climatiques : cela nécessite un engagement fort en faveur de stratégies d’adaptation et d’atténuation, incluant une meilleure gestion des ressources en eau, l’aménagement de villes plus résilientes, le développement de systèmes d’alerte précoce et le renforcement des capacités des territoires face aux risques climatiques.

En somme, bien que la situation soit préoccupante, il reste possible d’agir pour limiter l’ampleur du changement climatique et protéger les populations face à ses effets. L’enjeu est d’engager ces transformations dès maintenant.

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