Climat : l’Afrique face à l’année la plus chaude de son histoire

L’année 2024 s’impose comme un tournant climatique pour le continent africain, selon le dernier rapport de l’OMM. Le document révèle des records inquiétants, notamment des températures extrêmes, des précipitations dévastatrices, des sécheresses prolongées ainsi que l’élévation du niveau de la mer sans oublier un impact socio-économique sans précédent. La situation, aggravée par les phénomènes El Niño et le dipôle de l’océan Indien, témoigne de la vulnérabilité croissante de l’Afrique face au changement climatique.
Phénomènes extrêmes : une saison de tous les dangers
Avec une température moyenne supérieure de 0,86°C à la moyenne 1991–2020, l’année 2024 figure parmi les plus chaudes jamais enregistrées sur le continent africain. Par rapport à la période 1961–1990, l’anomalie atteint 1,53°C. L’Afrique du Nord, en particulier, a subi des écarts de température alarmants, avec des anomalies dépassant les 2,14°C. Ce réchauffement généralisé, cohérent avec les tendances mondiales, accentue les risques climatiques et les stress hydriques et agricoles.
Les températures de la mer en surface ont aussi atteint des sommets, notamment dans l’Atlantique et la Méditerranée. Cette surchauffe océanique a non seulement intensifié les cyclones tropicaux, mais aussi exacerbé les vagues de chaleur marines, dont l’ampleur autour du continent n’avait jamais été observée depuis le début des relevés en 1993.
L’Afrique australe a été durement frappée par une sécheresse persistante. Des pays comme la Zambie, le Zimbabwe ou le Malawi ont proclamé l’état d’urgence. Le niveau du lac Kariba, plus grand réservoir artificiel du monde, a chuté à des niveaux critiques, réduisant drastiquement la production hydroélectrique et paralysant l’économie régionale.
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En contraste, l’Afrique de l’Ouest et une partie du Sahel ont été submergées par des pluies diluviennes, entraînant des crues sans précédent. Plus de 4 millions de personnes ont été touchées, particulièrement au Nigéria, au Tchad et au Niger. À Maiduguri, 230 personnes ont perdu la vie. Ces extrêmes climatiques illustrent l’intensification de la variabilité interannuelle, portée par des événements El Niño d’une rare vigueur.
Les phénomènes météorologiques extrêmes se sont multipliés tout au long de l’année. Le Kenya, l’Éthiopie et la Tanzanie ont subi de graves inondations. Des glissements de terrain meurtriers ont endeuillé la région de Gofa, en Éthiopie. En Afrique du Nord, des pluies torrentielles ont frappé le Maroc en septembre, inondant des villages entiers dans l’Anti-Atlas et remplissant des lacs asséchés depuis 50 ans.
Le bassin sud-ouest de l’océan Indien a connu une activité cyclonique record. Parmi les 13 systèmes tropicaux répertoriés, neuf ont atteint l’intensité cyclonique, dont Belal, Gamane et Chido. Ce dernier a particulièrement dévasté Mayotte, le Mozambique et le Malawi, laissant des dizaines de milliers de sinistrés.
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Impacts agricoles et insécurité alimentaire
Les conséquences climatiques sur la production agricole ont été lourdes. En Afrique du Nord, 2024 a été la troisième année consécutive de récoltes céréalières inférieures à la moyenne. Le Maroc enregistre une baisse de 42% par rapport à la moyenne quinquennale.
En Afrique de l’Est, bien que les pluies de mars à mai aient permis un certain répit, les rendements céréaliers sont restés inférieurs de 5% à 10% à la moyenne. Le Kenya a vu périr plus de 30.000 têtes de bétail et perdre 170.000 hectares de terres cultivées. Au Soudan, les conflits ont accentué la crise alimentaire : plus de 27 millions de personnes se trouvent dans des situations d’insécurité aiguë, dont 100.000 en situation de famine.
En Afrique australe, la sécheresse a fait chuter la production céréalière de 16%, avec des baisses de 43% en Zambie et 50% au Zimbabwe. Les petits États insulaires, comme Madagascar, ont aussi souffert des crues et des cyclones, malgré une production agricole globalement stable à l’échelle nationale.
Le rapport souligne les défis persistants en matière de collecte et d’analyse des données météorologiques. La transformation numérique offre des perspectives, grâce à l’intelligence artificielle, aux prévisions numériques et aux outils mobiles. Toutefois, ces avancées sont freinées par des infrastructures insuffisantes et un financement inadapté.
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L’OMM plaide pour un renforcement des systèmes d’alerte précoce, notamment à travers l’initiative Alertes précoces pour tous, afin d’anticiper et d’atténuer les catastrophes. Le rapport cite en exemple l’Agence météorologique du Nigéria, qui utilise désormais des plateformes numériques pour diffuser des prévisions ciblées auprès des agriculteurs.
Le coût de l’inaction est élevé : jusqu’à 5% du PIB des pays africains pourrait être absorbé par les effets du changement climatique. Les flux financiers internationaux en faveur de l’adaptation restent bien inférieurs aux besoins, estimés entre 187 et 359 MM de dollars par an. Malgré des plans d’adaptation en cours dans plus de 40 pays, leur mise en œuvre demeure inégale. L’OMM appelle donc à une mobilisation urgente de la communauté internationale pour combler ce déficit financier, renforcer les capacités locales et intégrer les nouvelles technologies dans la gestion du risque climatique.
Le tableau dressé par le rapport 2024 de l’OMM est sans équivoque : l’Afrique est en première ligne du dérèglement climatique. La conjonction de températures records, de perturbations hydrologiques, de stress agricole et de vulnérabilités sociales crée un cocktail explosif. Ce constat appelle à une réponse rapide, coordonnée et durable.
Comme le souligne la Secrétaire générale de l’OMM, Celeste Saulo, «ce rapport doit inspirer une action collective face à des défis de plus en plus complexes». La fenêtre d’opportunité se referme rapidement. Il est temps que les promesses climatiques prennent enfin la forme d’engagements concrets.