Accueil / Chroniques

La performance

Temps de lecture
Karim Ikce. © Dalle-e

Karim Ikce, 30 ans, j’ai été embauché pour vous raconter la vraie vie, c’est-à-dire à travers mon regard et ses travers …

Coupe du monde de football oblige, je me vois obligé de contribuer à la discussion générale en adoptant la posture du nouveau converti, autoproclamé expert.

Pour être franc, je ne connais rien au foot et cela ne m’a jamais intéressé. Socialement, cela m’a valu de ne pas pouvoir m’intégrer au sein de mon groupe d’amis, tout au long de ma vie. Pourtant j’ai fait des efforts, j’ai tenté de regarder des matchs, mais je ne voyais que des pantins courant après une balle.

Puis est arrivée la coupe du monde, celle que nous avons gagnée en dehors des stades, dans le cœur de toute la planète, à un pays près.

J’ai regardé le match Maroc-Portugal et j’ai failli avoir un arrêt cardiaque à de multiples reprises.

Je me suis dit que si j’étais un véritable fan de foot, je serais certainement mort plusieurs fois.

C’est ici que s’arrête ma compétence footballistique. Je voudrais tout de même parler de cet exploit et des leçons que nous pourrions collectivement en tirer.

La performance dont il est question est le résultat du travail en équipe de plusieurs personnes. Celles sur le terrain d’abord ainsi que tout leur staff. Serait-il possible de dire que X ou Y a gagné tel ou tel match ? Que nenni ! C’est toujours dans le mouvement, dans la passation de la balle d’un joueur à l’autre que cela s’est concrétisé.

Où veux-tu en venir au fait ? OK, j’y viens.

À l’école, on nous apprend, par les examens et les notes, qu’il faut être individualiste. Puis pour ceux qui ont fait des « grandes écoles », on y apprend que « sort d’ici la future élite ». Depuis quelque temps, la notion de travail en communauté, plus qu’en équipe, commence à faire son chemin.

Mais la route est encore longue entre les discours et la pratique.

Il y a un lieu où ceci est une réalité. L’école de codage 1337. On travaille en groupe, il n’y a ni hiérarchie, ni profs, ni examens. Pourtant elle a été classée 3e école d’informatique au monde. Le secret ? Les projets se succèdent et leur succès est basé sur la performance du plus faible ; ce qui incite les craques à faire montre de patience, d’abnégation et de générosité pour que leurs camarades puissent s’améliorer et éviter au groupe d’endosser une moins bonne note que celle à laquelle ils pourraient prétendre.

C’est grâce à l’environnement dans lequel nous évoluons que nous sommes ce que nous sommes. Dans son excellent livre, « La tyrannie du mérite » et sous-titré « qu’avons-nous fait du bien commun », Michael Sandel revient sur cette notion avec brio.

Personne n’est un génie parachuté sur terre, c’est d’abord la famille, puis l’école et enfin l’environnement professionnel, qui nous donnent les outils et les moyens de parvenir à nos fins et de « réussir ». 

Il existe dans la littérature, en particulier « Hayy ibn Yaqdhan », histoire d’un bébé abandonné sur une île et qui apprendra toute la science par lui-même avant de retrouver les hommes, un roman philosophique écrit par Ibn Tofayl à la fin du XIIe siècle et dont s’inspirera grandement Defoe pour son « Robinson Crusoé », des personnages qui se suffisent à eux-mêmes, mais pas dans la vraie vie.

Oui la performance est importante, mais la prouesse de l’équipe du Maroc nous rappelle à quel point il s’agit d’un effort collectif. Si l’équipe gagne, c’est chacun de ses membres et toutes les personnes qui travaillent à ce projet qui en sortent vainqueurs. Si une star essaie de s’attirer toute la lumière, cela ne durera que le temps de la course diurne du soleil.

À chaque époque, ses vocables à la mode. Concepts souvent creux, qui cachent une vacuité vertigineuse sous des airs pompeusement scientifiques. Les usagers les colportent comme des talismans dont personne ne questionne ni le contenu ni la réalité.

C’est ainsi que pour être performant, il faut également être « agile ». C’est-à-dire se plier aux exigences incongrues qui vous tombent dessus dans l’urgence qu’impose la désorganisation.

Ayoub est un brillant ingénieur. La clé de sa réussite ? Son manque de souplesse. Ayoub a les idées claires. Il a ses priorités. Il fait son boulot et ne fait pas une minute de plus que ce que stipule son contrat. Pour lui, s’il devait être amené à travailler plus, cela signifierait, soit qu’il a mal mesuré la tâche qui lui a été assignée, soit qu’il est en train d’effectuer le travail de quelqu’un d’autre.

Il est pourtant performant, parce qu’il est dans le respect des autres et dans le partage. L’entreprise est un lieu complexe, et l’invention d’une novlangue qui fait la fortune des consultants, n’est qu’une façon criarde de cacher notre incapacité collective à optimiser nos efforts plutôt qu’à tenter de courir perpétuellement au-delà de ce qui est humainement tolérable et acceptable.

Je suis donc un adepte de la performance, dans la limite de vitesse que nous imposerait un code de l’éthique, encore à écrire ; je suis également agile, dans la limite du bon sens qui a permis à l’humanité de se développer jusqu’à nos jours, sans excès.

Né en 1966 à Casablanca, Saâd A. Tazi est anthropologue de formation. Sa pratique de la photographie se confond avec les premiers appareils de son adolescence. Après de nombreuses années passées en France et aux Etats-Unis, il revient dans son pays natal, dont la diversité est un terrain de jeu exceptionnel pour les amoureux de la lumière.

Auteur de plusieurs livres et d’expositions au Maroc et à l’international, il continue à découvrir et partager la beauté de notre petite planète