AVC au Maroc : un tueur silencieux qui frappe toutes les dix minutes

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AVC : alerte sur un fléau qui frappe toutes les 10 minutesPhoto illustration © iStock / peterschreiber.media

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Jusqu’au 28 novembre, le ministère de la Santé et de la Protection sociale organise une campagne nationale de sensibilisation à la prévention des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Placée sous le thème « Chaque minute compte », cette initiative vise à souligner l’importance de la prévention grâce au contrôle des principaux facteurs de risque. Dans ce cadre, un dépistage précoce sera réalisé au sein des établissements de soins de santé primaires.

Chaque année au Maroc, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) causent des dizaines de milliers de décès et laissent encore plus de personnes avec des handicaps sévères. Un phénomène largement sous-estimé par le grand public, alors même qu’il représente une urgence majeure. Les chiffres sont édifiants : 52.000 AVC enregistrés chaque année, soit un toutes les dix minutes, et 36.508 décès, l’équivalent d’un toutes les quatorze minutes. Un bilan qui place l’AVC parmi les premières causes de mortalité et de handicap dans le pays. Pour le Dr Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en politiques et systèmes de santé, il s’agit d’un véritable « enjeu de santé publique national ».

Un tueur rapide, un système trop lent

L’AVC survient lorsqu’une artère du cerveau se bouche ou éclate, privant ainsi une zone cérébrale de sang et d’oxygène. Dans ce contexte, le temps devient un ennemi mortel. « Time is brain », rappelle le Dr Hamdi. « Chaque minute compte, car deux millions de neurones meurent chaque minute ».

Pourtant, au Maroc, plus d’un quart des personnes victimes d’un AVC décèdent dans l’année qui suit. Le chercheur pointe du doigt des retards de prise en charge, le manque de centres spécialisés et l’insuffisance de rééducation adaptée. Le bilan est lourd : un AVC sur deux entraîne un handicap faute d’une rééducation adéquate.

Le tableau est d’autant plus alarmant que ces décès et séquelles sont en grande partie évitables. L’AVC ischémique, causé par l’obstruction d’une artère, représente 80 à 85% des cas. Il peut bénéficier de traitements efficaces, à condition d’intervenir dans les toutes premières heures : idéalement avant quatre heures pour la thrombolyse, et dans les six heures, parfois jusqu’à 24 heures, pour la thrombectomie mécanique. Encore faut-il que la victime parvienne à temps dans un hôpital équipé et structuré pour ce type d’urgence.

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Face à cette situation, le Dr Hamdi plaide pour la mise en place urgente d’une « filière AVC » intégrée, accompagnée d’un numéro unique national permettant une prise en charge immédiate et coordonnée. L’objectif serait de connecter les services d’urgence, les ambulances, les centres d’imagerie, les unités neurovasculaires et les services de rééducation afin d’assurer un parcours rapide et sans rupture.

« Le Maroc doit se doter d’un système spécialisé, comme l’ont fait de nombreux pays », insiste-t-il. « La survie et la récupération neurologique dépendent directement de la fluidité du parcours de soins. Plus le patient est pris en charge rapidement, plus ses chances de survie et de récupération sont élevées ».

Les signes d’alerte : reconnaître pour sauver

L’AVC se manifeste le plus souvent de manière brutale. Parmi les signes les plus caractéristiques : déformation de la bouche, avec un sourire asymétrique ; faiblesse d’un bras ou d’une jambe, incapacité à lever les deux bras de façon symétrique ; troubles de la parole, difficultés à parler ou à comprendre.

Ces trois signes majeurs peuvent s’accompagner de vertiges, de maux de tête violents ou d’une baisse soudaine de la vision. Face à l’apparition de l’un de ces symptômes, il faut agir immédiatement : appeler une ambulance, allonger la personne, noter l’heure d’apparition des signes et préparer les documents médicaux.

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Certaines erreurs peuvent aggraver la situation. Le Dr Hamdi met en garde : ne rien donner à boire ni à manger, ne pas administrer de médicament et éviter toute injection, même si elle fait partie du traitement habituel du patient.

Le médecin insiste également sur la vigilance face à l’Accident Ischémique Transitoire (AIT). Souvent bref, avec disparition rapide des symptômes, il constitue pourtant une alerte majeure. « Même si les signes s’estompent, il s’agit d’une urgence absolue », avertit le Dr Hamdi. « L’AIT est souvent suivi d’un AVC majeur dans les heures ou jours suivants ». Ignorer cette alerte revient trop souvent à manquer une occasion décisive de prévention.

Un mal qui frappe aussi les jeunes

Si les personnes âgées restent les plus touchées, une évolution inquiétante se dessine. « On observe désormais des AVC dès 20 ans chez les femmes et 35 ans chez les hommes », souligne le Dr Hamdi. Cette tendance s’explique notamment par l’augmentation des facteurs de risque chez les jeunes : tabac, sédentarité, stress, obésité, hypertension non contrôlée ou diabète.

L’AVC survient le plus souvent dans un contexte de facteurs de risque vasculaires bien identifiés :

  • Hypertension artérielle (55% des cas)
  • Diabète (20%)
  • Maladies cardiaques, notamment les arythmies (18%)
  • Tabagisme (24%)
  • Excès de cholestérol, obésité, alimentation déséquilibrée
  • Sédentarité et consommation excessive d’alcool
  • Facteurs psychosociaux : stress, dépression, isolement social

Pour le Dr Hamdi, le dépistage et le traitement systématique de ces facteurs constituent la première ligne de défense. « Une alimentation équilibrée, l’arrêt du tabac, ainsi que le contrôle de la tension artérielle et du diabète pourraient prévenir une grande partie des AVC », insiste-t-il.

Au-delà de l’urgence vitale, les survivants d’un AVC doivent souvent composer avec des séquelles dévastatrices : hémiplégie, aphasie, déclin cognitif, fatigue chronique, anxiété ou encore dépression, touchant jusqu’à 30% des patients. Certains développent également des crises d’épilepsie liées aux lésions cérébrales. La rééducation, pourtant essentielle pour maximiser la récupération des fonctions, reste insuffisante pour une grande partie des patients au Maroc.

À travers ses alertes, le Dr Tayeb Hamdi tire la sonnette d’alarme sur un drame qui se joue chaque jour dans le pays. Les solutions existent, tout comme les traitements. Ce qui fait encore défaut, selon lui, ce sont des mécanismes organisés, une sensibilisation massive du public et un engagement structuré des autorités sanitaires.

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