Pétrole russe : le Royaume dans le collimateur de Madrid ?

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petrole russse maroc espagneThe Rock of Gibraltar is seen 24 kilometers away from the Spain's North African enclave of Ceuta, in Ceuta, Spain January 19, 2023. REUTERS/Jon Nazca

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Accusés d’aider Moscou à contourner l’embargo sur le pétrole imposé depuis février par l’Union européenne, les pétroliers marocains font face à une nouvelle polémique. Le gouvernement de Pedro Sanchez a annoncé vendredi l’ouverture d’une enquête sur la possible entrée sur son territoire de pétrole russe via des pays tiers. Le Royaume est pointé du doigt, aux côtés d’Antalya, soupçonné de réexporter des cargaisons mélangées de produits pétroliers. Voici pour l’heure ce que l’on sait.

Le gouvernement espagnol a annoncé vendredi 28 avril 2023 l’ouverture d’une enquête sur la possible entrée sur son territoire de pétrole russe. Ce dernier passerait par des « pays tiers’, en dépit de l’interdiction d’importation en place dans l’Union européenne depuis février. Celle-ci appelle à une réponse européenne commune pour «renforcer la traçabilité» des importations de carburants.

Selon Madrid, le pétrole russe pourrait transiter en Espagne via d’autres pays, notamment le Maroc. Ces soupçons font suite aux dénonciations du patron du géant espagnol Repsol.

«Du diesel russe continue de circuler sur le marché européen et espagnol», a ainsi dénoncé jeudi le PDG du géant pétrolier espagnol Repsol, Josu Jon Imaz, en appelant les autorités communautaires à faire preuve de «fermeté» sur ce sujet.

«C’est cette crainte» qui a poussé l’Espagne à «enquêter» sur la possible arrivée sur son territoire de pétrole d’origine russe, a annoncé la vice-présidente et ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera, rappelant que les importations de carburants sont «en théorie accompagnées de documents prouvant leur origine».

Lire aussi : Gasoil russe : le Maroc s’affranchira-t-il de l’embargo imposé par l’UE ?

En l’absence de preuves, des soupçons qui persistent

«Face au moindre soupçon, il est nécessaire de vérifier» si «les produits importés proviennent bien de l’endroit indiqué ou bien d’un autre pays, et s’il y a eu une irrégularité quelconque», a indiqué la vice-présidente et ministre de la Transition écologique, Teresa Ribera.

L’Union européenne a interdit le 5 février l’importation de produits pétroliers russes sur son territoire, dans le cadre d’un nouveau paquet de sanctions adoptés en réaction à l’offensive de Moscou contre l’Ukraine lancée en février 2022. Mais des experts et responsables du secteur pétrolier soupçonnent la Russie – qui s’est tournée vers d’autres marchés, comme la Chine et l’Inde – de continuer à exporter du pétrole dans l’UE via des pays tiers, où son origine est dissimulée.

Dans son édition datée de vendredi, le quotidien espagnol El Mundo pointe la responsabilité de Rabat qui, selon lui, «s’est lancé dans l’exportation de diesel vers le pays ibérique pour la première fois depuis 2015, après avoir acheté du carburant à grande échelle en provenance de Moscou».

Toutefois, «les premiers éléments» communiqués par les importateurs «montrent que tout est apparemment en ordre et que les produits ne viennent pas de Russie, mais nous sommes vigilants et suivrons de près l’évolution de la situation pour corroborer cela définitivement», souligne la ministre espagnole.

Mais derrière ces craintes, l’accélération du rythme des exportations russes vers le Maroc et d’autres pays d’Afrique du Nord depuis l’embargo imposé par l’Union européenne posent questions. Selon le média russe Sputnik, reprenant des données de Refinitiv révélées par l’agence de presse Reuters, les livraisons de diesel de Moscou à Rabat se sont accélérées pour atteindre 735.000 tonnes en 2022, après seulement 66.000 tonnes en 2021. Et elles totalisent déjà près de 140.000 tonnes depuis le début de 2023.

Lire aussi : Embargo de l’UE sur les carburants russes, quel impact sur le Maghreb ?

De nouveaux flux de livraisons stables pour Moscou

«Au cours du mois de mars, le Maroc a représenté 12% de toutes les livraisons de diesel russe, suivi de la Tunisie (10%) et l’Algérie (8%), précise l’agence analytique, spécialiste du secteur pétrolier et gazier», affirme l’agence, citant des données compilées par le cabinet russe d’analyse économique Naans-Media. Au total, les trois pays maghrébins sont classés parmi les principaux importateurs de gasoil russe en mars, important 30% du carburant en provenance de Russie. Le volume le plus important (33%) a été acheté par la Turquie.

Les quantités importées par ces pays d’Afrique du Nord sont trop importantes pour eux, a déclaré Viktor Katona, analyste pétrolier senior chez Kpler, suggérant que certains des produits russes reviennent en Europe. «Croyez-moi, nous n’assistons pas à une renaissance du raffinage maghrébin», a-t-il déclaré.

Car, selon le Wall Street Journal, «le Maroc, qui n’a jamais enregistré d’exportations importantes de diesel, a expédié le mois dernier (ndlr, janvier 2023) 280.000 barils de diesel vers les îles Canaries et 270.000 barils vers la Turquie, ce qui a coïncidé avec les importations de diesel russe au Maroc».

Mais pour le gouvernement marocain, la donne officielle concernant les importations de produits pétroliers n’a pas changé par rapport aux années précédentes. Selon Mustapha Baïtas, porte-parole du gouvernement, «le volume d’importation du gasoil russe n’a pas dépassé le seuil des 10% depuis l’année 2020». «Le volume d’importation s’est stabilisé à 9% en 2020 et à 5% en 2021 pour culminer de nouveau à 9% en 2022», avait affirmé le porte-parole de l’exécutif, jeudi 2 mars 2023, suite à la réunion hebdomadaire du Conseil de gouvernement. Cela signifierait que le marché marocain est approvisionné à hauteur de 91% par des carburants provenant d’autres pays que la Russie.

Si depuis quelques mois, le Royaume, resté neutre dans le conflit avec l’Ukraine, a augmenté ses importations en carburant originaire de la Russie, la polémique, elle, revient régulièrement, tantôt avec le manque de transparence des transactions portant sur ce carburant, tantôt avec la qualité du produit importé.

Les opérateurs nationaux sont, en effet, accusés d’importer du gasoil à un prix très bas et de l’écouler sur le marché local sans répercuter le différentiel de prix sur les tarifs à la pompe. Une question introduite au Parlement par l’USFP réclamant à la ministre de l’Économie et des Finances des explications sur «les entreprises spécialisées dans l’importation et la distribution des produits pétroliers. Celles-ci ont commencé à importer du gasoil russe pour répondre aux besoins du marché national. Un carburant à bas coût, mais qui ne se reflète pas sur le prix de vente».

Des accusations que rejette formellement la société Afriquia SMDC. «Afriquia n’a pas importé une seule goutte de gasoil russe, ni directement ni indirectement», insiste Saïd Elbaghdadi, patron de la filiale du groupe Akwa, tout en rappelant que, d’un point de vue légal, l’importation de carburant russe n’est pas interdite au Maroc.

«Nous constatons que des personnes s’amusent à publier des vidéos diffamatoires et mensongères à propos d’Afriquia. Nous ne comprenons pas leurs intentions. Nous allons recourir à la justice et porter plainte contre certaines de ces personnes, et nous continuerons à le faire jusqu’à ce que ces pratiques cessent. Nous allons demander réparation pour le préjudice subi et pour l’atteinte à l’image de notre marque. Nous avons confiance en la justice», a fait savoir le directeur général d’Afriquia SMDC, dans une déclaration pour Le360.

Ce mardi 2 mai, la ministre de la Transition énergétique et du développement, Leila Benali, a annoncé la constitution d’une commission technique chargée du suivi de l’alimentation du stock de produits pétroliers. Il est composé de représentants de son département, du ministère de l’Économie et des finances et de la Caisse de compensation. Son rôle est d’atténuer les conséquences de la flambée des prix internationaux sur le marché national.

«Le marché de l’UE récupère les volumes restants» ?

Récemment, le Parti de la justice et du développement, du Mouvement populaire et du Parti un progrès et du socialisme, trois groupes de l’opposition parlementaire, ont réclamé la constitution d’une commission d’enquête sur «des doutes et soupçons» autour de l’importation de gasoil russe par des sociétés de carburant, et «une possible revente de ce carburant à des pays qui interdisent son importation».

Mais cette initiative n’a pas abouti faute d’avoir la majorité de voix nécessaires pour former une commission d’enquête. Il faut en effet l’adhésion et la signature d’un tiers des 395 députés siégeant à la Chambre des représentants, soit 131 signatures. Ensemble, les trois formations politiques (MP, PPS et PJD) ne comptent que 63 députés, ce qui les prive automatiquement de la capacité de pouvoir créer une telle commission.

L’augmentation des importations russes vers le Maroc, ayant coïncidé avec une augmentation de ses propres exportations de produits raffinés, fait craindre que les cargaisons soient mélangées avec d’autres produits pétroliers et réexportées. Ce processus masque l’origine ultime des produits et complique les efforts occidentaux pour éliminer les combustibles fossiles russes de leurs économies.

«Même si vous vouliez réglementer cela, comment le feriez-vous?» a déclaré Andreas Economou, responsable de la recherche pétrolière à l’Oxford Institute for Energy Studies, cité par le WSJ. «Si une cargaison provient à 51 % du Maroc, 49 % de Russie, comment jugeriez-vous cela ?»

C’est cette crainte qui a poussé le gouvernement de Pedro Sanchez à «enquêter» sur la possible arrivée sur son territoire de pétrole d’origine russe. Selon le ministère espagnole de la Transition écologique, Teresa Ribera doit envoyer un courrier à Bruxelles pour réclamer la «mise en marche immédiate» d’une réponse européenne afin de «renforcer la traçabilité» du pétrole importé par l’UE avec l’obligation d’un certificat à la sortie des raffineries comme à la sortie des ports.

«Il faut que ce certificat contienne tous les éléments – volume, date, etc. – garantissant que les importations» ne font pas l’objet de «sanctions», insiste le ministère, appelant à «rester intransigeants dans l’application des sanctions».

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